Marion Juhel : l’aficionado du goûter

La Bretonne Marion Juhel revendique sa différence : « Quitte à ne pas faire pareil, autant y aller franchement. »

À la tête des boulangeries-pâtisseries Seize heures trente à Rennes, Marion Juhel entend inventer un nouveau modèle, ancré dans son terroir et responsable, jusqu’à la dernière miette.

“Pâtisserie gourmande et responsable”. Marion Juhel, fondatrice de l’enseigne Seize heures trente à Rennes, annonce la couleur dès sa vitrine aux tonsvert kaki. Chez elle, plaisir du palais et démarche éthique sont intimement liés. Une histoire de conviction profonde pour cette ex-­ingénieure spécialisée dans le bois.

Marion Juhel. (© B. GUICHETEAU)
Une première boutique à l’identité singulière, reflet de la gamme de produits. (© B. GUICHETEAU)

Un premier métier qu’elle a rapidement abandonné pour se reconvertir dans la pâtisserie, une passion de longue date. Durant sa formation (CAP puis BTM), elle songe déjà à s’installer : « J’étais trop âgée pour “monter à Paris” et j’avais mon projet en tête : travailler le gâteau de voyage en lui appliquant les techniques et l’esthétique de la pâtisserie. »

Concrétisation en 2018, avec l’ouverture d’une première boutique Seize heures trente dans une ancienne crêperie du centre historique de Rennes, transformée en salon de thé. Comme son nom l’indique, son univers et sa gamme font référence aux goûters, avec une jolie carte de cakes, de viennoiseries-cookies et quelques entremets, « faits maison jusqu’aux purées de fruits et aux n­appage­s ».

La pâtissière aime travailler les fruits, comme la poire dans ce cake d’hiver, les légumes et les agrumes en saison. (© B. GUICHETEAU)
La pâtissière aime travailler les fruits, comme la poire dans ce cake d’hiver, les légumes et les agrumes en saison. (© B. GUICHETEAU)

Dès le départ, elle met en œuvre sa philosophie, qui consiste à travailler au maximum des produits locaux. Nulle trace de noix de coco, de fruit de la passion ou de mangue dans ses collections, pour cause de provenances trop lointaines.

Seuls font exception le chocolat et la vanille, remplacée à l’occasion par du mélilot — cette plante mellifère et fourragère aux arômes de tonka, d’amande, avec de légères notes de foin coupé. Et de préciser : « À l’année, nous comptons une trentaine de fournisseurs, meuniers, laitiers, crémiers, maraîchers… » Tout un réseau construit pour partie grâce au collectif de cuisiniers et d’artisans rennais Nourritures, œuvrant pour une gastronomie humaine, durable et en mouvement.

Objectif zéro déchet

Celle qui se mobilise pour une juste rémunération des producteurs estime qu’il est de son devoir de réduire le gaspillage alimentaire : « Quitte à acheter des matières premières plus cher, autant les valoriser dans leur entièreté. »

Pas question donc de jeter les restes ou les excédents de production. Au contraire, ces derniers aiguillent la fabrication, tout comme les saisons. Trop de jaunes d’œuf ? Marion Juhel lance une série de cannelés. Trop de blancs ? Place aux financiers !

De la même manière, elle déshydrate puis pulvérise les queues de fraises ou de pommes (bio­logiques, comme tous ses fruits) avant de les incorporer dans des pâtes ou des crèmes pour aromatisation. « On vise le zéro déchet », souligne la pâtissière, qui pratique la cueillette en saison. Cette manière de travailler répond aussi à ses problématiques de stockage extrêmement limité.

Les grosses pièces de pains au levain, à la belle croûte dorée. (© B. GUICHETEAU)
Le Kurukasha, la couronne signature, mélange de farines T80 et de sarrasin. (© B. GUICHETEAU)

En boutique, cela donne une gamme singulière de douceurs à la composition soigneusement détaillée couche par couche sur Instagram. Illustration avec l’entremets Medellin associant une mousse et une ganache citron sur une base de granola, cake et praliné graines de courge ; ou la bûche Vignoc, à Noël, composée d’un carrot cake cannelle-­cardamome (l’un des best-sellers de la gamme des gâteaux de voyage), d’un croustillant au praliné de graines de courge, d’un confit de carottes relevé d’une pointe de gingembre et d’une mousse au cream cheese local.

Accord boisson-entremets pour une pause goûter dans le centre de Rennes. (© B. GUICHETEAU)
Best-seller de la gamme : le carrot-cake cannelle-cardamome Buckingham. (© B. GUICHETEAU)

Marion Juhel n’hésite pas à travailler aussi l’algue, le gwell (spécialité bretonne à base de lait fermenté de vaches pie noir), les feuilles (de figuier, de cassissier, etc.) et les fleurs (mimosas, roses) dans des desserts aux noms de lieux rappelant l’attachement au terroir de la pâtisserie.

« Nos gâteaux aux saveurs détonantes arborent une forme classique, et inversement », précise l’artisane qui, contrainte supplémentaire, a réduit son packaging à « une seule sorte d’emballage en carton, type boîte à cake », auquel s’ajoutent des bocaux en verre consignés pour les biscuits et certains entremets. Le cake, son produit phare, est décliné en six à huit références et en deux formats à partager (4/6 personnes) ainsi qu’à la part, à emporter (3,50 €) ou à déguster sur place (3,90 €) accompagnée éventuellement d’une boisson chaude ou froide.

Sur Instagram, Marion Juhel prend soin de détailler la composition de ses créations. (© B. GUICHETEAU)

Sur ce poste, comme pour le reste, les produits sont sourcés (torréfacteur artisanal, lait local, alcools bretons), pensés et réalisés (macérations de fruits et de végétaux 100 % maison) par une mixologue, experte dans l’art du cocktail avec ou sans alcool. « J’aime la transversalité culinaire », sourit l’artisane qui a déjà signé des pâtés en croûte sucrés et a pu développer son offre de boissons grâce à l’ouverture d’un second local, un atelier-boutique, à l’orée du centre-ville l’été dernier. « Car on était vraiment trop à l’étroit dans le premier. »

Une petite collection de viennoiseries complète l’offre sucrée de Seize heures trente. (© B. GUICHETEAU)

Une fermentation lente

À la faveur de ce projet, des pains sont venus compléter l’offre de Seize heures trente et des boulangers ont été recrutés pour renforcer l’équipe. Là encore, la production répond aux valeurs de la créatrice, avec une gamme courte de six à sept références fixes et un éphémère, tous fabriqués en fermentation lente (de 40 à 72 heures), sur farines bio­logiques et levain de blé. « On fabrique exclusivement des grosses pièces pour gagner du temps en façonnage et on les vend non tranchées pour améliorer leur conservation », explique Marion Juhel, qui a mis en place le concept des produits suspendus ainsi qu’une cagnotte en boutique pour « faire marcher la solidarité alimentaire ».

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement