Les farines torréfiées, pour varier les goûts et les couleurs
La torréfaction des farines de céréales ou de légumineuses développe chez elles de nouvelles qualités organoleptiques, mais modifie en même temps leurs propriétés technologiques. Le point sur ce procédé.
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Il y a d’abord la couleur qui change : elle peut aller du léger hâle à la teinte ébène, en passant par toutes les nuances d’ambre. Ensuite, le parfum dégage un bouquet insolite de notes grillées, fumées ou biscuitées. La texture peut surprendre : la mie est un peu plus dense, peut-être, que d’habitude. Enfin, à la dégustation, les papilles sont chatouillées par des arômes nouveaux, de fruits secs, de cacao, de fumée… Tous les sens sont éveillés par la présence de farine torréfiée dans le pain.
Il n’y a d’ailleurs pas qu’en panification que les farines torréfiées sont utilisées comme exhausteurs de goût. C’est d’abord pour une application en industrie agroalimentaire qu’Émilie Robin s’est penchée sur le sujet il y a deux ans. Cheffe et conseillère au Centre Culinaire Conseil, un organisme axé sur l’innovation alimentaire basé à Rennes, elle accompagnait un client de l’agro-industrie qui voulait rehausser le goût de ses viandes sans additifs chimiques. Sous sa supervision, des étudiants* en licence professionnelle à Rennes ont ensuite expérimenté leur potentiel en panification et en biscuiterie.
La torréfaction consiste à griller une denrée pendant une durée allant de quelques minutes à quelques dizaines de minutes. Le toastage est un procédé similaire, mais lors duquel les températures appliquées sont moins élevées. Ces techniques sont souvent associées au café, au cacao et à certains oléagineux (amandes, noisettes), mais peuvent aussi bien s’appliquer à une large gamme de farines. Dans ce cas, la torréfaction est réalisée sur la matière première brute (céréales entières, graines, épis de maïs, etc.) ou directement sur la farine moulue. « L’intérêt principal est de développer les qualités organoleptiques : la torréfaction de la farine va donner une nouvelle aromatique et apporter de la couleur au pain », confirme Emilie Robin.
Des avantages sanitaires
Elle peut être plus ou moins poussée : les étudiants ont noté dans leur rapport qu’une torréfaction légère permettait « le développement d’arômes plus sucrés et délicats, parfois avec une légère acidité », quand une torréfaction plus poussée apportait « des arômes plus corsés et amers ». Les autres avantages de la torréfaction sont sanitaires et nutritionnels. « Ce procédé va augmenter la durée de conservation de la farine, reprend Emilie Robin. Et quand le processus est bien maîtrisé, la torréfaction va non seulement préserver, mais même améliorer la valeur nutritionnelle des farines. Celles de légumineuses sont ainsi généralement toastées afin de détruire leurs antinutritments. Dans les farines de céréales, la torréfaction permet d’augmenter le taux de protéines assimilables et d’améliorer leur digestibilité. »
En revanche, cette action modifie les qualités technologiques des farines. « Dans les farines avec gluten, le taux de protéines restera inchangé mais une partie d’entre elles vont se dénaturer : le réseau gluténique sera donc modifié, prévient la conseillère culinaire. C’est pourquoi nous préconisons de limiter l’incorporation de farine torréfiée à vingt ou trente pour cent du poids total de farine. Dans les farines sans gluten, au contraire, la torréfaction va favoriser la gélatinisation de l’amidon. Il sera plus digeste et ses propriétés liantes seront améliorées. » Dans un produit sans gluten, il n’y a donc pas de limite maximum d’incorporation : tout est affaire de goût… Et de coût, car une farine torréfiée coûte plus cher qu’une farine blanche. En biscuiterie, le taux d’incorporation sera encore plus réduit. « Nous préconisions trois à cinq pour cent, et en tout cas jamais plus de dix pour cent, conseille Émilie Robin. On risque sinon de trouver un goût de brûlé et, surtout, d’avoir des pâtes qui ne se tiennent pas. »
Trouver le bon dosage
S’il est théoriquement possible de torréfier soi-même sa farine, l’exercice est délicat. « Il n’est pas facile de trouver le bon dosage pour torréfier sans brûler mais certains clients le font, partage Steven Longère, technico-commercial au Moulin Marion. Ils utilisent de la farine blanche, car la torréfaction développe des arômes tellement puissants qu’il n’y a aucun intérêt à utiliser une farine déjà aromatique. Et ils en incorporent quelques pourcentages pour donner couleur et saveur au pain. »
De leurs côtés, les étudiants rennais ont fait deux jours d’essai avec une farine T45. « Mais ils n’ont jamais réussi, le résultat n’était pas homogène du tout », rapporte Émilie Robin.
L’option la plus simple est donc de recourir aux produits du commerce. Or, les farines de céréales sont presque toujours maltées avant d’être torréfiées. Pourquoi ? « Le maltage apporte des qualités aromatiques particulières : les céréales vont développer des arômes légèrement sucrés et une pointe d’acidité, indique Emilie Robin. Mais ce processus de germination réveille l’activité enzymatique des céréales, ce qui peut entraîner une surfermentation lors de la panification. La torréfaction a donc pour rôle de stopper l’activité enzymatique des céréales maltées. »
* Scoazec L, Choloux T, Degoulet B. Les farines torréfiées : un réel potentiel d’innovation culinaire. Centre culinaire conseil : Licence Développement et recherche en art culinaire industrialisé. Octobre 2023.
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