Comment alimenter et entretenir une bibliothèque de levains ?
Maintenir plusieurs types de levains différents au sein de sa boulangerie est une option à même de permettre de valoriser une diversité microbienne ou une diversité de process de panification au levain. La mise en œuvre reste cependant un véritable défi.
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En boulangerie artisanale, le levain est bien plus qu’un simple agent de fermentation. C’est un outil clé qui façonne le goût, la texture, et même, selon certaines études, la digestibilité du pain avec également des capacités d’amélioration de la qualité sanitaire des produits. Le levain classique, à base de farine de blé, est le plus répandu ; cependant, disposer de plusieurs levains cultivés sur des supports différents ou ayant des profils microbiens variés ouvre de nouvelles perspectives sur les plans à la fois, technique, créatif et marketing. Certains boulangers font déjà de l’origine de leurs levains un véritable argument de vente avec des levains annoncés comme datant du XVIIIe siècle ou provenant de telle ou telle école boulangère de renom.
Aller en chercher dans d’autres régions ou à l’étranger est une piste également pour valoriser des terroirs microbiens et des cultures de panifications différents. C’est une différenciation qui peut être intéressante à mesure que l’on progresse dans sa pratique et que sa clientèle devient plus curieuse au sujet des levains. Dans les pays du Moyen-Orient ou en Afrique du Nord notamment, des boulangers utilisent des méthodes séculaires avec des levains ayant des souches microbiologiques spécifiques à leur région et à leurs pratiques. Des entreprises l’ont bien compris avec la constitution de véritables “levainthèque”. C’est le cas de Puratos, qui recueille des levains du monde entier de façon participative avec une plateforme internet dédiée à la possibilité de partager ce patrimoine vivant et de le documenter.
Une diversité de farines
Si l’on accepte de considérer le levain comme un écosystème à part entière, il est naturel de d’abord s’intéresser à sa source d’énergie. Ainsi, la farine qui sert à entretenir le levain et à le nourrir lors des rafraîchis joue-t-elle un rôle clé dans la différenciation des levains. Le levain de farine de blé est celui qui est le plus traditionnel en boulangerie française, selon le chercheur et ancien boulanger Marc Dewalque.
Encore faut-il distinguer les levains élevés sur farine blanche de ceux élevés sur farine complète. Le choix de l’une ou l’autre farine est structurant dans la formation des populations microbiennes et détermine la vitesse de fermentation. La farine complète est “plus rapide”, du fait de la présence de nutriments favorables à la croissance bactérienne. Pour ces mêmes raisons, selon le type de blé utilisé — et le type de moulin employé —, les résultats peuvent différer.
En parallèle des levains de blé, le levain de seigle est souvent utilisé pour sa capacité à produire des fermentations vigoureuses et rapides. Ce levain est historiquement très apprécié dans la boulangerie traditionnelle d’Europe centrale mais son usage est récupéré aujourd’hui en France, notamment pour la confection des pains de type campagne. Un autre levain très utilisé en boulangerie est celui de riz pour la fabrication essentiellement de pains sans gluten. Il apporte une douceur et un profil aromatique très neutre qui peuvent trouver des applications y compris en pâtisserie.
Convertir un levain
Le levain possède globalement une grande plasticité, lui permettant de s’adapter aux différents types de farines. Ainsi, il est possible de transformer un levain de seigle en levain de blé. De la même manière, un levain à tendance acétique (vinaigrée) peut assez facilement être converti en levain à tendance lactique (pour des résultats plus doux), par exemple, en accroissant le nombre de rafraîchis, en raccourcissant le temps entre chacun et en jouant sur la température et l’hydratation. Cependant, même s’il est possible de convertir un levain, le fait de conserver des levains séparés assure le maintien d’une spécialité microbienne associée et donc de mieux valoriser cette diversité. Concernant la production de pains au levain sans gluten, la séparation stricte des levains est obligatoire.
Pression de sélection du milieu
Maintenir une bibliothèque de levains nécessite également dans certains cas de contrôler non seulement la qualité de la farine mais aussi les conditions du milieu. Les levains de pâtisserie, comme le levain de panettone, sont un bel exemple de levains dans lesquels les populations microbiennes sont issues d’une pression de sélection par les contraintes appliquées au milieu de culture et de conservation. Il est ainsi cultivé assez souvent en milieu liquide, avec une fréquence des rafraîchis très forte et un taux d’hydratation très faible. Cette pression exercée sur l’écosystème conditionne le développement de souches capables de fermenter en milieu riche en sucre et en beurre, tout en produisant une acidité peu marquée et des dextranes, responsables du caractère filant de la mie.
D’une façon générale, tous les paramètres du milieu — à savoir le taux d’hydratation, la fréquence des rafraîchis, la présence de sel, la qualité des farines, l’oxygénation, le taux de renouvellement, etc. — peuvent conditionner le profil microbien du levain. C’est une chose à prendre en compte si l’on souhaite maintenir des levains issus de traditions et de terroirs particuliers. Il faudra alors les élever dans des conditions qui se rapprochent de celles dont ils sont issus, pour éviter de les “convertir” à leur nouvel environnement.
Travailler avec des levains anciens
Outre le côté marketing, le fait de travailler avec des levains anciens, voire très anciens, entretenus depuis plusieurs décennies — voire plusieurs siècles — peut présenter un intérêt du fait que les populations microbiennes y sont normalement bien stabilisées. Elles ont logiquement développé au fil des années un arsenal génétique et enzymatique efficace, avec des capacités de protection face aux différents types d’infections microbiennes auxquelles elles ont pu être confrontées. On peut en conséquence espérer bénéficier de cette mémoire génétique de la population de levain.
Ainsi, au bout d’une durée assez longue, « certains levains particuliers ne comportent plus que deux souches de bactéries, qui fonctionnent de manière interdépendante », souligne Marc Dewalque. La difficulté dans ce travail avec levains anciens est alors d’isoler suffisamment sa population pour éviter les contaminations de bactéries jeunes présentes dans l’environnement de panification. Une autre difficulté est de s’assurer que son levain est réellement ancien, ce qui semble aujourd’hui impossible. Il y a sans doute tout un travail très intéressant à enclencher pour adapter les sciences, en plein essor, de la paléogénomique et de la métagénomique (étude de l’ADN environnemental) à l’étude du levain.
L’adoption de multiples levains dans une boulangerie est donc un véritable défi mais les contraintes imposées aux artisans doivent pouvoir se justifier par les bénéfices susceptibles d’en être retirés. Il peut s’agir de stimuler sa créativité, ou de surprendre sa clientèle tout en continuant à se différencier.
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