À la ferme du Maquis d’Emmaüs, les compagnons du pain
À Moncrabeau, dans le Lot-et-Garonne, la ferme du Maquis abrite la seule communauté Emmaüs en France qui produit ses céréales et son pain. Reportage.
Le pain comme outil d’insertion des migrants. Voilà ce que propose la communauté Emmaüs du Maquis, à Moncrabeau, dans le Tarn-et-Garonne. Depuis deux ans, des paysans-boulangers accompagnent cinq migrants qui espèrent obtenir leurs papiers en France. Du mercredi au vendredi, les fournées s’enchaînent, à partir de levain et des farines de céréales bio produites sur place. « Tout cela a été mis en place par militantisme, ne cache pas Charlotte, l’une des salariés. On est payés au Smic mais on est alignés avec nos valeurs. »
« Un déclic » à la suite d’une maraude d’aide aux migrants
Pour Charles Poilly, le cocréateur de la communauté, boulanger-paysan sur ce lieu depuis 2006, le déclic est venu « en 2018 ou en 2019 ». Par hasard, lui et d’autres se retrouvent dans une maraude d’aide aux migrants à la frontière italienne. « On a passé presque une nuit blanche à essayer d’aider des gens qui venaient de traverser la frontière en plein mois de décembre, en baskets dans la neige. On a joué au chat et à la souris avec la police et on a réussi à amener cinquante personnes jusqu’à un refuge où ils pouvaient faire leur demande de papiers. C’était très marquant. »
Restait à trouver comment les aider. « On a vu l’initiative de Cédric Herrou à Emmaüs Roya, c’était un cadre qui nous correspondait parfaitement. Il alliait le travail à la ferme, l’accueil, le respect de la loi, l’accès au droit pour les personnes accueillies, qui cotisent à l’Urssaf. » En effet, Emmaüs dispose du statut Organisme d’accueil communautaire et d’activité solidaire permettant de faire travailler des personnes demandant des papiers, ce qui n’est pas possible autrement. « En plus, au bout de trois ans chez nous, leur demande de papiers a plus de chances d’aboutir », se félicite Charlotte. Et les compagnons « en profitent pour apprendre un métier ».
« Au début, la pâte te colle aux doigts »
Pas toujours simple, d’ailleurs ! « Au début, je trouvais que faire le pain était très compliqué, admet Moussa, 35 ans. Et puis, on a énormément de farines différentes, qui se travaillent de diverses manières… » Nassir, 36 ans, ajoute : « Au début, la pâte te colle aux doigts et ça n’arrive pas aux autres… Mais après, on s’habitue. Ce qui est bien au Maquis, c’est la vie collective, tous ensemble, les relations sont super. » Aliou Diallo abonde, lui qui vient de quitter la communauté avec un titre de séjour et une embauche dans une boulangerie de la Creuse : « De l’amour s’est créé au Maquis, c’est vraiment ça que j’ai ressenti. »
Reste les contraintes plus terre à terre du quotidien. À commencer par les exigences économiques : « On a obtenu quelques aides mais on devra être autonome en 2025, anticipe Charles Poilly. On y croit. On a lancé une activité de semences potagères parce que celle du pain ne suffisait pas. » L’objectif, à terme, est d’accueillir quinze compagnons, accompagnés toujours par cinq salariés et une vingtaine de bénévoles ; et pourquoi pas de créer un partenariat avec des boulangers locaux, qui pourraient montrer leur façon de faire aux compagnons tentant de passer le CAP.