Talentueux, Glenn Viel passe son temps à créer avec sa fougue et son imagination débridée. Depuis 2015 dans les Alpilles, l’Oustau de Baumanière de Jean-André Charial est pour le chef trois fois étoilé un formidable terrain d’exploration, notamment en boulangerie. Une équipe de trois boulangers travaillent avec lui. Ils fabriquent une quinzaine de pains différents afin de proposer à table des accords mets et pains. Les terres de Baumanière produisent du blé. Cette année, il sera moulu en farines fraiches au moulin de son voisin et ami Henri de Pazzis (interview à retrouver ici). Alexie Valois l’a interviewé, écoutez ce qu’il dit à propos du pain. Ecoutez :
Aux Baux-de-Provence, dans les Alpilles, l’Oustau de Baumanière de Jean-André Charial est un formidable terrain d’exploration pour Glenn Viel, notamment en boulangerie. Une équipe de trois boulangers travaillent avec ce talentueux chef trois fois étoilé, qui passe son temps à imaginer des plats. Ils fabriquent une quinzaine de pains différents afin de proposer à table des accords mets et pains.
La Toque : Pourquoi avez-vous attribué au pain une place importante à votre table ?
Glenn Viel : Le pain est un beau support pour un plat : on pousse avec, on aspire bien la sauce. La croûte qui a été bien cuite, apporte du croquant. Elle fait ce petit craquement hyper joli, hyper délicat. Le pain a un juste équilibre dans la texture, on le sent quand il s’écrase un peu sous la main. Le pain n’est jamais la star, c’est un accompagnement. On a cette réflexion avec le vin, on ne l’avait pas avec le pain. J’aime bien tous les pains qui ont une belle croûte, une belle mie.
LT : Quels pains proposez-vous ?
GV : Cela peut être un pain au petit épeautre, avec un levain liquide bien sûr. Nous faisons du pain à la betterave, et un pain au pain recyclé de la veille. On fait 70/30 par exemple. Ca ne va pas changer la face du globe, mais c’est un message : commençons à faire attention. Ce pain à la farine de pain a un côté un peu biscotte que j’aime bien. La magie, c’est souvent les choses les plus simples. Finalement, dans une simplicité vous arrivez à amener de l’émotion. Vous êtes surpris parce que vous ne vous attendiez pas à autant. Nous préférons le gros pain que l’on coupe. Sa durée de vie est beaucoup plus longue. Comme un bon bain dans une bonne boulangerie. Ma volonté est de travailler le plus possible les farines à l’ancienne. C’est pour ça qu’on a créé un second atelier. Cela demande beaucoup plus de temps de pousse. Il faut de la place. Nous fabriquons entre 10 et 15 pains différents par service, justement pour ces accords mets et pains. Pour les clients de 54 chambres, il y a aussi les viennoiseries, chaque jour 120 croissants et 120 pains au chocolat. Nous proposons, je crois, un travail de qualité, avec une vraie réflexion, et l’envie de bien faire.
LT : Du blé pousse à Baumanière, quel est le projet ?
GV : La première année, nous avons mis une variété moderne, pour voir un peu. Puis cette année, une variété ancienne de blé. L’an prochain, on va laisser la terre se reposer, avec un peu de luzerne. Quand la moisson arrive, on se demande combien on va récolter de blé. 700 kilos, sur un hectare, ce n’est pas tant que ça. Nous devrions avoir 500 kilos de farine. Quand on va réouvrir fin mars, on va commencer à moudre la farine au compte goutte, pour essayer d’avoir la farine la plus fraîche possible. Ce sera notre pain. Le pain de Baumanière, qu’on proposera au restaurant gastronomique !
LT : Quelle est votre journée type ?
GV : C’est 15 heures de remise en question. J’ai rêvé toute ma vie. Toute ma scolarité, je m’échappais par l’esprit. Ma journée consiste à créer des plats, des gestes que je réfléchis pour laisser un jour quelque chose dans la cuisine française. C’est, entre guillemets, de la haute couture. Pas une cuisine conventionnelle. Je fais une cuisine philosophique avec des messages. Il n’y a pas besoin de venir dans un 3 étoiles Michelin pour bien manger. On vient dans un restaurant 3 étoiles parce qu’on veut vivre une expérience. Sauf que l’expérience est un parti-pris. Tout le monde ne va pas comprendre. Il y a des gens qui sont très obtus, très fermés, et des gens très ouverts. A travers toute cette philosophie, vous allez perdre en route des gens qui vont vous juger par moment difficilement. Quand j’aurais décidé d’arrêter, 20 ans plus tard, on pourra dire qu’on fait toujours ce plat parce que je l’ai pensé, je l’ai amené au bout, et que ça sert la cuisine française. Je me bats tous les jours pour essayer de trouver des choses intéressantes à raconter et marquer un peu mon passage.
LT : L’un de vos meilleurs souvenirs gustatifs ?
GV : C’est toujours un pain allié à du beurre et du sel. Quand j’étais gamin, j’allais chercher un gros pain, qu’on gardait plusieurs jours à la maison. Je sortais de la boulangerie, je mangeais un peu la croûte. Vous voyez celle qui se casse facilement. Je crois que c’est comme ça que j’ai habitué mon palais à aimer le pain vraiment cuit, pas blanc. J’ai pu comprendre, à ce moment-là, l’acidité et l’amertume que peut dégager une croûte lorsqu’elle est cuite comme je l’aime. Donc ma première éducation au pain a été celle-ci, et j’arrivais chez ma grand-mère, il était tout grignoté déjà.
Propos recueillis par Alexie Valois