Romain et Élisa Chaudé : meuniers de Versailles
Les Moulins de Versailles se trouvent dans la ville éponyme des Yvelines depuis 1905. Labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant, la minoterie tournée vers la ville est aujourd’hui dirigée par la cinquième génération de Chaudé, représentée par Romain et sa femme Elisa, responsable de la boutique attenante.
Murs en briques, sol en pierre et planchers en bois : Les Moulins de Versailles se tiennent le long de la voie ferrée dans un bâtiment datant du XIXe siècle, depuis 1905. Tout près de la gare de Versailles Chantiers, dans les Yvelines, pour être précis. Si les trains de fret livrant les sacs de blé ne passent plus par là, la minoterie urbaine Chaudé frères, atypique dans le paysage de la meunerie française, fabrique toujours de la farine. Elle est aujourd’hui la propriété de Romain Chaudé, dont l’arrière-arrière-grand-père, lui-même descendant de meuniers, a fondé l’entreprise. Avec sa femme Élisa, ils s’emploient à moderniser production et commercialisation ; le tout en respectant l’histoire, « la magie » du lieu, selon ses termes.
Les Moulins de Versailles disposent ainsi aujourd’hui de leur propre flotte de camions d’approvisionnement en céréales et de livraison. Du label Entreprise du Patrimoine Vivant aussi, récompense pour une histoire industrielle et une excellence en termes de savoir-faire qui ont amené la minoterie à être choisie pour fournir en farines l’Élysée. « C’est une entreprise qui a une âme. Nous ne sommes pas dans la logique de standardisation à outrance qui est celle de la plupart des moulins modernes », souligne Romain Chaudé.
Ingénieur des Arts et Métiers, le presque quarantenaire a démissionné en 2017 pour « sauver l’affaire » familiale, parce que son oncle, « qui était le seul à savoir faire tourner le moulin », partait à la retraite. « Cette entreprise, je l’ai toujours eue dans le sang, il était hors de question que ça s’arrête, raconte-t-il. J’ai appris dans un premier temps : je faisais toutes les moutures, on tirait les sacs avec mon père… et ça s’est progressivement développé. Puis, nous avons eu la chance de tomber sur un super profil, un boulanger qui est devenu chef meunier et fait aujourd’hui tourner le moulin. » Des 6,5 équivalents temps plein [ETP] des débuts, ils sont passés à 11.
Super froment, complète T150, gruaudor T55 ; ou, en bio : T150, T80, T65, khorasan, de grand épeautre blanche, de grand épeautre intégrale ; mais aussi de riz, de pois chiche, de lupin, de sarrasin, de châtaigne, de seigle, etc. : « On ne fabrique que des farines sans insecticides de stockage ou biologiques. Notre souhait, c’est d’avoir un impact environnemental le plus faible possible », explique Élisa. Les blés poussent à moins de 100 km du moulin : « Le producteur le plus proche, qui nous fournit plus de trente pour cent des volumes en bio, se trouve à sept kilomètres », illustre Romain.
La clientèle est aussi diverse que le sont les farines et leurs conditionnements (lire repères). Côté professionnels, les Chaudé travaillent « avec des hôtels-restaurants qui veulent faire leur pain », notamment la cheffe étoilée Stéphanie Le Quellec ; des biscuitiers franciliens, comme la Biscuiterie de la vallée de Chevreuse, la manufacture de biscuit Alain Ducasse, French Biscuit, Pierre & Tim cookies. « On livre des crêperies et des pizzerias aussi, ajoute Romain. On sait faire des farines au moins aussi performantes que celles des Italiens, avec des blés locaux. Tous les pizzaïolos qui essaient nos farines s’en rendent compte, expose-t-il. Si on choisit des blés de qualité, comme c’est le cas aux Moulins de Versailles, il est possible, avec une T55 voire avec une T65, d'obtenir une pâte aussi performante — à la fois élastique et qui peut s’étaler sans casser — tout en conservant de l’enveloppe de blé, et donc des propriétés gustatives et nutritives plus intéressantes que de la T45, avec plus de minéraux, plus de fibres et de goût. »
Ô des Lys ou Fine à Versailles, La Grande épicerie de Paris dans le 7e arrondissement ou Au Levain dans le 15e arrondissement : leur clientèle de boulangers-pâtissiers est plus réduite. « Historiquement, on a toujours fait de la boulangerie, on sait faire, on en livre. Mais je ne finance pas les boulangers, explique le meunier. Je préfère travailler avec des artisans déjà formés, qui sont de bons gestionnaires, qui veulent une farine unique, spéciale, avec une histoire, et sont prêts à communiquer dessus. »
« Nous faisons partie des meuniers franciliens qui s’adressent le plus aux particuliers, poursuit Romain. Au moment du covid, on a clairement observé un basculement entre les ventes en BtoB — ceux qui achètent du vingt-cinq kilos, les gros faiseurs de type boulangeries — et les ventes de petits conditionnements BtoC. Notre entreprise est en pleine ville, donc naturellement nous nous sommes tournés vers les particuliers avec la boutique. C’est aussi à ce moment-là que l’on a vu se développer la vente par internet. » Si la majorité du chiffre d’affaires relève de clients professionnels, dans le magasin attenant au moulin, s'écouleraient ainsi plus de 150 tonnes de farine par an ; et, sur internet*, « on se rapproche aujourd’hui du volume vendu en boutique, voire on le dépasse, précise Romain.
Des mélanges à façon
Pour soutenir la croissance des ventes, le couple a également investi dans les outils de fabrication. « Nous avons modernisé le système d’ensachage et la station de mélange, poursuit le meunier. Toutes les préparations pour pains que nous faisons — complet, de campagne, payse, aux 6 céréales et 4 graines, de seigle, rustique, gamme d’automne ou au maïs… — sont produites au moulin avec des ingrédients locaux que nous sélectionnons. Ce sont des recettes Moulins de Versailles, insiste-t-il. « On sait aussi faire du sur-mesure, enchaîne Elisa. Nous avons des clients qui nous demandent des mélanges à façon, pour lesquels on développe des mixes ; quand les volumes, bien sûr, sont suffisants : nous ne le faisons pas pour cinq kilos. »
« Aujourd’hui, les consommateurs sont vraiment sensibles à ce qu’ils mangent. Ce n’est pas forcément le bio qui se développe le plus, ce sont les farines clean et locales, poursuit Élisa, qui est en charge de la boutique. C’est une tendance nette : le local fonctionne très bien. » « Nous ne sommes pas seulement meuniers, nous sommes aussi épiciers, rappelle Romain. Nous ne vendons pas que de la farine, mais aussi plein de produits locaux. Le pain de nos clients aussi, qu’on récupère lorsqu'on les livre. Le consommateur final veut savoir comment c’est fait, où c’est fait ; être en confiance. En étant à Versailles, nous répondons très bien à cette demande : Moulins de Versailles, c’est un label en tant que tel. »
* Via le site www.pourdebon.com à destination des particuliers et, depuis peu, des professionnels.