Uzeste : les bénévoles façonnent la boulangerie

Les bénévoles vont chercher le bois dans deux scieries et une caisserie et les recoupe.

À Uzeste, en Gironde, les habitants ont créé une coopérative pour reprendre la boulangerie, fermée depuis deux ans. Ici, seuls les deux boulangers sont salariés. Si l’aventure humaine est très riche, l’équilibre est précaire…

Il y a coopérative et coopérative. Celle de la boulangerie d’Uzeste n’est pas une Scop (qui réunit majoritairement les salariés d’une entreprise) mais une SCIC, société coopérative d’intérêt collectif, qui rassemble plus largement. Ici, plus de 300 coopérateurs se sont réunis pour faire renaître la boulangerie de ce village girondin. Ses participants sont des habitants du village et des alentours mais aussi les salariés, des clients, des fournisseurs, des institutions… Avec toujours ce modèle : 1 souscripteur = une voix, quelle que soit la somme mise au pot par chacun.

Voici deux ans, donc, en août 2021, la boulangerie coopérative a ouvert ses portes, proposant des pains bios au levain et des viennoiseries, issus de farines de blés locaux. « Je suis bluffée de voir qu’après deux ans, la motivation n’est pas retombée », s’enthousiasme Marion Duquesne, la boulangère.

Et il en faut, de l’énergie, pour tenir cette structure. 104 bénévoles, dont une trentaine d’actifs, se relaient sur les quatorze créneaux de vente, chaque semaine. Certains livrent aussi la Biocoop de Langon, une épicerie, une Amap… D’autres vont chercher le bois dans deux scieries et une caisserie et le recoupent pour l'adapter au four. Four qui a été entièrement construit, bénévolement, par des maçons du coin. Sans compter « tout le travail de gestion, payer les factures, répondre aux journalistes… », sourit la boulangère. Qui ajoute : « Depuis peu, certains m’ont même proposé de m’aider à faire les commandes. Ce n’est pas de refus ! »

Ce sont des bénévoles qui vont chercher le bois dans deux scieries et une caisserie et qui les recoupe. « En plaisantant, on appelle ce groupe 'les vieux fourneaux' », rigole Romain Baxerres, un autre bénévole. ( © Boulangerie coopérative d'Uzeste)

Certains passent aussi parfois derrière les fourneaux. «Quand on manquait de bras, certains sont venus cuire les viennoiseries à six heures du matin, quelque fois avant de partir au travail… Parfois ils se brûlaient, au début, témoigne Marion Duquesne. Ils viennent faire des pesées, détailler des cookies…» Bref, tranche la boulangère : « Le but, c’est que je sois remplaçable. Moi, je suis presque anecdotique. »

Le produit-phare de la boulangerie est le pain semi-complet, à 5 euros le kilo. ( © Christophe Zoia)

Un laboratoire politique

La boulangère est pourtant l’une des pièces maîtresses de la création de ce lieu atypique, dont l’aventure a commencé… après un long cheminement. «Il y avait un groupe qui s’était monté en vue des élections municipales de 2020, se remémore-t-elle. Les gens parlaient de démocratie participative, d’un fonctionnement plus horizontal. Et, de fil en aiguille, ils se sont dit que la boulangerie pouvait être un laboratoire d’expériences. C’était très sérieux !»

Puis est venu le confinement et, « on est passé de l’utopie, du rêve, à la réalité. Et pour moi, ça tombait bien : je voulais travailler en groupe mais ne pas avoir mon commerce. »« On n’avait rien à faire, on s’est mis à faire du pain dans un four du village, avec Marion, et à le distribuer », se souvient Romain Baxerres, l’un de ces acteurs de la première heure. « À partir de là, on n’arrivait plus à s’arrêter », assure la boulangère. Ce d’autant plus, qu’ils sont parvenus à obtenir un cofinancement de l’Union européenne, du Département et de la Région, pour acheter le matériel.

Les coopérateurs poussent la logique en faisant travailler au maximum des fournisseurs locaux, à commencer par des farines, moulues à Sigalens, au domaine de Glayroux, à 25 km. « Et on compte continuer le travail avec d’autres pour refaire ces filières de blés anciens, se procurer les semences, faire des tests des blés dans les différents terroirs et jusqu’aux fournils, énumère M. Baxerres. Réactiver les filières locales, c’est un combat ! » L’idée étant aussi « de pouvoir acheter quasiment tout en direct, pour éviter le plus possible les intermédiaires », reprend-il.

Le pain cuit la veille est à prix libre... ou à moitié prix. « C'est bien parce qu'on laisse une certaine liberté au bénévole qui est à la vente », se félicite Romain Baxerres, qui est à la manœuvre ce jour-là. ( © Christophe Zoia)

Bref, se réjouit le bénévole, aujourd’hui membre du comité de direction, « c’est beau de voir qu’on peut faire tout ça avec de l’engagement. » La boulangère abonde : « Nous sommes dans l’intelligence collective. Il y a tous les jours tellement de preuves de l’engagement humain… »

Certains bénévoles mettent aussi la main à la pâte, notamment pour faire des gâteaux et autres viennoiseries ( © Christophe Zoia)

Les clients s’en rendent d’ailleurs compte, à l’image de Betty : « Cette boulangerie est chouette, parce qu’elle amène une vraie émulation. Bravo à tous ces bénévoles pour leur engagement. Et en plus, c’est bon ! C’est un vrai atout pour la commune. »

Au-delà du conte de fées…

Voilà pour le côté pile, celui de la belle histoire. Mais il y a un côté face. Premier obstacle : l’engagement que nécessite ce travail collectif. «C’est vrai que c’est fatigant, admet Marion Duquesne. Mais tellement riche…»

Surtout, la boulangerie coopérative a dû faire face au « manque de soutien de la mairie, comme l’indique Romain Baxerres. Les notables ne comprennent pas cet esprit coopératif et sont restés sur l’opposition politique.» Le groupe qui a réfléchi à lancer la boulangerie est en partie, en effet, aujourd’hui dans l’opposition municipale.

Mais, au-delà de cela, «on est à l’image de beaucoup de villages en France, admet le bénévole. Uzeste est clivé entre la partie traditionnelle et les néo-ruraux… qui sont parfois là depuis trente ans. »

Tous les villageois n’achètent donc pas leur pain ici – ni même la mairie d’ailleurs – et l’équilibre financier est fragile. « On est sur le fil », résume Romain Baxerres. Et ce, alors même que la structure ne salarie que deux personnes, les boulangers. Du coup, les bénévoles pensent au développement, notamment vers les hôtels et restaurants de Gironde. En vrais entrepreneurs !

Le four à bois a été réalisé gracieusement par 3 maçons des environs. ( © Boulangerie coopérative d'Uzeste)

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