Des pistes pour que la réduction du sel dans le pain passe crème
La profession s’est engagée collectivement à réduire ses doses de sel dans les produits de panification, avec une dernière tranche en octobre dernier pour les pains courants et tradition. Plusieurs voies permettent d’y arriver tout en maintenant la qualité technologique et organoleptique de ses productions.
Blancheur des mies, ténacité des pâtes, comportement du réseau glutineux, conservation, durées de pétrissage, fermentation, couleur des croûtes… Le sel est un ingrédient aux fonctionnalités multiples et complexes en matière de panification. Son rôle dépasse très largement celui d’exhausteur du goût. Ainsi, l’engagement collectif de la profession dans une démarche globale de réduction des doses de sel dans le pain interroge les boulangers dans leurs pratiques, sachant que, depuis le mois d’octobre 2023, les pains courants et de tradition ne doivent plus présenter de teneurs en sel supérieurs à 1,4 g pour 100 g de produit fini. Un dosage qui correspond environ à l’emploi de 17 g de sel par kilogramme de farine. Cette correspondance doit cependant être vérifiée par chaque artisan en fonction de sa propre production.
Une question de dose
Atteindre ces seuils ne présente rien de très compliqué techniquement. L’important est de le faire de façon progressive pour que cela ne soit pas perçu par le consommateur. « C’est seulement en dessous de 1,2 gramme de sel pour 100 grammes de pain que l’on commence à percevoir des effets, assure Gérard Brochoire, conseiller technique de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française (CNBPF). Sur le plan technique, une faible diminution de la dose de sel n’a pas d’incidence sur la méthode de fabrication », ajoute-t-il.
Cependant, dans le cas où le boulanger est amené à réduire ses doses de façon plus significative, ou s’il souhaite se lancer dans des productions appauvries en sel au-delà des seuils fixés par les accords collectifs, il est important de bien comprendre les implications pour la fabrication. Certains ajustements pourront en effet être nécessaires. « La réduction des doses de sel dans le pain implique toute la chaîne de fabrication, jusqu’à la mise en rayon et la conservation chez le consommateur. Le succès de la réduction des doses passe par une bonne anticipation des impacts à chaque niveau », avance Denis Fatet, formateur à l’Institut national de la boulangerie-pâtisserie (INBP).
Une habitude des années 1960
« Traditionnellement, le pain français était peu salé. L’augmentation de la dose de sel s’est produite il y a environ soixante-dix ans, constate Gérard Brochoire. La quantité de sel incorporé dans le pain a fortement augmenté avec l’introduction du pétrissage intensifié, entre 1950 et 1960. Un livre de technologie boulangère publié en 1956 recommandait encore une dose de 26 grammes par litre d’eau. Ce n’est qu’ensuite que la dose de 35 grammes a été atteinte, pour compenser la perte de goût provoquée par l’augmentation de l’intensité du pétrissage. Si vous faites des fermentations longues, un pétrissage mesuré, et mettez en application les techniques qui permettent d’obtenir une mie crème, alors la saveur naturelle de votre pain n’aura plus besoin d’un excès de sel pour cacher son insipidité. »
Plus de goût
Pour y parvenir, l’un des premiers points de vigilance concerne la rapidité des fermentations, sachant qu’une concentration diminuée en sel inhibera moins la fermentation, qui se trouvera donc accélérée. « Si la réduction de sel est forte, il faudrait ainsi envisager de réduire les doses de levure employées, de même pour les levains, détaille le formateur de l’INBP. En outre, la réduction du sel pourra avoir un impact au niveau de la rhéologie des pâtes, avec une perte de force boulangère. Celle-ci peut être compensée, en utilisant des farines ayant un peu plus de force boulangère intrinsèque. Autre possibilité, l’emploi de farines plus typées, avec plus de fibres et une plus forte teneur en germes, qui aura pour effet, respectivement, de mieux retenir l’eau et d’apporter du goût pour compenser le manque de sel. On évitera également la surhydratation des pâtes. Tout ce qui permet d’apporter du goût, comme les poolish, les levains et autres pâtes préfermentées sera favorable sur le plan gustatif aux réductions des doses de sel. » Ces pâtes sont en outre chargées en acidité, laquelle provoque une réduction de l’activité fermentaire de nature à compenser en partie l’effet désinhibiteur de la réduction des doses de sel. L’acidité apportera également une meilleure conservation au pain.
Freiner les enzymes
« Nous conseillons également d’incorporer le sel dès le début de la préparation, et de ne pas trop pétrir, poursuit Denis Fatet. En effet, l’usage consistant à beaucoup oxygéner les pâtes par un pétrissage soutenu intensif en l’absence de sel est de nature à favoriser les réactions d’oxydation enzymatique amenant à obtenir une mie très blanche. Cependant, l’effet est également de dénaturer les arômes du pain, avec pour conséquence de nécessiter une hausse des teneurs en sel pour pallier le manque de sapidité. »
L’ajout du sel en début de pétrissage a pour effet au contraire de freiner cette activité enzymatique destructrice des arômes et d’assurer une meilleure perception du goût du pain, y compris avec des doses de sel plus faibles. Il est par ailleurs opportun d’accroître la durée du pointage, toujours dans une logique de compensation, afin de gagner en force boulangère, en goût et en conservation.
« Pour une bonne conservation, on peut aussi viser des pièces plus courtes, plus ramassées (en évitant les excès d’apprêt) avec une mie un peu plus serrée, ajoute le formateur. La mâche sera également meilleure, avec un besoin de mastication bonne pour la santé et permettant de mieux sentir le goût. Avec une meilleure conservation, le bénéfice pour le boulanger est aussi de ne plus avoir à allumer son four aussi souvent dans la journée. »
Selon Denis Fatet, le mode de cuisson a également toute son importance : « Une cuisson sur sole à température légèrement dégressive produit une croûte plus aromatique, plus colorée et plus épaisse par rapport aux moules de cuisson. En sortie du four, il convient aussi de respecter un temps de refroidissement et de ressuage avant la vente, sans quoi le pain emballé se conservera d’autant moins bien que sa teneur en sel sera réduite. »