Franck Kestener en Moselle : l’instinct chocolat
Champion du monde de pâtisserie par équipe aux États-Unis en 2002, Meilleur ouvrier de France chocolatier-confiseur en 2003, Franck Kestener a su appréhender, dès son apprentissage, les subtilités de sa matière fétiche. Il est aujourd’hui à la tête d’une entreprise qui compte un labo-magasin, à Sarreguemines en Moselle et une boutique à Paris.
Lorsqu’en 2003, Franck Kestener est désigné Meilleur ouvrier de France chocolatier-confiseur, il lui faut six mois pour enfiler la veste blanche à col bleu blanc rouge. Non qu’il se sente illégitime, car il a beaucoup travaillé en amont, participe régulièrement à des concours — il remportera d’ailleurs le championnat du monde de pâtisserie par équipe en 2006. Mais, à 27 ans, cela lui semble tout simplement irréel…
Depuis, cet artisan méthodique et passionné a tracé sa route, toute dédiée au chocolat, entre tradition et créativité. À 49 ans, il est aujourd’hui à la tête d’une petite entreprise qui emploie 18 salariés, possède deux boutiques : la maison mère, à Sarreguemines, en Moselle ; et une à Paris, ouverte en 2010.
La Toque magazine (LTM) : Comment devient-on fondu de chocolat ?
Franck Kestener (FK) : Je suis issu d’une famille de boulangers-pâtissiers depuis cinq générations. Mes parents étaient pâtissiers à Forbach, une ville toute proche de la frontière allemande, dans le nord de la Moselle. Ils avaient peu de temps pour mon frère aîné – qui est devenu chercheur en physique – et moi. Cela nous a donné le sens de la débrouille et de l’autonomie. Je prenais des livres de recettes, je préparais des plats pour la famille. C’était plus ou moins réussi, mais ça me plaisait. J’ai donc voulu m’orienter vers la cuisine mais, sur les conseils de mon père, je me suis formé à la pâtisserie : plus rigoureuse, plus exigeante. Dès que j’ai commencé à travailler le chocolat lors de mon apprentissage, ça a été la révélation. J’ai tout de suite senti comment fonctionnait ce produit, souple mais susceptible ; et aimé le côté artistique, créatif. J’ai vite compris la subtilité de la maîtrise des températures en fonction de ce que l’on veut faire : moulage, pliage, sculpture…
Mes parents, chez qui je continuais mon apprentissage, ont ensuite acheté un fonds à Sarreguemines, une ville plus bourgeoise que Forbach, davantage ouvrière. En 1998, j’ai passé ma maîtrise en pâtisserie. Mes parents ont vendu leur fonds du centre-ville. En 2005, j’ai fait construire ces vastes locaux dans la zone artisanale, en périphérie de la ville. La partie labo occupe 1 200 m2, le magasin 50 m2. En 2010, j’ai ouvert un second magasin à Paris. Aujourd’hui, l’entreprise emploie dix-huit personnes. À Paris, il y a deux vendeuses uniquement.
LTM : Cela forge-t-il le caractère de participer à des concours ?
FK : Comme souvent, c’est davantage le chemin pour réussir un concours que le résultat en lui-même qui est intéressant. Pour le championnat du monde de pâtisserie par équipe, nous avons travaillé des week-ends entiers avec mes coéquipiers au cours de l’année précédente. Lors de ces concours, j’ai côtoyé des pointures qui m’ont beaucoup appris. Ces défis ont fait évoluer mon caractère. Quand j’étais jeune, lorsque je ne parvenais pas à réaliser ce que je voulais, je piquais une colère. Comme lors de la finale des championnats de France des jeunes apprentis. Un coup de vent a abîmé mon énorme pièce montée lors du passage à l’extérieur entre le labo et la salle du jury. J’ai voulu finir de casser ma réalisation du jour ! Aujourd’hui, je suis beaucoup plus maître de moi. Peut-être trop, car je donne parfois l’impression d’être impassible. Mais s’il y a une remarque à faire passer à l’un de mes employés, je sais faire, sans m’énerver.
LTM : Quelles sont vos sources d’inspiration ?
FK : Je m’amuse à créer des formes originales. Comme pour la fête des pères : moustaches, tongs, trousse d’écoliers avec sa gomme pâte de fruits, montre… Mais à côté, vous voyez, ce sont les traditionnels macarons et bonbons au chocolat. La gamme de bonbons comprend quarante-quatre sortes : vingt-deux pralinés, vingt-deux ganaches. J’aime autant faire des choses très classiques que d’autres originales, par exemple associer fruits secs, fruits frais et épices. Mais je ne m’impose rien en termes de créativité. Je fonctionne plutôt à l’émotion. Comme lorsque, alors devant une émission de télé tardive, je suis tombé sur le portrait de la danseuse classique Aurélie Dupont. J’ai tout de suite senti une similitude entre nos deux professions : des heures et des heures de travail pour un final le plus abouti possible. Inspiré par un artiste espagnol, j’ai sculpté, moulé, plié, assemblé, afin d’obtenir une danseuse de 1,50 mètre à la silhouette très fine. Cela m’a demandé environ quatre cents heures de travail. J’adore avoir la maîtrise, du produit, de la technique, du résultat.
LTM : Existe-t-il un bon goût français selon vous ?
FK : Certainement, lié à notre art de vivre. C’est pour cela que j’ai ouvert cette seconde boutique à Paris. J’ai lancé une boutique à Sarrebruck en 2014, tout près d’ici mais de l’autre côté de la frontière, en Allemagne. Ça avait bien décollé mais cela a plafonné après le covid. Les Allemands estiment qu’un macaron à un euro, c’est trop cher. Ils ne comprennent pas tout le boulot qu’il y a derrière, n’ont pas le sens du détail tant dans les saveurs que dans les formes comme on peut l’avoir en France. Alors, j’ai fermé le magasin en 2022. En revanche, j’’exporte mes fabrications depuis plusieurs années au Japon. Les Japonais ont un palais subtil. C’est un pays qui a tardivement découvert le chocolat et qui désormais en raffole.