Agroforesterie : des épis sous les arbres
Associer des espèces arborées et arbustives est une piste déjà pratiquée par certains agriculteurs pour améliorer la performance globale de leurs productions, notamment sur le plan environnemental. Décryptage avec Fabien Liagre, chargé recherche et développement de la société coopérative Agroof.
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Réduction de l’érosion, production complémentaire de fruits et de bois, amélioration de la fertilité des sols, absorption de l’excès de pluviométrie, effet brise-vent, refuge pour une biodiversité utile au contrôle des ravageurs… Associer des plantations d’arbres et d’arbustes dans les vastes plaines ouvertes destinées, entre autres, à la production de blé est une technique millénaire. Présentant de multiples avantages, elle se développe aujourd’hui dans les systèmes agricoles modernes sous le nom d’agroforesterie.
« Les bénéfices d’un système agroforestier sont notamment la régulation des paramètres climatiques pour la plante de blé, avec un ombrage produit qui améliore sensiblement la résistance des cultures à certains excès climatiques, dont la sécheresse, complète Fabien Liagre, fondateur et chargé recherche et développement de la société coopérative et participative (Scop) Agroof, qui œuvre en France et à l’international à conduire des travaux de recherche, mais aussi au développement et à la formation, autour de l’agroforesterie. On remarque très vite — quasiment dès la plantation — des effets positifs sur les cultures, même si l’on constate aussi l’existence de cas, isolés, où il faut plus de temps pour les constater. »
Sachant qu’il n’existe pas de modèle unique, bien aucontraire, car il s’agit justement d’exploiter les bénéfices possibles de la diversité. « Plusieurs systèmes peuvent ainsi cohabiter au sein même d’une même parcelle ou d’une même exploitation agricole », confirme le chargé de recherche d’Agroof. Des alignements d’arbres de bois d’œuvre sont ainsi sucsceptibles d'être complétés par des arbres fruitiers, ou des bandes de haies pour le bois-énergie entrelardées de linéaires de taillis de saule à très courte rotation. L’avantage, dans ces conditions, est aussi de pouvoir jouer sur des horizons de temps différents en matière d’exploitation.
L’introduction d’arbres est également, pour de nombreux agriculteurs, un moyen de créer du lien avec la société à travers une action positive et bien visible, qui dure. « Il y a très vite un lien affectif qui se crée entre l’agriculteur et les arbres, constate Fabien Liagre. Certains exploitants agricoles retrouvent complètement le sens du métier car on s’inscrit dans le temps long. Planter des arbres est une expérience riche, qui oblige à observer ce qui se passe dans l’écosystème. À l’autre bout de la chaîne, nous constatons également des effets positifs sur la qualité nutritionnelle des produits. C’est assez flagrant concernant la concentration en acides gras essentiels dans des produits animaux comme le lait ou la viande, et il semblerait aussi que la qualité des farines est meilleure du point de vue des taux de protéines. Nous avons obtenu des résultats en ce sens, qui mériteraient cependant d’être confirmés pour acquérir une valeur scientifique. » Dans tous les cas, la création de filières de blé ou d’autres produits agricoles en agroforesterie est en réflexion.
Un équilibre économique
Plusieurs travauxde recherche en France comme à l’étranger tendent à montrer que l’équilibre économique est globalement bon sur les systèmes en agroforesterie, et ce, selon différentes échelles de temps. Des essais, tels le projet européen SAFE, ont démontré que le rendement en blé était maintenu malgré la présence d’arbres, pendant quinze à vingt ans**. « Cependant, la deuxième moitié de la vie des arbres entraîne effectivement des pertes de rendement à prendre en compte », nuance Fabien Liagre. Selon lui, moins les agriculteurs utilisent d’intrants chimiques, comme les engrais ou les pesticides, plus le bénéfice de l’agroforesterie est grand : les services apportés par les arbres (mycorhizes, réduction du stress hydrique, apports de matières organiques, etc.) étant alors mieux valorisés.
« Une grande partie de l’équilibre financier vient aussi de la valorisation du bois », ajoute l’expert. Raison pour laquelle la Scop Agroof s’est dotée d’une scierie mobile en vue de pouvoir effectuer la vente directe du bois. « Si l’on considère la rémunération de services, comme la captation des fuites d’azote par les racines profondes des arbres, alors le système devient assurément rentable, vu les coûts de potabilisation de l’eau, par exemple. Avec le dérèglement climatique, c’est aussi un système d’avenir car on aura de l’ombrage lors des étés très chauds et très secs », explique le chargé de recherche. Pour assurer la performance économique, Fabien Liagre évoque également la sélection de variétés de blé et d’arbres adaptés à une telle cohabitation.
Des agriculteurs motivés
D’après les enquêtes menées par la Scop Agroof, environ un tiers des agriculteurs se disent d’ores et déjà ouverts à se lancer dans l’agroforesterie. Ils sont autant à afficher une sensibilité à la démarche. « Seul un tiers des sondés s’y montrent réfractaires », souligne Fabien Liagre. Le potentiel semble donc bien réel pour la développer à plus grande échelle.
Pour Fabien Liagre, mieux vaut être incitatif plutôt que punitif sur ce sujet-là : « Si on peut déjà travailler avec les gens qui ont envie de le faire, le potentiel est énorme. Les agriculteurs sont sensibles à l’idée de restaurer la fertilité de leurs sol et l’agroforesterie est l’une des solutions en la matière. Il ne faudrait pas que cela passe par de la contrainte, qui peut être très mal vécue sur le terrain et avoir des effets contreproductifs. » Lui croit beaucoup à l’accompagnement, pour le financement des plantations entre autres, ainsi qu’à la formation : « Car certains secteurs, céréaliers notamment, ont complètement perdu le savoir-faire autour de l’entretien des arbres ou de leur plantation », complète-t-il.
* Lire les résultats du projet européen Safe pour Silvoarable Agroforestry For Europe, avec l’Institut national de la recherche agronomique de Montpellier, et l’assemblée permanente des chambres d’agriculture. www1.montpellier.inrae.fr/safe/french/index.html
** En intraparcellaire, on peut viser à maintenir le rendement le plus longtemps possible mais cela ne compense pas l’empiètement. En revanche, dans le cas des haies brise-vent, il est possible d'obtenir une compensation.
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