Emploi : l’opération séduction de la meunerie

La médiatisation de la meunerie auprès du grand public est un enjeu fondamental pour l’avenir.

Pour faire face au manque de personnel, la meunerie française et les syndicats représentatifs de la boulangerie se sont organisés afin d’attirer les jeunes dans leur filière et d’adapter l’offre de formations aux besoins des entreprises. Le point sur ce qui a été mis en place.

Le secteur de la transformation alimentaire souffre d’un certain désintérêt de la part des jeunes, qui préfèrent s’orienter vers les métiers du tertiaire, jugés plus valorisants et plus créatifs. La meunerie pâtit en plus d’une grande méconnaissance de son activité de la part du grand public et doit revaloriser ses métiers pour préparer l’avenir. Alors que la boulangerie artisanale bénéficie d’une bonne image et d’une meilleure visibilité (via les émissions de télévision, les réseaux sociaux, les concours, etc.), les entreprises meunières sont au pied du mur : 97 % d’entre elles sont en situation de recrutement actif. Comment faire tourner les moulins aujourd’hui et assurer le renouvellement des générations si le métier reste aussi méconnu ?

Le premier contact

La priorité consiste en effet à faire connaître les métiers du grain, qui ont de nombreux atouts pour séduire la jeunesse, comme le souligne Ilian Beffara, jeune conducteur de ligne au sein du groupe Les Moulins Associés.

« J’ai démarré par un bac pro boulangerie-pâtisserie, raconte-t-il. Mes parents étant gérants d’une boulangerie, je m’inscrivais dans la continuité familiale… sans réelle motivation. Je n’avais aucune idée de ce qu’il y avait derrière la farine. Un jour, le boulanger conseil des Moulins Fouché m’a invité à découvrir le fonction­nement du moulin. Ce fut un déclic ! J’ai décidé de me réorienter vers un brevet de technicien supérieur agricole Sciences et techno­logies des aliments [BTSA STA] option Produits céréaliers, en alternance à l’École nationale supérieure de meunerie et des industries céréalières [Ensmic] (lire ci-après). En dehors du contact avec une matière vivante, toujours différente, ce qui me plaît au quotidien c’est d’avoir à maintenir un outil de production en bon état de fonctionnement et de propreté, tout en ayant la possibilité de chercher des solutions pour améliorer le process ou résoudre des problèmes de blés, de farines, de machines… La satisfaction des clients et celle du travail bien fait nous pousse toujours à nous améliorer ! »

De son point de vue, les meuniers devraient communiquer davantage sur leur métier avec les outils utilisés par les jeunes (les réseaux sociaux, notamment) et aller à leur contact (en collèges, centres de formation d’apprentis [CFA], lycées professionnels, etc.) afin de transmettre leur passion. Les “déclics” ont souvent lieu via les échanges en direct.

Une campagne multimédia nationale

Prenant conscience de cet immense défi de communication, l’Association nationale de la meunerie française (ANMF) a lancé une vaste campagne nationale, en partenariat avec les syndicats représentatifs de la boulangerie française. L’opération baptisée Chasseurs de graines, annoncée lors du Salon international de l’agriculture (SIA) en 2023 et lancée en mars 2024, a été relayée largement dans les médias régionaux et nationaux, sur les réseaux sociaux, lors du SIA 2024, et dans de nombreuses boulangeries participantes via la distribution de sachets baguette invitant à se rendre sur le site chasseursdegraines.fr.

La campagne Chasseurs de graines veut dynamiser l’attractivité de la filière (ci-contre : Anne-Céline Contamine, directrice générale de l’Association nationale de la meunerie française aux Journées techniques des industries céréalières 2024). (© A. TANDEAU)

Socle du projet, ce portail internet à double entrée (boulangerie et meunerie) donne accès à un guide des formations (orienté meunerie), des vidéos de témoignages, des fiches métiers, une carte interactive permettant d’identifier les écoles et centres d’apprentissage en boulangerie et, côté meunerie, les moulins qui recrutent.

À noter qu’en 2025, le site devrait aussi afficher les offres d’emploi de France Travail en meunerie. Des visites de moulins sont aussi prévues pour la presse, en vue de donner plus de visibilité à cette activité si méconnue (et pourtant si chère aux Français). Le site est donc appelé à monter en puissance.

Mais déjà, le bilan chiffré de la campagne est très positif. « À ce jour [début décembre 2024, NDLR], le site a accueilli plus de 19 000 visiteurs depuis son lancement en mars 2024. Afin de soutenir le trafic sur le site, près de 90 millions de sachets baguette ont été imprimés. Sur les réseaux sociaux du groupe Meta, notre communication rencontre un véritable succès avec plus d’un million de vues cumulées. Pour couronner cette première saison, le projet a reçu le premier prix en Stratégie de communication aux Trophées du Centre d’études des directeurs d’associations professionnelles 2024 », explique Yann Gérard, responsable communication de l’ANMF.

Un défi collectif et digital

Moteur essentiel du trafic vers le site, le sachet baguette de l’opération, accessible à moindre coût, est distribué par les meuniers participants (sur demande) ou par l’ANMF (sur commande). « L’opération fonctionne très bien dans les régions Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur… souligne Yann Gérard. Nul doute que d’autres régions suivront le mouvement si une dynamique est lancée localement via les meuniers et les syndicats départementaux ou régionaux de la boulangerie. Sur les réseaux, plus les vidéos seront relayées, plus la campagne gagnera en impact. Nous encourageons vivement les boulangers et les meuniers à participer à cet effort ! Pour faire connaître leurs métiers, ils disposent de multiples leviers : vidéos au moulin diffusées sur Instagram ou Youtube, portes ouvertes en boulangerie en présence du meunier, ouverture du moulin aux collèges, lycées et CFA avec invitation VIP pour les filières alimentaires, etc. En termes de stratégie, il nous paraît important de casser les préjugés que le grand public peut avoir sur les métiers de l’industrie et de l’alimentaire, insiste-t-il. Les charges lourdes, les tâches ingrates et répétitives ; le désintérêt pour l’environ­nement, la santé et la sécurité alimentaire… tout cela n’existe plus dans les moulins modernes. Il est possible de montrer que le métier est épanouissant et qu’il a du sens. Le milieu agricole est riche d’influenceurs hommes ou femmes qui en renvoient une image positive. Nous pourrions nous en inspirer ! » suggère le responsable communication de l’ANMF.

La formation s’adapte au métier

Partie prenante des grands défis de la filière blé-­farine-pain, l’Ensmic, implantée au sein du Campus de l’alimentation, à Surgères (Charente-Maritimes), compte bien aussi jouer son rôle. À l’occasion de son centenaire, fêté les 7 et 8 novembre 2024 (dans la continuité des Journées techniques des industries céréalières organisées les 6 et 7 novembre [lire en page 19]), l’école a ouvert ses portes aux professionnels, avec la participation active des élèves et de ses partenaires (Bellot Minoteries, groupe Bühler, Anton Paar, notamment).

« Notre école a toujours eu l’ambition d’adapter ses formations aux besoins du marché et des professionnels, explique Marie-Pierre Gousset, directrice du campus. Pour la filière céréales nous travaillons avec la profession. Ainsi, la nouvelle formation phare pour la meunerie, le BTSA Qualité, alimentation, innovation et maîtrise sanitaire [Bioqualim] option Aliments et processus technologiques-­produits céréaliers, a remplacé l’ancien BTSA STA, indique-t-elle. Ce nouveau BTS apporte davantage de latitude dans la connaissance des céréales et de polyvalence dans la conduite d’ateliers de transformation — process, qualité, sécurité alimentaire, maintenance, gestion, management… — car le travail du meunier s’est beaucoup diversifié. Pour les salariés en reconversion, nous avons lancé aussi un certificat de qualification professionnelle Conducteur d’installation de transformation des grains et, en boulangerie, nous ouvrons un certificat de spécialisation Tourier. Dans cette logique d’insertion professionnelle, nous bénéficions aussi d’équipements modernes : un moulin pilote unique en France, un fournil professionnel, ou encore un large parc d’équipements d’analyses. Si notre vocation est de moderniser les parcours et de les valoriser auprès des candidats — via des salons, des forums, des journées portes ouvertes… —, notre engagement pour l’attractivité des métiers peut difficilement aller plus loin », assure la directrice du Campus de l’alimentatio­n.

Pas de secret : les meuniers doivent sortir de leur moulin et continuer à aller au-devant des jeunes pour leur faire découvrir leur univers et leur donner envie de se projeter dans ces carrières d’avenir.

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