Philippe Conticini : pâtissier affectif

Philippe Conticini.

Philippe Conticini est l'un des grands chefs pâtissiers de sa génération. Également très doué en cuisine, il a participé à renouveler l’approche du goût et des textures avec beaucoup de sensibilité. Dresser des verrines plutôt que des assiettes fait partie de ses inventions, largement reprises. Le chef partage volontiers sa créativité expansive dans des livres et lors de masterclasses.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

Pour Philippe Conticini, la meilleure cuisine est celle qui fait ressentir une émotion. Ce chef pâtissier est l’une des personnalités les plus douées et les plus touchantes du monde de la gastronomie. Dans son livre Cochon de lait (2019) dédié à sa femme et à sa fille, il a longuement évoqué son enfance, douce et amère, et son parcours d’initiation au goût. Le pâtissier nous livre ici son approche, très affective et sensible, de son métier. Avec son humour et ses douceurs, cet homme généreux fait du bien à l’humanité.

Philippe Conticini. (© Kevin Rauzy)

La Toque magazine : Comment avez-vous éduqué votre palais ?

Philippe Conticini : En 1986, j’ai soudain pris conscience que je n’avais rien compris au travail du goût. Je voulais ressentir une émotion dans ce que je faisais. Je la ressentais dans les plats de mon frère Christian mais pas dans les miens. Alors, j’ai sans arrêt tout goûté. Je me suis construit une “gustatothèque” extrêmement importante avec ma sensibilité à fleur de peau. On a tous un talent : le mien, c’est le goût. Quand je goûte une préparation, je sens avant même qu’il arrive le mélange de sensations que je vais ressentir.

LTM : Que faut-il pour qu’un plat ou un dessert vous émeuve ?

P.C. : Il faut que ce soit une évidence, que ce soit bon, que ça déclenche un vrai plaisir. Pour que je sois ému, il faut que la personne ait vraiment beaucoup de talent et que ce soit quelqu’un de bien, avec des valeurs. La bonté, la gentillesse, l’empathie, le respect, déplacent des montagnes. Je me souviens particulièrement d’un dîner il y a une dizaine d’années au Japon, chez Hirohisa Koyama, sur l’île de Shikoku. De l’amuse-bouche à la mignardise, ce fut une succession d’émotions pures. Cela ne m’était jamais arrivé. J’ai appelé ma femme car il fallait que je lui raconte. La personne qui me fait ressentir toutes les semaines des émotions avec sa cuisine, c’est elle ! Ma femme s’est créé ses propres techniques et adore cuisiner. Elle a réussi à comprendre ce qu’est la profondeur de goût, et la longueur de goût.

Bûche chocolat et vanille par Philippe Conticini. (© kevinrauzyfoodography)

LTM : Pourtant, l’antiphrase ironique “Pas bon du tout !” est l’une de vos expressions favorites. C’est aussi le titre d’un livre de 70 recettes gourmandes et conviviales, salées et sucrées, que vous avez publié en 2022 chez Flammarion.

P.C. : L’humour fait partie de ma personnalité, je l’utilise très souvent, dans me livres, sur les réseaux sociaux ou sur les plateaux de télévision. Il permet de faire sourire ma femme, ma fille, mes amis. Pour les personnes qui viennent à une masterclass l’humour décontracte et donc chacun est plus à l’écoute. J’aime partager ce que j’ai appris, ce que je sais. J’aime donner depuis toujours. Ma mère me disait : « Si tu n’avais qu’une seule chemise tu la couperais en deux pour en faire profiter les autres. »

LTM : Comment avez-vous composé votre collection de bûches 2023 ?

P.C. : La créativité est en moi, elle est constante et se renouvelle sans cesse, sans doute parce que je me pose toujours des questions : Pourquoi ? Comment ? Quand je me fais à manger, salé ou sucré, j’aime retrouver des plaisirs que j’ai pu ressentir petit. L’éclair au café, le millefeuille, ou le chocolat et la vanille mélangés en font partie ; ma maman faisait aussi une bûche au marron : des plaisirs de l’enfance que j’essaie de retrouver, et de partager bien sûr.

Bûche marron et cerise par Philippe Conticini pour Les Galeries Lafayette. (© kevinrauzyfoodography)

LTM : Il existe tout un vocabulaire Conticini… comme le “craquounet”. C’est quoi ?

P.C. : Il est important pour moi de mettre les bons mots sur les bonnes sensations. Je n’aime pas ce qui croustille, comme les crêpes dentelles. Je préfère la douceur du “craquounet”, quand ça craquouille légèrement. Les fruits secs, et du beurre de cacao comme ciment apportent du soyeux.

LTM : Notre époque exacerbe-t-elle le besoin de plaisirs gourmands ?

P.C. : Si vous écoutez les informations du journal télévisé, ça craint. Nous vivons dans une époque très anxiogène. Nous avons tous besoin de nous évader, de retrouver des plaisirs connus, de nous rassurer. La pâtisserie est un moyen fantastique pourcela.

Bûche Signature par Philippe Conticini, amande et insert truffe blanche. (© kevinrauzyfoodography)

LTM : Les pains et les viennoiseries sont-ils également réconfortants, selon vous ?

P.C. : Il y a beaucoup de viennoiseries très originales aujourd’hui, pourtant ce que je préfère reste les croissants fondants, gourmands, plus briochés que croustillants. Le pain au chocolat, ce n’est pas mon truc. À titre personnel, j’ai moins exploré l’univers des pains. La fermentation, c’est vivant, ça me plaît, mais je n’ai pas la connaissance de la boulangerie comme de la pâtisserie, dans laquelle j’ai plongé très profond. Et j’y suis comme un poisson dans l’eau.

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement