ACTUALITÉS Défaillances d’entreprises : plus de peur que de mal ?
Malgré l’inflation sur les matières premières et l’énergie, le secteur de la boulangerie semble plutôt bien résister, même si les faillites vont bon train et que la situation reste fragile. Le point sur une crise en trompe-l’œil.
Au second semestre 2022, la boulangerie artisanale a été fortement impactée par la flambée des prix sur les matières premières et l’énergie, sans compter les difficultés liées à la période après Covid (remboursement des prêts garantis par l’Etat, report des charges sociales, fuite de clientèle…). Avec un chiffre d’affaires en baisse pour près de la moitié des entreprises, la situation est devenue délicate pour de nombreuses boulangeries. Devant les approximations du gouvernement et la complexité des aides mises en place, bon nombre de boulangers ont exprimé leur désarroi et leur colère sur les réseaux sociaux ou dans la rue. Le moral des artisans étant déjà au plus bas en septembre 2022 (comme le montrait le Syndicat patronal des Indépendants dans son Baromètre des TPE), on craignait à juste titre une hécatombe en termes de défaillances d’entreprises pour le second semestre 2022 et le début 2023. Qu’en est-il exactement ? A-t-on des chiffres fiables ?
Une déflagration réelle
Spécialisée dans le suivi des défaillances d’entreprises (procédures de sauvegarde, de redressement ou de liquidation), le cabinet d’études Altares a concentré tous les regards. Dans une étude très récente (1), il dresse effectivement un résultat alarmant en 2022 pour l’ensemble des entreprises (toutes tailles et tous secteurs confondus), et en particulier pour les petites et moyennes entreprises. « Avec 42 500 procédures ouvertes sur 2022, le nombre de défaillances accuse une hausse exceptionnelle de près de 50% par rapport à 2021, un taux jamais observé auparavant. Le nombre global de procédures reste toutefois inférieur de 10 000 (-18%) par rapport aux niveaux de 2019. Si le retour aux normes d’avant Covid s’amorce depuis un an, l’augmentation des défaillances s’accélère de manière alarmante pour les petites en moyennes entreprises dont plus de 3200 ont défailli en 2022 avec le tiers sur le seul quatrième trimestre. Dans ces conditions, 143 000 emplois directs sont aujourd’hui menacés », peut-on lire dans l’étude. Il y a donc bien eu un impact inédit de la crise énergétique sur l’économie du pays. Et ce n’est pas fini.
La boulangerie dans la tourmente
En ce qui concerne la boulangerie artisanale (2), le cabinet enregistre 874 entreprises entrées en défaillance en 2022, soit une croissance annuelle de +124,7% ! Cette hausse est plus de deux fois supérieure à la moyenne nationale (+49,7%) et compte parmi les plus fortes augmentations sectorielles. En janvier 2023, le chiffre s’envole et représente deux fois celui de janvier 2020 (116 défaillances vs 58). Le secteur de la boulangerie subit donc de plein fouet l’inflation. Il est évident que les entreprises les plus fragiles (et les plus fragilisées par la période Covid) n’ont pas pu résister à un tel impact. Des trésoreries trop faibles, des dettes trop élevées, des marges trop restreintes, une clientèle au pouvoir d’achat très bas (rendant impossible toute augmentation des prix), un équipement obsolète et énergivore, une incapacité à pouvoir piloter son affaire (maîtriser ses coûts et réorganiser sa production en conséquence), des concepts vieillissants, une offre de produits médiocre…, les raisons sont certainement multiples et difficiles à évaluer. Il est assez clair que la flexibilité et la résilience de l’entrepreneur ont certainement aidé les entreprises en situation critique à pouvoir se maintenir à flot.
Sous perfusion
La situation a donc été effectivement violente quand on focalise son attention sur l’avant et l’après crise inflationniste, soit entre 2021et 2022. Mais quand on prend un peu de recul, en portant le comparatif sur les années avant covid (époque plutôt calme sur le plan économique et social), l’affaire prend une toute autre dimension. On ne peut que constater que la situation n’est pas si catastrophique que ça et qu’il y a même de très bonnes raisons de revenir à l’optimisme. En effet, le nombre de défaillances sur 2022 (874 entreprises pour rappel) reste en fait nettement inférieur aux chiffres constatés par Altares lors des années avant Covid (avant 2020), période où les défaillances tournaient entre 900 et 1100 faillites par an. Comment comprendre cette nouvelle donne ? Il semble assez évident que les entreprises qui auraient dû défaillir en 2020 et 2021 (période Covid) ont été maintenues à flot grâce aux aides de l’Etat débloquées sur la période. Il est donc logique que ces entreprises déjà fragiles de manière structurelle déposent le bilan en 2022 et viennent gonfler la vague de défaillances liées à la crise inflationniste.
On ne peut que constater que la situation n’est pas si catastrophique que ça et qu’il y a même de très bonnes raisons de revenir à l’optimisme.
Situation en trompe-l’œil
Ensuite, si la situation des défaillances peut effectivement paraître « alarmante » sur les deux dernières années, il est nécessaire d’aller voir aussi du côté des créations de boulangeries pour mettre les données en vis-à-vis. Et là, la perspective change encore totalement puisque les créations enregistrent une forte dynamique depuis les années avant Covid. Ce sont ainsi 2538 entreprises de boulangerie qui ont vu le jour en 2022 dont 2086 créations de nouvelles entreprises et 452 établissements supplémentaires (deuxième affaire voire troisième). Au final, la différence penche davantage du côté des ouvertures que des fermetures. Autrement dit : le nombre de boulangeries en France augmente (33 469 sociétés de boulangeries en décembre 2022). Ainsi, à l’échelle globale, la période de crise que nous traversons est plutôt porteuse pour le secteur malgré l’inflation, comme l’explique Thierry Million, directeur des Etudes Altares Dun & Bradstreet : « Le moral est en berne en ce début d’année 2023. Pourtant, le secteur résiste. La boulangerie-pâtisserie pèse plus de 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Avec plus de 33 000 boulangeries, dont plus de 5 000 à plusieurs établissements, la boulangerie-pâtisserie est un poids lourd du commerce de détail alimentaire. Certes, 2022 a été plus compliquée. Le nombre de défaillances d’entreprises a explosé mais reste encore sous son référentiel d’avant Covid. Le nombre de créations recule après une très belle année 2021. Mais sur cinq ans, les créations compensent les fermetures, le secteur tient. Certains professionnels sont très fragilisés par l’explosion des charges mais les trois quarts des magasins ont encore des fondamentaux solides », explique-t-il.
Au final, la différence penche davantage du côté des ouvertures que des fermetures
Le retour de la boulangerie de quartier
Pour l’avenir à court terme, si environ trois-quarts des boulangeries semblent avoir une bonne capacité de résistance sur 2023, pour certaines ça va être plus difficile (10% présentent un risque sérieux de défaillance, d’après Altares). Aussi Thierry Million invite-t-il à rester prudent. Et pour cause : en janvier 2023, la cabinet a dénombré 116 défaillances, le niveau le plus haut jamais atteint pour un mois de janvier depuis 20 ans ! Mais, rassure-t-il, « le secteur est solide et reste attractif. Il a su se renouveler en dépit des difficultés et de la concurrence des supermarchés dans les villes moyennes ». Selon CMA France, le réseau national des Chambres de Métiers et de l’Artisanat, on dénombrait en 2019 34 225 sociétés de boulangerie et on en compte 35 166 en décembre 2022 (pour un total de 39 000 établissements) ! Après plusieurs décennies de baisse (depuis les années 1970), le nombre de boulangeries en France repart à la hausse, et ce depuis quelques années. On constate le même phénomène pour tous les petits commerces de bouche de proximité (fromageries, pâtisseries, chocolateries, épiceries…). Ce retour est très marquant en milieu urbain et péri-urbain, notamment en région Île-de-France (qui enregistre une hausse du nombre de boulangeries de +20% sur cinq ans !).
Un commerce très populaire
Autre fait saillant : ce ne sont pas forcément les grandes villes au pouvoir d’achat élevé qui enregistrent les plus fortes hausses, mais des départements plus populaires, largement couverts par la grande distribution. Vous l’aurez compris : ce renversement est extrêmement positif pour l’avenir. Quête de sens dans sa consommation, besoin de retrouver des liens sociaux de proximité, passion toujours aussi vive pour les produits de boulangerie, excellente image de marque de l’artisan boulanger, intégration réussie de la restauration rapide, arrivée de nouveaux concepts portés par des reconvertis talentueux… les raisons structurellement puissantes qui peuvent expliquer la solidité et la dynamique de la boulangerie de quartier sont nombreuses. Les multiples crises qu’elle a dû traverser ces dernières années n’ont pas eu raison de la formidable passion qui l’anime.
(1) Altares, Etude de défaillances et sauvegardes des entreprises en France – Trimestre 4 et bilan 2022
(2) Altares, Les tendances du secteur de la boulangerie, 2 mars 2023