Quelles sont les pratiques propres à la panification des blés anciens ?
La redécouverte de ces variétés nécessite une grande adaptabilité, qui passe aussi par le partage d’expériences entre pairs lors d’ateliers. Nous avons assisté à l’un d’eux le 2 juin dernier, organisé chez l’artisan boulanger David Kühl par l’association normande Triticum.
Par plaisir du goût, par souci écologique, par défi technique, par intérêt nutritionnel ou patrimonial, pour se singulariser... les objectifs visés dans la mise en œuvre de farines issues de variétés dites anciennes ou paysannes sont nombreux. Cependant, les techniques de panification méritent d’être adaptées. « L’enjeu, c’est d’être capable de travailler des petits lots, chacun étant le reflet de la semence, du terroir et du millésime de l’année. À travers ces farines paysannes, il y a un lien unique et essentiel qui se crée avec les agricultrices et les agriculteurs car la plupart du temps, le circuit de commercialisation est très court. On va à rebours de la recherche d’un produit normé », insiste Jérôme Perrin, formateur en panification des farines paysannes. Il intervenait devant une dizaine de professionnels le 2 juin dernier lors d’un atelier boulangerie organisé par l’association normande Triticum chez le boulanger David Kühl, à proximité de la ville de Camembert, dans l’Orne.
Se rapprocher de ses pairs
Selon le formateur, « l’objectif est justement d’exprimer toute cette spécificité et toute cette histoire humaine, territoriale, historique, génétique et climatique dans le produit fini. C’est pourquoi on travaille souvent avec des variétés pures qui peuvent être emblématiques d’une région, comme le blé japhet, un descendant du blé de noé cultivé dans la baie du Mont-Saint-Michel, ajoute-t-il. Le geste du boulanger est aussi très stimulant, comme la possibilité de raconter la démarche aux consommateurs. » « Dans le réseau, on dit que tous les blés sont panifiables, hors problème de qualité sanitaire, comme les mycotoxines. C’est une question de technique et de savoir-faire, de sentir sa pâte et de s’y adapter », complète Raphaëlle Mann, chargée de projets agronomie et filières de Triticum.
Le jour de l’atelier, les boulangères et boulangers devaient d’ailleurs panifier, entre autres, des variétés pures de blés tendres saint priest et mottet-blanc, de seigle de pluvigner ainsi qu’un mélange de blé “Triticum 1” issu de la sélection menée par l’association éponyme. La farine est comptée à 1 kg par personne et par variété car elle provient de petits lots semés à titre conservatoire et expérimental. Ces mini-pétrins sont cependant largement suffisants pour que chacun puisse sentir la pâte, adapter son geste, donner ses conseils et ses impressions. « C’est plus facile d’apprendre à plusieurs. Les boulangers sont parfois seuls face à ces problématiques, et ils n’ont pas toujours le temps », constate Raphaëlle Mann.
S’adapter à des farines « typées » riches en fibres et en amidon endommagé
« Ces farines issues de variétés anciennes sont des farines typées, généralement produites sur meule de pierre, complète Olivier Doublet, formateur de l’Institut national de la boulangerie pâtisserie (INBP). Elles contiennent donc une partie du germe du blé, avec un petit plus en matière de lissage de la pâte grâce aux matières grasses. Ces farines présentent généralement plus de fibres, ainsi que des quantités d’amidon endommagé un peu plus importantes. Deux éléments qui vont permettre, selon les cas, d’hydrater un peu plus, poursuit-il. Avec des glutens moins tenaces, il convient cependant de limiter le pétrissage. Un simple frasage suffit en général, avec des rabats au pointage pour apporter la force qui fait souvent défaut. J’aurais aussi tendance à conseiller d’utiliser des farines ayant un peu de plancher [temps de repos de plusieurs jours après la mouture, NDLR], afin que les acides gras essentiels issus du germe aient eu le temps d’acidifier la farine et qu’ils puissent mieux contribuer à lier les glutens entre eux. » Ces farines sont généralement travaillées avec des pointages retardés, c’est-à-dire avec des fermentations assez longues et très peu de pétrissage. « Une attention particulière doit être portée pour éviter qu’il y ait trop de dégradation des glutens et de l’amidon sur ces farines, qui contiennent parfois beaucoup d’enzymes », explique Olivier Doublet. Il faut donc adapter les quantités de levain ou les temps de fermentation, ainsi que les températures.
Donner de la force avec le levain
En plus des techniques de faible ensemencement, très utilisées avec des farines paysannes, le formateur de l’INBP pratique également des panifications avec d’importantes quantités de levain : 200 à 400 grammes par kilogramme de farine. Il recherche alors l’acidité avec le travail sur levains durs, pour lier les glutens et ainsi apporter plus de force à la pâte ainsi qu’une meilleure crache à la cuisson. L’emploi de levains jeunes a aussi pour effet d’améliorer l’activité fermentaire et la prise de volume. L’intégration de quantités importantes de levain apporte, enfin, des arômes appréciables mais à bien mesurer si l’on veut également révéler le goût spécifique de sa variété de blé.
Travail en direct, pointage en bac à froid en masse, fermentation indirecte et technique du pré-poussé bloqué... Les variétés anciennes de blé travaillées sur levain peuvent être mises en œuvre autour de très nombreux “diagrammes de panification”. « Chacun s’adapte à son propre rythme de travail, à son équipement, à ses objectifs de vie, au sens qu’il veut donner à son travail, observe le formateur Jérôme Perrin. C’est ce que l’on constate d’ailleurs sur le terrain. Nous ne voyons jamais deux artisans travailler de la même manière. Panifier les variétés anciennes n’a absolument rien d’insurmontable. Il faut surtout être curieux et avoir envie d’adapter en permanence sa pratique. »