Avec Levain, Olivier Nasti ajoute un fournil à ses fourneaux

De gauche à droite, Guillaume Dufresne, Rémi Vanoverschelde et Olivier Nasti. Pour ce dernier, avoir créé une nouvelle activité au cœur de son entreprise était un vrai challenge.

À la tête de la prestigieuse maison Le Chambard à Kaysersberg, près de Colmar, en Alsace, le chef étoffe son offre. Il a ouvert en août 2022 sa boulangerie, sobrement baptisée Levain. Le commerce, situé dans la grande bâtisse hébergeant les deux restaurants et l’hôtel 5 étoiles, fabrique leurs pains et viennoiseries.

Huit heures et une minute. Le premier client de la boulangerie Levain à Kaysersberg, dans le Haut-Rhin, entre dans la petite boutique. Il est servi par Guillaume Dufresne, le pâtissier. Peu de temps avant, Rémi Vanoverschelde, le boulanger, avait fini de disposer les pains du jour dans les bannettes.

« Nous assurons aussi la vente, explique Rémi. Le week-end, nous sommes en général trois ici. Je commence la fabrication à quatre heures, et c’est vrai que ça représente de larges amplitudes de travail. Mais nous nous relayons pour les pauses. » Guillaume, lui, démarre à 3 heures. Autant dire que le Chambard, restaurant gastronomique et hôtel 5 étoiles, est une ruche qui bourdonne vingt et une heures sur vingt-quatre. Avec pour seule plage horaire calme, de minuit à 3 heures du matin.

© D. PERONNE - En plein rush, avant l’ouverture de la boutique, à 8 heures.

Une ambiance “rurale” et “à l’ancienne”

La boutique, elle, donne sur une ruelle pavée perpendiculaire à la rue principale du village. C’est Olivier Nasti, « le chef » comme tous ses employés l’appellent, qui a fait repaver cette toute petite artère, anciennement bitumée. Afin que les clients locaux arrivent par un endroit avec du cachet. « La maire m’a bien fait comprendre que c’était de trop pour les finances de la commune. Alors j’ai fait intervenir une entreprise d’ici, spécialisée dans les bâtiments anciens », explique le maître des lieux. 

Le rendu est incroyable d’authenticité, donnant l’impression que le pavage, comme usé, est là depuis une centaine d’années. Un gros bidon de lait peint, des chaises et une table vintage, une camionnette typique des années 50, apportent la touche finale à l’ambiance “rurale” et “à l’ancienne” souhaitée par Olivier Nasti. À l’intérieur de la boutique, le bois sur les murs et le plancher rappelle le massif des Vosges tout proche.

© D. PERONNE - De gauche à droite, Guillaume Dufresne, Rémi Vanoverschelde et Olivier Nasti. Pour ce dernier, avoir créé une nouvelle activité au cœur de son entreprise était un vrai challenge.

La boulangerie a ouvert en août 2022. Le fournil et le petit magasin sont venus prendre la place de l’atelier pâtisserie. Ce dernier, devenu trop étroit au vu de l’activité du restaurant, a migré à l’étage supérieur après d’importants travaux. En cuisine, tandis que les premiers employés commencent leur journée devant les planches à découper et les casseroles, Olivier Nasti explique les raisons qui l’ont amené à créer cette nouvelle activité.

© D. PERONNE - Les kougelhopfs, une spécialité de brioches alsaciennes, sont déclinés en petit, moyen et grand format.

« C’est un rêve d’enfance, raconte cet homme affable et généreux (deux employés d’une petite entreprise locale repartiront ce matin-là avec des sacs de croissants à partager avec leurs collègues). Je suis originaire du Territoire de Belfort. Tout jeune, je donnais un coup de main à la boulangerie de mon village. Les aléas de la vie et de la formation ont fait que je suis entré en apprentissage en cuisine alors que j’aurais aimé devenir boulanger. Ici, à Kaysersberg, j’avais créé il y a quelques années une boutique spécialisée dans les kougelhopfs [spécialité alsacienne, NDLR] en déclinaisons sucrées, salées, pour l’apéritif. Mais cela demande une vraie expertise et je ne trouvais pas le personnel qualifié. Et puis j’ai décidé de consacrer toute mon énergie au Chambard, que j’avais repris entre-temps. »

© D. PERONNE - La boutique est ouverte du mercredi au dimanche, de 8 h à 12 h, et de 15 h à 18 h.

Raisonner “sourcing”

Il y a deux ans, Olivier Nasti rencontre Luc Roux à Digne-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence), à la tête de la boulangerie Les Miches à Lulu. Il est séduit par son univers, par ses méthodes à l’ancienne, par sa vision du métier. Là, le chef se décide : il lui faut créer sa propre boulangerie, qui viendra compléter l’offre hôtelière et gastronomique du Chambard. « L’objectif est de raisonner en termes de sourcing. C’est vrai pour un restaurant ; c’est encore plus vrai pour la fabrication de pains. Connaître l’origine des matières premières, maîtriser toute la chaîne, savoir renseigner les clients sur toutes ces étapes, c’est essentiel. Les gens sont vraiment en demande de tout ça. Ils sont d’ailleurs de plus en plus affûtés, en alerte devant ce qu’ils consomment. »

© D. PERONNE - La gamme est réduite, avec des pains vendus au kilo.

En plus du magasin, le fournil fabrique pour les deux restaurants et pour le petit déjeuner des résidents. Les clients de l’hôtel peuvent même acheter les différents pains de la gamme en passant commande la veille pour le lendemain, grâce à une fiche déposée dans leur chambre. « Souvent, les personnes aiment repartir avec un souvenir du lieu où elles ont séjourné, confirme Agathe, qui officie à l’hôtel. Les pains fabriqués ici se conservent bien et se prêtent à ces achats-plaisir. » La maison propose d’ailleurs des sacs en lin à l’achat pour que les produits voyagent bien.

© D. PERONNE - Guillaume devant une partie de ses fabrications.

La recherche du meilleur ajustement

Tous les produits sont au levain, fabriqués à l’aide de farines bio, en provenance de moulins locaux qui travaillent sur meules de pierre. « En revanche, nous avons fait le choix de ne pas être estampillé bio, car certaines matières premières ne le sont pas, comme les fruits secs », précise Rémi. La gamme de viennoiseries se décline, elle, en fonction des saisons et des fêtes, toujours très importantes en Alsace.

« Nous mettons vraiment notre patte sur chaque produit, explique Guillaume. Le chef pâtissier, Jordan Gasco, me donne un créneau, comme un certain type de pâte, et je travaille dessus. Aux croissants, j’ai ajouté une petite touche de miel pour le côté “élastique”. Pour les cakes, je propose trois parfums : marbré avec des noix de pécan, tout chocolat avec une ganache, et aux agrumes. Les pains au chocolat sont fourrés avec deux barrettes, au vrai grué de cacao. En ce moment [un peu avant Pâques, NDLR], je démarre la fabrication des lammeles, ces gâteaux en forme d’agneau, typiquement alsaciens. Ils sont à base de génoise mais, comme c’est un peu sec, je la prépare avec des blancs d’œufs non cuits, ce qui la rend plus légère. Avec Jordan et Rémi, nous recherchons toujours le meilleur ajustement. »

« C’est vrai que nos produits sont plutôt chers, souligne Rémi, le jeune boulanger. Le pain de campagne est à douze euros le kilo. Mais les matières premières sont choisies avec soin. Tout est façonné à la main. Les pâtes lèvent pendant vingt-quatre heures. »

© D. PERONNE - Autre spécialité alsacienne fabriquée lors de la période de Pâques, les lammeles, ces biscuits à base de génoise et en forme d’agneaux.

Guillaume précise : « À la différence de ce qui se pratique beaucoup, j’utilise seulement la congélation à – 20 °C pour certaines viennoiseries, afin que l’action du levain soit bloquée. Mais au maximum cinq jours car, au-delà, la sensation en bouche, le goût, ne sont plus les mêmes. »

Le fournil transforme environ 400 kg de farine par semaine. « J’estime que le chiffre d’affaires de boulangerie sera de 250 000 euros par an, hors pains et viennoiseries consommés par l’hôtel et par le restaurant, précise Olivier Nasti. C’est l’équivalent d’une petite boulangerie de campagne et j’en suis très satisfait ; surtout de nos méthodes de travail, avec le levain, la maîtrise des fermentations. »

Il est 9 heures. Au petit déjeuner, les clients de l’hôtel se régalent de pain de campagne et de croissants faits maison. Dans les cuisines, la mise en route se fait pour le service de midi. Décontracté et rigoureux, le chef veille au grain.

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