Cap sur les nouveaux engrais
Décriés pour leurs effets sur l’environnement et leur provenance parfois douteuse, ces intrants sont amenés à se renouveler dans leurs formes, leurs natures ou leurs origines. Décryptage.
Environ la moitié des aliments produits dans le monde le sont grâce aux engrais minéraux*. La production alimentaire s’est ainsi rendue dépendante de ceux-ci, fabriqués à partir d’énergie fossile pour l’azote ou extraits de mines pour le phosphore et la potasse. La filière française du blé panifiable est tout particulièrement concernée par cette dépendance vis-à-vis de l’azote, dont elle est la principale consommatrice (lire La Toque n° 362). Cela pose le problème de la souveraineté alimentaire en l’absence de gisements français des matières premières nécessaires à la fabrication de fertilisants minéraux, comme le souligne un rapport d’études de FranceAgriMer diffusé fin octobre**.
En outre, du point de vue environnemental, l’utilisation d’azote minéral est critiquée pour les pertes — dans l’eau sous forme de nitrates et dans l’air sous forme de protoxyde d’azote — d’un gaz à très fort effet de serre. La production d’azote dégage aussi des gaz à effet de serre. Les cycles géochimiques de l’azote et du phosphore sont par ailleurs reconnus comme faisant partie des quatre limites planétaires (sur neuf) déjà dépassées (aux côtés du climat, de la biodiversité et de l’introduction de nouvelles entités, comme le plastique).
Les engrais organiques
La première piste sérieuse pour répondre, au moins en partie, à ces défis est de se concentrer sur le recyclage des matières organiques, avec le principe de retour au sol des minéraux sortis des champs par l’alimentation ou par l’élevage. Ces matières ont par ailleurs comme qualité d’être issues de ressources renouvelables. « La tendance de fond est à la croissance de ces marchés des engrais organiques, même si cela a été plus délicat en 2024 car l’agriculture a eu moins les moyens d’investir et que la météorologie pluvieuse a rendu difficile les épandages de ces produits parfois pondéreux », nous confie un fabricant français positionné également sur les engrais minéraux.
Dans ce contexte, la recherche s’investit en vue de renforcer leur efficacité pour la nutrition végétale ainsi que celle des fonctionnalités associées. On compte notamment comme axes de travail : la réduction des pertes, l’enrichissement du sol en matière organique et en carbone, l’amélioration de sa structure et de ses propriétés physico-chimiques, comme l’acidité. Le directeur scientifique de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement Christian Huyghe, espère ainsi que l’amélioration des valeurs fertilisantes des effluents d’élevage permettra de créer des transferts de fertilité entre zones d’élevage et céréalières, et ainsi de reconnecter et de rééquilibrer ces bassins. La problématique étant aussi celle de la diminution de l’élevage bovin en France, et donc celle de la production des effluents.
Urines humaines
Parmi les engrais organiques, plusieurs initiatives récentes visent à mieux employer les excreta humains (urines et fèces), dont une grande partie de la valeur fertilisante est perdue (incinération des boues et pertes de l’azote en station d’épuration). Un biostimulant à partir d’urines humaines mis au point par la société française Toopi Organics — le Lactopi Start — a été homologué pour le blé. L’urine humaine est riche en azote et en phosphore.
Des expérimentations ont ainsi lieu en Île-de-France pour valoriser directement des urines issues de festivals. Il reste des problématiques liées aux volumes importants à stocker et à la volatilisation de l’azote, qui reste élevée lors de l’épandage. La collecte à grande échelle est un autre défi. Un vaste programme de recherche-action baptisé Ocapi (pour Organisation des cycles carbone, azote, phosphore dans les territoires), sur les systèmes alimentation-excrétion et la gestion des urines et matières fécales humaines a ainsi été lancé pour étudier les freins et les leviers.
Le recyclage sous forme d’engrais est également envisagé pour les déchets alimentaires, qui devraient aujourd’hui être séparés à la source chez les particuliers. Plusieurs voies sont possibles pour en faire de nouveaux engrais par compostage ou par méthanisation (qui produit des digestats fertilisants solides ou liquides). Pour l’agronome Francis Bucaille (auteur de Revitaliser les sols), la meilleure solution écologique et agronomique consisterait à utiliser ces déchets pour nourrir des élevages de volailles ou de porcs, puis de récupérer les fientes.
Protéger l’engrais
Afin de réduire les pertes et d’améliorer l’efficacité fertilisante, l’innovation en matière d’engrais organique ou minéral pour la production de blé s’attache notamment à la protection des éléments fertilisants, dont l’azote. L’essentiel du bilan carbone d’une culture se joue autour des pertes d’azote au champ. « C’est véritablement l’œil du cyclone », insiste notre fabricant français d’engrais. Cependant, des méthodes vertueuses de protection des engrais doivent être trouvées, à la fois efficaces et n’ajoutant pas dans le milieu naturel des additifs susceptibles d’être problématiques.
Des engrais régénératifs
L’engrais utilisé par la plante est converti en biomasse végétale. C’est donc potentiellement un bon outil pour capter du carbone de l’air. En développant des engrais régénératifs, comme le propose par exemple la société Yara, il est même possible d’espérer accroître la biomasse produite avec une hausse des matières organiques, telles les pailles, mais aussi les exsudats racinaires ou foliaires et ainsi nourrir encore mieux le sol avec des restitutions produites par la plante elle-même.
On passerait alors d’une situation où les engrais contraignent à la dépollution à une où ils sont un outil, capable de régénérer la matière organique des sols et même de stocker du gaz carbonique sous la forme de matière organique stable et durable dans le sol. Ces fertilisants visent ainsi à effacer les effets négatifs des engrais (les pertes) pour se concentrer uniquement sur leurs aspects positifs de production de biomasse.
Un nouveau modèle
Ce changement complet de modèle ne pourra avoir lieu qu’avec une bonne connaissance et un bon pilotage des pratiques et de la fertilité également physique (structure, aération) et biologique. Ces deux aspects jusqu’ici assez largement ignorés par l’agronomie, sont essentiels pour l’efficacité environnementale de l’engrais. « À la suite des épisodes de pluies excessives rencontrées en 2024, les rendements en blé français ont été très fortement réduits, avec la pire moisson rencontrée depuis quarante ans. Cela est lié aussi à de mauvais enracinements qui n’ont pas permis une bonne valorisation de l’azote », insiste notre fabricant d’engrais. De nouvelles formulations de nutriments apportent ainsi des solutions en agissant sur la qualité des enracinements. Ces engrais novateurs ne se concentrent plus uniquement sur l’apport d’un minéral, ils visent désormais le système sol-plante-climat dans son ensemble.
* L’autre moitié étant le produit de la fertilité naturelle des sols et des restitutions de matières organiques (fumiers, composts, feuilles, pailles etc.). Chiffre de l’Union des industries de la fertilisation.
** Étude sur le fonctionnement général du marché des engrais minéraux dans la situation spécifique des filières grandes cultures, publiée en octobre 2024 et à laquelle l’auteur de cet article a participé.