Gaël Clavière et Jérôme Blin : les créateurs de “Mue-temps”, la robe audacieuse du Salon du chocolat 2024

Gaël Clavière et Jérôme Blin : les créateurs de “Mue-temps”

La création originale “Mue-temps”, imaginée par Gaël Clavière, chef pâtissier de l’Hôtel de Matignon et Jérôme Blin, couturier plasticien à Paris, a créé l’événement lors du défilé inaugural du Salon du chocolat, mardi 29 octobre dernier, avec une robe qui a fondu sur place. Retour sur cette performance, avec ses créateurs.

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Surnommé le Dali de la pâtisserie, Gaël Clavière, devenu chef pâtissier de Matignon à 26 ans, attendait le bon moment pour proposer sa robe au défilé du Salon du chocolat. Une idée qu’il a pu concrétiser en rencontrant Jérôme Blin, couturier plasticien à Paris. Tous les deux se sont lancés dans une expérience « un peu dingue » en créant une robe en chocolat qui se désintègre sur scène en direct. Une première mondiale.

La Toque magazine (LTM) : Êtes-vous satisfaits de votre performance ?

Gaël Clavière (GC) : C’était un gros pari. Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de gens qui prennent des risques comme ça et se disent : “Je mets ma carrière en jeu”. Surtout devant tous les représentants de la gastronomie et du Président, la presse, les professionnels… Il y a plein de paramètres qui auraient pu faire que ça ne marche pas : que la cabine casse, que le modèle tombe, que le chocolat ne fonde pas… C’était one shot. On a fait des essais avec des bouts d’éléments, mais jamais avec la robe entière. Pendant la performance, j’avais les yeux rivés sur le retour visuel en coulisses et, au cours de la première minute, j’avais l’impression que rien ne bougeait, c’est-à-dire que rien ne fondait. Puis, au bout d’un moment, ça a commencé à se désintégrer. Je suis satisfait de cette performance parce qu’elle est vraiment arrivée à son terme, avec tous les éléments que nous voulions mettre dedans, c’est-à-dire le parfum, la musique, et cette fameuse cabine qui devait chauffer. Il y avait beaucoup de sécurité à prévoir : au niveau du modèle il fallait trouver la personne qui accepte aussi. Cela a été quand même un succès incroyable à la fin de l’inauguration. Du chocolat qui fond, sur un modèle, sur scène, dans une cabine, à une température à 60 degrés Celsius, ça, c’est une première. Une première mondiale.

Jérôme Blin (JB) : Cela peut paraître prétentieux, mais je pense que nous avons relevé ce défi, qui était un peu dingue ; c’est-à-dire qu’il fallait que la robe reste intacte pendant les trente premières minutes du défilé. Le chocolat, ce n’est pas un matériau habitué à accueillir un corps en mouvement. Il fallait vraiment que rien ne se détache ou, en tout cas, un minimum de choses. Puis, qu’elle commence, à l’autre extrême, à se désintégrer. Il y avait un cahier des charges technique assez inhabituel. Et d’un point de vue esthétique, cette création, c’est ce que l’on avait imaginé ; et c’est toujours troublant de voir que le résultat final est très proche du croquis initial.

LTM : Gaël Clavière, pouvez-vous nous raconter comment est née cette création et votre rencontre ?

GC : Depuis 2019, je voulais faire une robe et le défilé. Je voulais quelque chose d’exceptionnel et qui fonde. Après : quand ? avec qui ? et comment ? Je ne savais pas encore… Pendant des années, je suis revenu au salon pour voir le défilé et me rendre compte de ce que je souhaitais vraiment voir sur la scène. La durée de défilé pour le modèle ; j’écoutais la musique, j’analysais les lumières, j’observais tous les détails possibles. C’est aussi l’histoire d’une rencontre, d’un regard. On ne se connaissait pas du tout avec Jérôme, on s’est rencontrés dans une galerie grâce à une personne en commun qui est artiste aussi, Frédérique Tilly, bronzier d’art. Je n’ai pas mis très longtemps à le rappeler pour lui demander s’il était partant.

JB : Sans le verbaliser, il y a eu un check en mode “Ok, on le fait”. On se lance dans cette expérience, et on s’engage sur quelque chose de totalement éphémère. Personnellement, cela fait un peu écho aussi à mon parcours parce que, dans une précédente vie, j’ai été fleuriste, et ce qui me plaisait dans ce métier, c’était de montrer une création éphémère, à laquelle je suis habitué. Ce qui a été assez extraordinaire c’est que, quand bien même Gaël [Calvière, NDLR] était à l’origine de ce concept, il a choisi de rentrer complètement dans mon univers, c’est-à-dire de s’inspirer un peu de ma signature, de mon écriture, à savoir la fameuse colle à chaud.

(© DR)

LTM : Sur quel chocolat s’est porté votre choix ?

GC : Pour cette performance, on recherchait vraiment l’aspect visuel. J’aurais pu travailler avec n’importe quel chocolat : j’ai pris le plus noir possible. J’ai ajouté un peu de colorant liposoluble noir, parce que le but c’était vraiment de rester sur du noir pour rappeler le vêtement de Jérôme Blin. J’ai utilisé un chocolat classique, plus riche en matière grasse et j’ai ajouté un peu d’huile de pépins de raisin pour accélérer le processus de fonte.

LTM : Comment avez-vous constitué la robe ? Est-ce qu’il y a eu une recherche au niveau corporel, comme le chocolat est une matière assez rigide à froid ?

JB : La colle était placée à des endroits stratégiques, le vêtement devait se poser sur le corps et rester en place. Ensuite, le chocolat a quelquefois recouvert cette colle parce que Gaël avait constaté, lors de ses essais, que posé sur la colle il fondait moins vite, et c’était aussi tout l’intérêt de cette performance, pour que cette fonte soit évolutive.

LTM : Les épaulettes de la robe étaient assez monumentales…

JB : C’était aussi un défi pour le modèle parce qu’il fallait qu’elle marche et que ce soit élégant. Il y a des parties qui sont censées moins bouger quand on marche, par exemple, les épaules. C’est pour cela aussi qu’au niveau de la taille, il y avait très peu de matière. Quand on marche, même très lentement, c’est une zone qui bouge et qui fait des plis naturellement. Il y avait aussi des branches au niveau du bas-ventre, c’est un endroit qui reste relativement stable quand on marche ; même chose pour la poitrine. Pour le dos, on avait cette espèce d’arête parce que la colonne vertébrale — le milieu du dos — est aussi moins sujette au mouvement. Il fallait que la fonte soit spectaculaire, et c’est vrai que, dès le début, on s’est dit que ça devait se décoller le plus haut possible tout en respectant le fait qu’il était nécessaire que cela rentre dans une cabine. Le modèle de la robe a été dessiné aussi par rapport à ces contraintes techniques.

LTM : Comment avez-vous travaillé le chocolat pour cette création ?

GC : C’était intéressant de travailler la matière, de l’état solide à l’état liquide. Mon but n’était pas de prendre un chocolat de très haute qualité. Pour ce dernier, on recherche le goût, la provenance, l’origine. Ici, je voulais juste un chocolat qui soit solide, noir, que je travaille pour qu’il fonde. Les branches sont en fil d’acier, recouvert de colle à chaud de Jérôme Blin. Après, je suis venu déposer du chocolat dessus et faire des formes très fines sur le sommet.

LTM : Un autre élément majeur de la performance, c’est la cabine qui a servi à la fonte. Comment l’avez-vous créée et imaginée ?

GC : Le plus gros défi, bien sûr, ça a été de construire cette cabine de sept cents kilos sur place, puis de la déplacer sur une scène qui est faite pour accueillir un défilé. Déjà, ils ont eu du mal à la mettre sur la scène. Il fallait un matériau qui accepte la chaleur avec les radians. Les matériaux étaient nobles, ils ont choisi de mettre du verre. L’armature est en métal, c’est un beau matériau et, forcément, ça a un poids. C’était aussi intéressant de voir l’évolution de la chauffe et du modèle. Heureusement qu’on avait fait deux tests avant. J’étais moi-même rentré avant pour tester la chaleur afin que ce soit supportable pour le modèle, car ce sont des grille-pains. Franchement, c’est un bijou, cette cabine.

LTM : Tous les sens étaient mobilisés entre la performance visuelle, le parfum, la musique. Il manquait juste le goût. Est-ce la limite de votre création ?

GC : C’est un parti pris. Ça ne me dérange pas que le public ne mange pas le chocolat, ils ont tout le salon pour en manger (rires). C’est pour cela que j’ai voulu utiliser le parfum ; lorsqu’il est bien gourmand, bien dosé — voire fortement —, on le sent, et on l’a en bouche. On ne le mange pas, mais presque. C’était intéressant aussi de le “déguster” de cette façon. Évidemment, on savoure la pâtisserie. Là, quand on fait une œuvre, une construction, une performance… dans le but qu’elle fonde, on sait personnellement que, derrière, on ne va pas la manger.

LTM : D’ailleurs, quelles sont les notes du parfum qui ont été diffusées lors de la performance ?

GC : Le parfum était composé de notes assez gourmandes et sucrées : de vanille, de sésame grillé et de cacao. Il y avait aussi un peu de vétiver. Il fallait qu’il se diffuse instantanément.

JB : Le vétiver produit une note très fraîche, mais avec ce côté grillé de notre ingrédient on arrivait à un goût, une odeur un peu plus boisés. Et même avec le chocolat, cela a des notes terreuses, donc cela fait écho au végétal. Mais pas le végétal de petite fleur, plutôt de racines, de branches. Ce qui est en lien avec la robe.

(© DR)

LTM : Le thème de ce salon 2024 était le temps. Votre création s’appelle “Mue-temps” avec un côté futuriste, d’alien. Pourquoi ? Quelles ont été vos inspirations ?

GC : Jérôme a très vite trouvé l’idée. Cela faisait sens avec la mue de la robe, et puis le voyage dans le temps tout au long du défilé. C’est ce qui est très intéressant, quand on fait une performance, c’est de trouver un titre et pas de dire : “J’ai fait une robe”. Quand on parlera de “Mue-temps”, on saura ce que c’est, on aura le titre et la performance derrière. C’est une œuvre éphémère.

JB : On ne voulait pas faire simplement une alien, parce que ça a été fait et refait. Il y avait une petite référence aussi à Luc Besson et au Cinquième Élément, mais sans le dire. Ce sont des inspirations, mais on voulait aussi raconter notre histoire.

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