L’Atelier éphémère, parti pour durer

Swan Millaire, jeune artisan de 28 ans, est depuis trois ans responsable de la structure.

Misant sur la panification au levain, cette boulangerie de Montreuil, en Île-de-France, est aussi un lieu de passation, qui a notamment permis à son jeune responsable Swan Millaire de retrouver la passion du métier.

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Une boulangerie peut-elle changer le monde ? Sans aller jusque-là, elle peut assurément changer le visage d’un quartier et la vie de ceux qui y gravitent. C’est ce que révèle l’aventure liée à la création de l’Atelier Fournil Éphémère à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, à proximité immédiate de l’est parisien. 

Mise sur pied à l’été 2014 dans les locaux d’une ancienne marbrerie, l’entreprise n’était pas conçue pour durer. Ses fondateurs François Massonnet et Gaultier Vexlard, sortis de la toute première promotion de l’École internationale de boulangerie (créée et dirigée par Thomas Teffri-Chambelland), nourrissaient en effet déjà d’autres projets. Mais, un peu comme la tour Eiffel — qu’il était prévu de démanteler sitôt passée l’exposition universelle de 1889 —, le Fournil Éphémère est une affaire qui semble finalement faite pour durer.

L'équipe comprends aujourd'hui dix personnes à temps plein. (© A. DUFUMIER)

Les artisans y proposent dès le début une fabrication autour du renouveau du travail des levains, et trouvent assez rapidement leur public dans ce quartier à forte mixité sociale. Face au succès des premières fournées, la micro-boulangerie fondée avec les moyens du bord doit assez rapidement se professionnaliser, et s’agrandir. Les créateurs atterrissent alors dans les locaux actuels, au 11 rue de l’église. Ils conservent cependant le nom initial, en dépit de ce que ce déménagement qui place l’entreprise dans le temps long.

La rue transformée par l'ouverture

Dans la foulée de cette nouvelle implantation, c’est la rue entière qui se transforme, comme d’un coup de baguette magique. « Cela a fait boule de neige. On a vu s’ouvrir deux épiceries, et ainsi de suite. Aujourd’hui, la rue est très animée et une association de commerçants a même été constituée », retrace Swan Millaire. 

Le jeune artisan de 28 ans est depuis trois ans responsable de la structure qui compte dix salariés. C’est cependant Thibault Delessard, son ancien collègue, qui en est devenu le propriétaire il y a quatre ans, à la suite du rachat aux deux fondateurs, avec le soutien notable du réseau Initiative Seine-Saint-Denis, une association qui accompagne le démarrage des entrepreneurs et entrepreneuses du département.

La gouvernance du site a su s’adapter et se réinventer au gré des envies et des projets professionnels de chacun. Swan n’exclut pas de créer d’ici quelques années sa propre affaire, avec l’envie de faire sa vie en province avec sa compagne. Lui qui a déjà plus d’une douzaine d’années d’expérience dans le métier au compteur se verrait également bien formateur d’ici dix à quinze ans : « J’ai eu la chance de rencontrer des personnes qui m’ont énormément appris et de bénéficier de beaucoup de partages. Cela a été tellement agréable et profitable que j’aimerais pouvoir le transmettre à mon tour. »

Goût du métier

L’arrivée de Swan dans l’affaire il y a cinq ans a radicalement relancé sa vie professionnelle. « J’ai suivi un parcours classique de boulangerie, retrace le jeune homme. J’ai démarré à quinze ans et demi par un CAP boulanger en apprentissage chez Ferrandi Paris, complété par un CAP de pâtissier. Je ne suis pas issu d’une famille du métier, mais j’ai su très vite que c’était ce que je voulais faire de ma vie. Cela m’a toujours attiré. Je me rappelle encore cette boulangerie des Lilas [Seine-Saint-Denis] que je fréquentais à l’âge de six ans et de qui je tiens cette passion. Le pain est un produit de première nécessité, à la fois très simple et offrant des possibilités infinies. »

Tous les employés de la boulangerie sont embauchés à 39 heures par semaine. Chaque personne est polyvalente et des rotations sont mises en place. (© A. DUFUMIER)

Cette flamme a pourtant bien failli s’éteindre prématurément. « Une fois formé, je me suis lancé dans une carrière en boulangerie traditionnelle pendant huit ans, retrace le jeune homme. Je m’étais habitué à démarrer mes journées à minuit trente, pour un volume de soixante heures de travail par semaine. À la fin je n’en voyais plus tellement le sens et j’avais l’impression de tourner un peu en rond. C’est proche de l’épuisement que j’ai eu l’opportunité de rejoindre l’Atelier Fournil Éphémère. J’y ai repris le goût de ce travail, sur un modèle différent. C’est comme si j’avais dû apprendre un nouveau métier, avec un nouveau touché de pâte du fait de l’emploi de farines de blés anciens et de levain. Cela fait désormais cinq ans que je suis ici, et je suis toujours aussi heureux ! »

Tous les employés de la boulangerie sont embauchés pour 39 heures par semaine. Chaque personne est polyvalente, et des rotations sont mises en place. Avantage pour Swan : rompre l’ennui et simplifier la gestion des plannings. Il n’y a ainsi qu’une personne d’astreinte pour démarrer la panification à 5 heures du matin, avec un roulement. « Ici, nous touchons tous à la pâte et ainsi chacun est responsabilisé », explique le jeune homme, qui se réserve une journée de bureau par semaine.

Ouverture à 14 heures

Ce mode d’organisation n’a été rendu possible que par une modification profonde du rythme de vente institué traditionnellement dans le métier, avec une ouverture au public à partir de 14 heures en semaine. Il est d’ailleurs toujours nécessaire de faire de la pédagogie auprès des nouveaux clients pour expliquer ces horaires particuliers. Par souci de simplification du travail, le choix a été fait de ne pas produire de viennoiseries.

« Nous ne fabriquons que des produits qui se gardent, insiste le jeune boulanger. À la place nous préparons des biscuits et des brioches. Pour le pain, nous travaillons malgré tout plusieurs méthodes de productions, avec cuisson en direct ou à J + 1 de pains en masse, façonnés ou moulés en bannetons… Sur une base de pain de campagne, nous proposons cinq déclinaisons. » Les artisans animent également le fournil à l’aide de productions hebdomadaires ou saisonnières spécifiques, comme le pain de mie japonais le mercredi, le sicilien le jeudi, le panettone au levain sur pâte riche à Noël… Cela crée des rendez-vous appréciés par les clients.

Les artisans veulent aussi préserver un prix du pain raisonnable qui s’affiche en moyenne à 7,20 € le kilo, « alors qu’en région parisienne le pain au levain est plutôt aux alentours de dix euros du kilo », souligne Swan. Les pains de la veille sont par ailleurs vendus à moitié prix et les invendus donnés aux associations locales.

Rebondir après l’incendie

L’aventure a pourtant failli tourner court à la suite de deux incendies, au printemps et à l’été 2024, qui ont contraint l’équipe à fermer les lieux pendant plusieurs mois. « Au cours de cette longue période, nous avons maintenu un petit volume de vente avec les moyens du bord. Cela nous a permis de garder la motivation et de montrer à notre clientèle que l’on était toujours là », souligne le responsable de l’atelier.

Les boulangers sont en outre très attachés à l’origine de leurs matières premières. Ils s’approvisionnent ainsi en farines de blé de population auprès de la ferme meunière bio d’Orvilliers en Eure et Loir, mais aussi auprès du Moulin Pichard dans le sud de la France. De plain-pied et ouvert sur la rue grâce à une grande baie vitrée, l’espace de production est bien visible de la clientèle. Une transparence au sens propre comme au figuré, clairement mise en avant pour susciter l’envie ; contrainte volontaire obligeant aussi à toujours travailler proprement, dans le respect des consommateurs.

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