Artisan épicurien, Christophe Lepetit croit aux vertus de la proximité. B.Guicheteau
Tel le phénix qui renaît de ses cendres, Christophe Lepetit a eu plusieurs vies. Une adolescence (très) marginalisée, suivie par dix ans dans l’armée, et une autre décennie de business à la tête d’une petite entreprise de transports, devenue grande avec plus de 520 salariés. Son sens inné de la débrouille, allié à sa force de travail et son instinct entrepreneurial, le pousse toujours plus loin. Jusqu’à la cassure : un premier AVC en 2014 l’oblige à lever le pied et à changer de métier. Il aspire alors à un retour aux sources, une activité plus manuelle, mais avec un potentiel commercial intéressant : ce sera la boulangerie. Un choix conforté par un coup de cœur pour la baguette lors de sa formation chez un meunier : « C’est magique, cette sensation de travailler un produit vivant ! », glisse l’artisan normand.
La baguette tradition, l’indispensable produit d’appel de la boulangerie Capucine. Agence Balthazar
En 2015, il crée une première boulangerie, Capucine, à Trouville (Calvados), où il applique son modèle économique forgé dans le transport. Dans une même logique de croissance, il ouvre l’année suivante un deuxième point de vente à Creully, à 20 km de Caen, puis un troisième à Bayeux, sa ville natale, en 2017. Quoique bien huilée, la machine est lourde à porter et ne tarde pas à montrer des signes d’essoufflement : « On ne peut pas dupliquer un modèle industriel dans l’artisanat », estime aujourd’hui l’artisan, frappé alors par un second AVC. Un signe de la vie qui lui fait revoir sa copie. Fini les farines améliorées, les produits étrangers et « la course effrénée au chiffre d’affaires, au détriment de l’humain et de la qualité ».
Des blés cultivés en circuits courts pour limiter l’impact carbone. Agence Balthazar
Il demande à l’agriculteur exploitant les terres de son grand-père, à Ryes (village du Calvados), de produire ses céréales, qui seront écrasées ensuite par un petit moulin local, le tout dans un rayon de 35 km autour de son magasin de Bayeux, seul rescapé de son aventure entrepreneuriale.
Dans sa communication en ligne, l’artisan valorise la fabrication artisanale. B. Guicheteau
1 000 traditions par jour
Leur accord ? « Fixer des prix pour que chacun puisse vivre correctement de son métier », résume le boulanger, ravi de constater que, même à cette condition, ses farines lui reviennent « 20 % moins cher que par le passé ». Cette économie lui permet de proposer une baguette tradition aux blés normands offerte pour deux achetées, soit 70 centimes l’unité. « La rentabilité passe par le volume », reconnaît Christophe Lepetit, qui en vend près de 1000 par jour.
Les pains à la coupe sont fabriqués suivant la méthode Respectus Panis. B. Guicheteau
Et d’ajouter : « Empruntée à la GMS, cette offre commerciale fonctionne comme un produit d’appel, le but étant de capter la clientèle, de la fidéliser et de l’inviter à compléter son panier avec d’autres produits à plus forte marge, comme les pains spéciaux à la coupe ou la viennoiserie, l’équilibre se faisant sur l’entièreté de la gamme. » Et la formule « qualité à prix accessibles » a fait ses preuves : « En quatre ans, nous avons doublé le chiffre d’affaires, avec une marge brute supérieure à la moyenne nationale. »
Sa farine locale 100% froment, une matière vivante à laquelle le boulanger doit s’adapter. Agence Balthazar
Pour ce faire, l’artisan a renoncé pour partie aux intermédiaires et à la pâtisserie pour se consacrer à la boulangerie, avec une vingtaine de pains, dont quelques références bio avec les farines des Moulins de Brasseuil, une petite gamme de viennoiseries et brioches faites maison, et une offre snacking originale.
Pas de pâtisserie mais des viennoiseries, comme la Caresse, une brioche tressée feuilletée ultra-gourmande aux pommes et au caramel beurre salé. Agence Balthazar
Au pays de l’andouille (de Vire) et du camembert (au lait cru), il valorise charcuteries et légumes locaux, comme dans son Cré Vin Diou, une sorte de chausson feuilleté avec des garnitures variées (chèvre, miel, jambon fumé ou pomme, andouille et oignons caramélisés). « Je suis un épicurien qui aime manger », sourit le boulanger, toujours à l’affût de bonnes idées pour renouveler sa gamme, là encore une leçon tirée des industriels. Et d’affirmer : « L’innovation, c’est le nerf de la guerre, sinon on s’enterre. »
Acquisition d’un moulin
Côté fournil, Christophe Lepetit privilégie les fermentations longues et la méthode Respectus Panis (pétrissage lent et court) pour ses pains au levain à la coupe. Il réalise désormais ses propres mélanges pour pains spéciaux, avec toujours cette recherche de créativité qui le caractérise. Illustration avec son pain gourmand au cacao, son Paindouille (garni à l’andouille, aux pommes et oignons caramélisés), sur une base de farines de seigle et de froment, ou son Pain de la mer, intégrant de la salicorne, cette petite plante verte des marais naturellement salée et iodée.
Création exclusive pour La meilleure boulangerie de France : le pain à la salicorne. B. Guicheteau
Esthétique et local, le Pain de la mer à la salicorne. B. Guicheteau
À la clé : une pâte moins salée et un pain unique, ultra-esthétique, créé en prévision de son passage dans La Meilleure Boulangerie de France, diffusée sur M6.
Une reconnaissance, comme son label Boulanger de France, affiché sur sa vitrine et explicité sur son site internet.
Installé au cœur de Bayeux, l’artisan est convaincu du retour en vogue imminent des centres-villes, réinvestis peu à peu par les GMS avec la multiplication des drives piétons. B. Guicheteau
Actif sur les réseaux sociaux, Christophe Lepetit ne manque pas une occasion de rappeler ses engagements artisanaux et le savoir-faire ancestral de ses produits.
D. R.
Ce qui ne l’empêche pas de cultiver son approche entrepreneuriale. Jamais à court de projets, il envisage d’acquérir un moulin pour proposer son modèle circulaire à d’autres artisans.