Retrouvez l’intégralité de l’interview, en version podcast.
Henri de Pazzis a créé son propre fournil, Terre de blé, qui a ouvert en juillet dernier à Saint-Rémy-de- Provence, encouragé dans cette voie par Pierre Ragot.
Pourquoi la boulangerie ?
Le pain est une histoire de transmission entre les êtres humains. Il est très fondateur pour une très grande partie de l’humanité, c’est une bonne nourriture, aussi bien pour le physique que pour l’âme. Je crois que la faculté la plus remarquable de l’être humain est sa sensibilité.
Ici, à Terre de blé, on essaie de s’inscrire dans cette dimension poétique, que l’humain soit le plus présent possible à chaque étape.
Faire le pain permet de continuer de manière ininterrompue cette chaîne de sensibilité qui commence dans le travail de la terre. Nous faisons évidemment de l’agriculture biologique, on essaie de la faire de la manière la plus proche possible du sol, en intervenant le moins possible. Dans le maniement des outils, la manière de semer, je pense que nous sommes vraiment sur un mode très très sensible.
Que nous enseignent les blés anciens* que vous cultivez ?
Nous avons multiplié du Barbu du Roussillon, de la Touzelle de Nîmes, de la Sesette de Provence, du blé meunier d’Apt et du Rouge de Bordeaux. Des petites quantités nous avaient été données. La diversité génétique apporte des arômes différents, mais surtout de la résilience absolument capitale face à un phénomène climatique ou à l’arrivée d’un insecte. Certaines génétiques vont résister parce qu’elles sont déjà adaptées, d’autres ne résisteront pas. Le blé est une céréale extrêmement résiliente, capable de supporter des températures très basses et de grandes sécheresses. Elle s’est adaptée partout dans le monde et nous a donné la possibilité de nous nourrir. A des fins d’industrialisation nous avons voulu simplifier, c’est dangereux car cette terre fonctionne comme un organisme vivant global, en adaptation.
Comment voyez-vous demain la relation entre paysans et boulangers ?
J’ai semé chez des copains maraîchers qui sont intéressés par la rotation en blé. Dans ce type de modèle, on peut construire des relations étroites dans un territoire donné entre des paysans et des boulangers. Je crois évidemment beaucoup dans cette économie, qui est aussi une agronomie, un artisanat. Nous avons beaucoup de choses à faire dans cette voie-là.
Quelle est votre journée type ?
Je commence tôt le matin et termine assez tard le soir. Habituellement je me lève et j’écris. Cette année, je suis un peu au four et au moulin, entouré bien heureusement. Bertrand Bonfond travaille les terres et prépare les farines fraîches. Le moulin tourne tous les jours. Toutes les variétés ne passent pas dans le moulin de la même manière, certaines ont besoin d’être humidifiées, il faut quelques fois ralentir le moulin ou desserrer les meules de granit. C’est un travail en finesse qui permet, pour nous et nos clients, de sortir à la fin de la journée cinq, six ou huit sacs de farines très fines, qui ont beaucoup de gras et développent beaucoup d’arômes.
A quatre heures du matin, au fournil avec Camille et Adrien nous allumons le four, puis nous préparons les pâtes du lendemain. J’aime beaucoup faire le pain avec eux. C’est un moment de grâce, très sensuel et paisible, qui me nourrit, me donne de l’énergie. Le pain me fait du bien.
L’un de vos meilleurs souvenirs gustatifs ?
La première fois que j’ai goûté le pain de Pierre Ragot, Maison Saint-Honoré à Marseille. J’ai été très impressionné. J’avais quelque chose de particulier dans la bouche, quelque chose de fort, de très beau et très bon, avec un équilibre entre l’acide et le sucre, une sensation de mâche qui était très belle, très consistante, mais pas pesante.
Pains élaborés à partir des blés anciens cultivés à Saint-Rémy-de-Provence. A. Valois
C’est la cuisson au four à bois qui a été choisie par Henri de Pazzis. A. Valois
A.Valois