Le premier confinement a permis à certains professionnels de changer de voie. Florian Grad a troqué les étoiles des tables gastronomiques pour suivre son propre chemin. Ce jeune pâtissier alsacien démarrait un contrat au Ritz quand la crise sanitaire a mis fin à sa période d’essai. Avec sa compagne Inès Léotard, également pâtissière et originaire d’Aix-en-Provence, ils décident de s’installer à leur compte dans les Bouches-du-Rhône. « Nous voulions un seul lieu laboratoire-atelier-boutique, une adresse stable », dit Inès, très souriante. Déterminés, ils réunissent toutes leurs économies, et revendent même leur voiture pour avoir un apport personnel plus important. Les banques se laissent convaincre par leur projet au business plan bien ficelé. « Dans le village de Puyricard, à 10 minutes d’Aix-en-Provence, j’ai eu le coup de foudre pour une boulangerie ancienne, que nous avons rénovée entièrement », poursuit Florian. Dans la campagne aixoise, la commune est habitée principalement par des cadres, actifs ou retraités, au pouvoir d’achat conséquent.
Florian Grad se passionne pour le feuilletage, une technique qu’il travaille au beurre AOP. A. Valois
Le jeune couple a des idées, et un réel potentiel. Ils se sont croisés la première fois au Renaissance, un cinq étoiles aixois où il pâtissait et où elle effectuait un stage. Florian Grad est l’aîné et le plus expérimenté des deux. Ses oncles, René et Laurent, sont artisans boulangers-pâtissiers en Alsace. Il a découvert le métier à leurs côtés, puis en apprentissage notamment au Crocodile (restaurant étoilé de Strasbourg). « J’étais mineur, et je restais volontiers à observer en cuisine, raconte-t-il. Je n’oublierai jamais que le chef Émile Jung a poêlé des fraises et cuit une meringue à l’azote devant moi. Cela nous semblait révolutionnaire. Je me suis dit qu’avec des techniques novatrices en pâtisserie je pourrais aller plus loin. »
Un trophée Passion dessert
Plusieurs chefs transmettent à Florian Grad leur exigence de la qualité et de la précision. Comme Jean-Marc Banzo et Dimitri Droisneau. À Cassis, les fenêtres des cuisines de la Villa Madie donnent sur la mer et la majestueuse falaise ocre du cap Canaille. Florian fait une saison avec le chef Banzo, puis officie pendant cinq ans en tant que chef pâtissier de cette adresse deux étoiles. Avec Dimitri Droisneau, la complicité se lit dans chaque dessert dressé, servi et dégusté dans la minute. En 2019, le travail de Florian Grad est salué par les inspecteurs du guide Michelin (trophée Passion dessert).
Gâteau Murmûre : compotée de mûres sauvages, onctueux à la vanille de Madagascar, croustillant amandes et mûres fraîches. A. Valois
Oser l’originalité
De son côté, Inès a fait son apprentissage dans la pâtisserie du maître artisan Marc Favalessa, qui emploie une dizaine de personnes. Également attirée par l’univers de la restauration, elle entre en tant que commis à l’Île Rousse (un établissement cinq étoiles de Bandol, dans le Var). Elle devient rapidement cheffe de partie puis cheffe pâtissière pendant deux ans. « Les prédesserts, desserts et mignardises changeaient chaque jour. Il fallait rechercher des associations improbables. Par exemple, une déclinaison kiwi et pistaches travaillées en crème pralinée », indique la jeune femme, tout aussi passionnée que son compagnon.
À la tête de leur entreprise depuis le printemps 2021, les deux pâtissiers tirent avantage de leurs expériences en restauration gastronomique : « Nous faisons une pâtisserie cuisinée, proche des desserts de restaurant. » Leur originalité vient de leur audace. Ils osent mettre en vitrine une pavlova fraise-citron-basilic, un cheesecake parsemé de coriandre, une tarte aux agrumes (bergamote, main de Bouddha, kumquat, citron caviar) surmontée de pétales de fleurs de tagète, une variété d’œillet d’Inde au parfum de pamplemousse. Florian et Inès font un travail de désucrage de leurs créations. Ils remplacent une meringue par un blanc-manger. Et leur pâtisserie l’Éclair choc ne comprend que le sucre du chocolat.
La pâtisserie désucrée nommée Éclair choc, à base de crème pâtissière au chocolat et grué de cacao. A. Valois
Des produits français
Pour passer du dessert minute servi à table au dessert du jour vendu dans leur boutique, certaines recettes sont adaptées.
« J’ai fait plusieurs tests pour obtenir un croustillant qui tient, et ne soit pas trop détendu. Le crumble était trop dur, le shortbread trop friable. J’ai opté pour un mixte des deux », explique le pâtissier. Il se plaît à travailler les viennoiseries avec le beurre AOP d’une coopérative laitière de Bourg-en-Bresse. Ses fournisseurs sont français, il les sélectionne scrupuleusement.
En cette année d’ouverture, le couple découvre le rythme des ventes réduites en semaine et affluentes le week-end. Inès et Florian sont deux bosseurs. Leurs journées de travail démarrent à 5 heures et se terminent souvent à 22 heures. Ils s’adaptent quand un mail tombe à 22 heures 30 depuis leur e-boutique, signalant qu’un gâteau est réclamé pour le lendemain matin… « Les commandes nocturnes sont fréquentes, avec souvent des achats additionnels », se réjouissent les jeunes entrepreneurs, qui ont embauché et assument pleinement leur choix professionnel.
Repères
> Ouverture : avril 2021
> Superficie du labo : 80 m2
> Boutique : 35 m2
> Effectif : 4 pâtissiers et 2 apprentis