Sur Insta, YouTube, TikTok : les prescripteurs, ce sont eux (1/2)
Chefs, artisans, professionnels ou autodidactes, créateurs de contenus… Il existe divers profils d’influenceurs en boulangerie-pâtisserie. Leurs points communs : une passion pour le métier, de (très) nombreux abonnés et une expertise notable en marketing d’influence.
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Un café, un salon de thé, des adresses à l’étranger… Mais où va s’arrêter Cédric Grolet ? Le pâtissier aux 9,6 millions d’abonnés sur Instagram est en train de construire un empire sur son nom. Et le public suit. Pour preuve : les files d’attente quotidiennes devant sa boutique parisienne. « Dans le secteur culinaire, les meilleurs influenceurs, ce sont les chefs eux-mêmes », analyse Sébastien Séchaud, fondateur de l’agence de communication lyonnaise Du Bruit au balcon.
À l’instar de Cédric Grolet, de nombreux pâtissiers cumulent des milliers d’abonnés et de vues, tels Amaury Guichon, Yann Couvreur ou Aurélien Cohen. Leurs points communs : des créations époustouflantes (le fameux effet whaou), un art de la mise en scène et une maîtrise des outils digitaux, vidéo en tête — celle-ci étant actuellement valorisée sur Instagram, Facebook, YouTube, TikTok, etc.
À quelques exceptions près, comme Éric Kayser ou Jean-François Feuillette, plus rares sont les boulangers à cartonner sur les réseaux sociaux et à avoir réussi à faire de leur nom une marque. « Le sucre reste associé au plaisir, à la gourmandise, à l’enfance. En pâtisserie, les créations sont plus esthétiques et les possibilités infinies. D’où sa viralité en ligne », analyse le boulanger Laurent Bocquet, du compte Instagram @lamagiedespains, nom également donné à ses deux magasins.
Basé à Avignon, ce dernier s’est constitué une communauté de 59 000 abonnés en partageant sa vision du pain et des tutoriels sur YouTube, tout comme son confrère Fabrice Cottez alias @boulangeriepasapas sur Instagram. Passionnés de transmission, les deux artisans — aujourd’hui consultants et formateurs — ont utilisé le Web comme une vitrine et un tremplin professionnels.
« Publier régulièrement, montrer les coulisses »
« Avoir une audience digitale est une opportunité pour développer ses activités, étoffer son réseau B to B, générer des ventes. Cela peut même être un argument pour négocier ses prix matières », observe Anton Galliano, fondateur de l’agence de communication social média Culinary Agency.
En 2024, comment réussir à se démarquer dans la jungle des réseaux sociaux ? « En incarnant son message et en cultivant son personnage, avec une véritable identité différenciante », à l’image de Laurent Bocquet, aux visuels saturés et aux pains (très) bien cuits. Autres conseils dispensés par Anton Galliano : « Publier régulièrement, montrer les coulisses, raconter des histoires-anecdotes pour créer des liens avec sa communauté, donner des clés de production et partager ses recettes — une technique intemporelle qui fonctionne toujours bien. »
De nombreux “créateurs de contenus”, stars des réseaux sociaux, ont construit leur notoriété sur cette stratégie. Amateurs éclairés, ils ont été propulsés sous les projecteurs par les réseaux sociaux et/ou des émissions de téléréalité, dont Le Meilleur pâtissier sur M6. Certains bénéficient d’une audience plus large et engagée que des professionnels du métier, captant ainsi projets, parrainages et partenariats avec des marques.
Citons Les Ateliers de Ludo (Le Meilleur pâtissier, promotion 2018) qui propose des masterclasses et des ateliers virtuels, gratuits et payants ; tout comme, son (malheureux) co-finaliste Charles Fraboulet, du binôme Charles & Ava, 330 000 abonnés cumulés sur Instagram et YouTube. Anciens étudiants en médecine devenus experts en pâtisserie et en marketing digital, ces derniers ne manquent pas de mentionner leurs sources et modèles professionnels, alimentant ainsi la visibilité de certains artisans.
Collaborer avec des influenceurs, c'est gagnant-gagnant
Loin de snober ces créateurs de contenus, le pâtissier Aurélien Cohen leur ouvre ponctuellement sa boutique-atelier d’Asnières-sur-Seine, le temps d’une masterclass : une opération gagnant-gagnant en termes de notoriété. Dans le même esprit, des artisans nouent des collaborations avec des personnalités du monde digital. À Brest, Mélina Jacopin, cofondatrice de la boulangerie-coffee shop Painpante (11 000 abonnés sur Instagram) a « lancé un concours avec une influenceuse locale pour faire gagner un brunch et élargir encore [leur] communauté, sans investir dans de la publicité sponsorisée ». Retombées positives à la clé !
« Pour des partenariats qualitatifs, mieux vaut privilégier les influenceurs de niche, avec une vraie expertise et des abonnés engagés, note Anton Galliano. Le profil des influenceurs à solliciter varie aussi suivant ses objectifs et son budget. En local, il peut être intéressant de faire appel à des “petits” comptes — de mille à quinze mille abonnés — pour une valorisation à moindre coût. »
Autodidacte passionné de flan, Ju Chamalo (74 000 abonnés sur Instagram) vient de sortir son second livre sur le sujet, après le succès d’un premier opus publié en 2022 aux Éditions de La Martinière. « En 2019, j’ai commencé par partager mes bonnes adresses en ligne, puis mes recettes pendant le confinement, et mon audience a explosé », raconte celui qui a vu sa notoriété encore grimper avec la parution de son livre. « Cela m’a ouvert des portes : j’ai commencé à être invité à des émissions, à animer des masterclasses. »
Parmi ses 50 nouvelles recettes figurent quelques références “collaboratives”, dont un flan praliné pistache cosigné avec le chef Arnaud Ryckebush, fondateur de la pâtisserie Tartelettes (Paris, 2e et 9e). « C’est devenu un ami », confie Ju Chamalo, qui a conservé son métier dans la banque pour que « la pâtisserie reste une passion, sans pression ». Sollicité par des artisans et des marques, il sélectionne avec soin ses collaborations.
Malgré sa communauté, Ju Chamalo ne se considère pas « comme un influenceur », tout en reconnaissant « avoir de l’influence » ! Pour preuve : une mention sur son compte, comme pour le Flanboyant de la boutique Au Pain des traboules à Lyon, est gage de visibilité augmentée.
Benjamin Martinetto, alias @flanterie sur les réseaux sociaux (16 000 abonnés sur Instagram), l’a d’ailleurs convié à participer à son premier “Event flan” à Paris en 2023. Un événement grand public mixant professionnels et amateurs « avec de l’influence », selon ses termes. Ce bec sucré lyonnais a lancé son compte il y a cinq ans afin de « mettre en lumière le flan et le travail des artisans ».
Peu à peu, il crée une identité visuelle, « avec des contenus plus qualitatifs ». « Je goûte des flans et je les note suivant quatre critères : visuel, pâte, texture, goût », explique cet expert en communication digitale, qui partage son évaluation a minima une fois par semaine, sous forme de posts et de Reels, le format vidéo en vogue sur le Web. Son audience grandissant, il lance des Flans tours ainsi que son “label d’excellence” délivré à ses adresses préférées, à l’instar de la pâtisserie Mill Factory à Lyon qui affiche sa distinction en vitrine. « Cela nous a fait une jolie publicité, reconnaît sa cofondatrice Marine Dupuy. De nombreux clients viennent pour le flan… et reviennent pour un brunch ! »
Une publication peut suffire
Un post peut créer le buzz et asseoir une réputation : l’activité du pâtissier parisien Christophe Louie, expert en panettone, a décollé après le passage d’Emmanuelle Jary, du compte @c’estmeilleurquandc’estbon. Au même titre que les journalistes et les médias (dont La Toque magazine, présente sur Instagram, LinkedIn, YouTube, et depuis peu TikTok), les influenceurs jouent les prescripteurs et sont désormais invités aux conférences et aux dégustations presse.
Régulièrement cité dans les médias pour son expertise, Benjamin Martinetto a lancé une activité de conseil en communication digitale pour les artisans, mais veille à ne pas mélanger ses recommandations (gratuites) et ses services (payants). Dans le milieu de la gastronomie comme ailleurs, les frontières s’avèrent parfois plus floues entre les activités. À la suite de certaines dérives, une loi* a été promulguée l’an dernier pour cadrer l’influence commerciale, introduisant des interdictions et des obligations d’information de la part des créateurs de contenus.
* La loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux.
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