Père Linpinpain : du cinéma aux tournées
Dans le Vaucluse, Manuel Pouet a tourné la page de sa vie professionnelle dans le milieu du cinéma pour lancer son activité d’artisan boulanger. Pour sa petite production en circuit court, il utilise des farines paysannes, du levain et un four chauffé au bois. Il se constitue peu à peu une clientèle fidèle, sur les marchés et lors de son tour des villages du Luberon.
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Au Fournil de Margaux, à Mérindol, dans le Vaucluse, le feu crépite dans le fond du foyer. Manuel Pouet se penche au-dessus du pétrin en bois. Il racle et prélève une pâte de petit épeautre, onctueuse, très hydratée et odorante. Puis il la dépose dans un moule métallique huilé posé sur une balance. Ce mélange au levain blé-seigle a poussé toute la matinée.
L’artisan est de ceux qui travaillent de façon très traditionnelle. Il pratique le pétrissage manuel parce qu’il aime le toucher, le parfum, la chaleur et la sensualité de la pâte à pain. Sous le plan de travail, lèvent dans des bacs en plastique les pâtes à pain de méteil brièvement passées au pétrin électrique. Ses farines sont moulues à la ferme des paysans meuniers Pierre Chatel et Marion Jullian, qui cultivent à Cucuron (84) des variétés de blés et de céréales de pays en Agriculture Biologique (AB). « Le sel est utilisé avec parcimonie, un gramme pour cent grammes de pain, bien en deçà des valeurs préconisées pour le secteur de la boulangerie — les 1,3 à 1,5 % décidés par la filière. Son apport est cependant essentiel à la fabrication du pain », indique-t-il sur Internet à ses clients.
En reconversion professionnelle
À son compte depuis septembre 2023, le boulanger continue d’apprendre avec humilité cette nouvelle activité qu’il s’est choisie. « J’ai senti, après plus de trente-cinq ans, que j’arrivais au bout de mon travail dans le cinéma. J’étais assistant-réalisateur, avant de créer une activité de repéreur en amont des tournages de films et de publicités. Je travaillais principalement à Paris, puis ici, dans la région Sud-Est. » Manuel Pouet échangeait avec des propriétaires pour les convaincre d’accueillir les équipes de tournage. Il a ainsi contribué à de nombreux films et séries.
Habitant Pertuis (84) et cherchant à se procurer des pains de qualité paysanne, il fait une rencontre décisive. À Cucuron, Benoît Lairon-Reynier est paysan-meunier-boulanger. Manuel n’hésite pas à parcourir 12 km pour acheter ses pains. « Le personnage m’impressionnait. Un jour, j’ai osé lui demander de faire un stage chez lui pour découvrir son métier. J’y ai passé deux jours par semaine pendant un mois, et Benoit m’a donné envie de faire ce boulot. » Le boulanger lui a transmis sa façon très instinctive de sentir la matière, de travailler la pâte « sans trop la malmener, avec un façonnage léger, pour la laisser libre de se détendre ». Rapidement, l’apprenti quinquagénaire adore cette nouvelle activité. Il se souvient avoir fait son stage de collégien dans une boulangerie à Gap (Hautes-Alpes), où il a grandi. Comme le temps passé derrière l’écran de l’ordinateur pour son travail lui pèse de plus en plus, il se dit : “Pourquoi ne pas, moi aussi, devenir boulanger ?” Il continue à se former auprès de son initiateur de Cucuron.
Écouter le feu grignoter le bois en écoutant FIP
Avant de passer son CAP en candidat libre à Aix-en-Provence, l’apprenant décide de faire un stage dans une boulangerie conventionnelle. « J’ai découvert le fournil où l’homme doit s’adapter aux machines. Une boulangerie mécanisée est très bruyante. Je n’ai pas aimé le ronron permanent des chambres de pousse, les pâtes que l’on sort froides et qu’il faut manipuler puis placer dans la diviseuse et la façonneuse… », explique-t-il. Manuel préfère écouter le feu grignoter le bois, et FIP, sa radio préférée. Il retourne travailler auprès de Benoit Lairon-Reynier, avant de prendre son envol. Autonome de caractère, Manuel Pouet a besoin de son indépendance.
En juin 2023, le Père Linpinpain — nom soufflé par ses enfants — installe son étal le samedi matin sur le marché des producteurs de Pertuis. « Dès les premiers jours, une clientèle stable était là. Si bien que je continue de préparer pour ce marché soixante-dix kilos de pain le vendredi. » Sa gamme est courte mais efficace. Un pain bis, un complet, un seigle intégral, un méteil et un petit épeautre. Il prépare des petits pains individuels hydratés à 100 % au jus de raisin, et d’autres au cacao et au chocolat noir concassé. Des cookies fourrés et des pissaladières complètent l’offre.
Marchés et tournée de villages
« Je ne voulais pas empiéter sur le terrain de Margaux, qui vend ses pains aux Amap [Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne, NDLR] et au marché de Lourmarin (lire encadré). Je n’ai pas de boutique. J’ai recherché des débouchés en m’adressant aux villages situés entre le fournil et chez moi. » Les élus des communes sans boulanger sont très réceptifs. Manuel cuit donc une fournée le lundi pour les habitants de Puget, Puyvert, Sannes et Peypin-d’Aigues. « Je reste trente minutes dans chaque commune pour vendre. Je me suis fait connaître en déposant des flyers dans les boîtes aux lettres. » D’autres expériences ont été moins fructueuses, comme sur certains marchés où les placiers l’accueillent volontiers avant de lui indiquer qu’il ne peut pas rester. Concurrence oblige. En revanche, celui du dimanche à Saint-Martin-de-la-Brasque lui permet de préparer une troisième fournée hebdomadaire.
Après avoir retiré les braises qui ont chauffé la voûte et la sole du four en terre cuite, Manuel nettoie les cendres au balai et au jet d’eau. Puis, il pose sur la pelle en bois ses pains, qu’il grigne et enfourne un par un. La chaleur résiduelle accumulée offre une cuisson lente, four fermé. Les miches gonflent. Le boulanger les surveille tout en enfournant la suite. « Il n’y a pas de pain parfait, estime-t-il. Si je ne suis pas très content, je fais un prix à mes clients. Le pain ne devrait pas être un produit de luxe si l’on veut que les personnes en mangent régulièrement. » Ses pains bio aux farines paysannes et au levain sont vendus entre 5 et 10 € le kilo.
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