À Paris, la chocolatière Jade Genin trace son chemin

Jade Genin.

Elle a grandi dans une chocolaterie, observant le travail de son père, le chocolatier Jacques Genin. Aujourd'hui patronne de sa propre boutique à Paris, la cheffe met sa créativité au service de la fabrication de chocolats raffinés, inspirés par leur environnement qu'elle présente dans un décor luxueux.

Son père est un grand nom de la chocolaterie, mais c’est bien seule que Jade Genin s’est lancée, il y a trois ans, en ouvrant sa boutique avenue de l’Opéra, à Paris (2e). Celle qui a baigné dans le chocolat et joué avec le glucose pendant toute son enfance, a lâché la robe d’avocate pour la veste de cheffe. Sa nounou, c’était la chocolaterie de ses parents ! Aujourd’hui, elle a la sienne, et pilote une équipe d’une dizaine de salariés répartis entre la vente et le laboratoire attenant. Rencontre avec une cheffe chocolatière qui prône l’indépendance et met au cœur de son travail l’excellence de l’artisanat.

La Toque magazine (LTM) : Vous avez choisi d’ouvrir une chocolaterie en votre nom propre. Pourquoi ?

Jade Genin (JG) : Avec mon père, nous avons la chance de partager le même métier. Il m’a transmis son savoir-faire. Étant quelqu’un d’assez indépendant, avec beaucoup d’idées et de couleurs dans la tête, j’avais envie de créer mon univers, avec mes codes, au côté du sien.

Pour les Fêtes, la chocolatière lance un coffret de quatre pyramidions de différentes couleurs qui s’assemblent dans un écrin, inspirés de la Pyramide du Louvre et habillés de diverses couleurs et de feuille d’or. (© Thomas DUVAL)

LTM : Que vous a-t-il appris de plus précieux ?

JG : De prendre en compte la qualité du produit avant tout. Cela même avant que je ne fasse du chocolat, déjà à la maison, quand j’étais petite. Et c’est essentiel pour exercer avec grâce et obtenir un bon résultat. On peut être le meilleur technicien, sans bon produit, on n’arrivera jamais à parler aux papilles, au cœur et au cerveau…

LTM : Vous étiez avocate. L’appel du chocolat a finalement été plus fort ?

JG : Pendant très longtemps, je n’y ai jamais songé. L’entreprise familiale était comme une personne à part entière dans le foyer. Cela faisait partie de mon environnement mais j’associais la chocolaterie à mes parents. Lorsque j’ai commencé à travailler en tant qu’avocate, n’ayant plus ce temps pour y aller, j’ai eu un manque. Je me suis rendu compte que c’était une réelle passion, que c’était vraiment ce que je voulais faire. Aujourd’hui, mon ancien métier me sert beaucoup sur tous les aspects financiers, juridiques… car j’ai monté mon entreprise seule.

LTM : Quelle formation avez-vous suivie ?

JG : J’ai toujours baigné dans cet univers. On en chope les codes, les gestes, l’odeur et le goût. J’ai donc appris certaines choses naturellement dès le plus jeune âge. Et puis, quand j’ai décidé de me lancer, j’ai suivi un ré-apprentissage pendant trois ans auprès de mon père. J’ai travaillé tous les jours avec lui, j’ai appris beaucoup plus facilement grâce à ces vingt-six ans de background…

LTM : Votre père vous conseille-t-il aujourd’hui ?

JG : Pas du tout. Nous sommes l’un et l’autre très indépendants. On dissocie le travail du reste.

(© É-E. MOREAU)

LTM : Quel est votre meilleur souvenir, enfant, à la chocolaterie ?

JG : Il y en a tellement. Je n’avais pas de nounou. C’est la chocolaterie qui me gardait ! Je jouais beaucoup avec les matières, avec le glucose, les pâtes, mais sans approche technique à cet âge. En grandissant, lors de mes anniversaires à la chocolaterie, mon père préparait des moulages de masques. Plus tard, quand j’ai travaillé dans sa boutique pour me faire de l’argent de poche, j’ai vécu de super moments en équipe aussi.

LTM : Comment définiriez-vous la patte Jade Genin ?

JG : L’ambition est de sortir des sentiers battus de la chocolaterie, d’apporter quelque chose de raffiné et créatif – comme la forme géométrique de ma collection, dont la pointe est inspirée de celle de l’obélisque de la Concorde [Paris 8e]—, et d’être davantage sur un registre gourmet que gourmand. À l’image de notre dernière collection, qui s’appuie sur les codes du repas gastronomique et de petites bouchées. L’idée étant d’inviter à la dégustation et à l’échange. Le tout grâce à un sourcing de qualité : on utilise la pistache de Bronte, par exemple, des produits rares, frais et de saison — nos chocolats sont sans conservateurs — pour créer des associations surprenantes.

Signature de la marque et de ce lieu : un travail d’artisanat d’exception avec un côté organique, doré, épuré et géométrique. (© Arnon Productions)

LTM : Lesquelles justement ?

JG : L’alliance du chocolat et de la feuille d’huître, par exemple, ou encore des algues nori dans notre grand crabe de Noël dernier, recouvert de feuilles d’or. On souhaitait représenter l’opulence des tables de Fêtes et amener des notes iodées. En hiver, on va beaucoup jouer avec les épices, comme la baie d’andaliman, au goût très fleuri. L’une de nos créations est inspirée d’un dessert marocain, la zammita, un praliné aux amandes qui accompagne le café. On a également des pralinés plus communs, aux saveurs “à l’ancienne” mais que l’on relève parfois à notre manière : infusés à l’anis vert ou à la menthe fraîche type thé marocain ; ou en utilisant du rapadura, qui va apporter une sucrosité différente. On peut aussi citer notre praliné du moment, amande-macaron-rhum, aux éclats de macaron, très croustillant sous la dent ! Sans oublier notre chocolat à base de banane déshydratée, qui fait vraiment ressortir le goût du fruit. L’originalité passe tant par l’association que par la mise en œuvre.

LTM : Où trouvez-vous l’inspiration ?

JG : Dans la gastronomie salée. Paris m’inspire aussi beaucoup. J’y suis née et j’ai grandi dans cette ville très riche et cosmopolite : nous sommes sans cesse abreuvés de belles choses et il est facile d’y trouver des cuisines du monde authentiques.

LTM : La polémique autour du cadmium a secoué la profession. Comment sourcez-vous votre cacao ?

JG : C’est une réalité et un élément que l’on prend en compte dès l’installation. Ma matière première provient du Honduras, en Amérique latine. Un chocolat de haute qualité ayant des taux excellents — sept fois inférieurs au seuil autorisé. On a la chance de travailler en direct avec un agriculteur, sans intermédiaires, ce qui apporte une transparence tant au niveau de la transformation que de la traçabilité. C’est l’un des seuls au monde à être tree to bar [de l'arbre à la tablette, en français, NDLR] : il transforme les fèves sur sa plantation en tablettes, en liqueur. Cela répartit infiniment mieux la valeur sur la chaîne de transformation et l’information. L’agriculteur est beaucoup plus impliqué dans son travail.

La pointe de la forme géométrique de sa collection est inspirée de celle de l’obélisque de la Concorde, à Paris. (© Arnon Productions)

LTM : Quels sont vos projets pour la fin d’année ?

JG : De novembre à janvier, nous aurons un pop-up installé aux Galeries Lafayette dans le bâtiment principal, sous la coupole. On y présentera des pièces exclusives. C’est une chance d’être aux côtés de très belles maisons. Quand on est entrepreneur, on a souvent le sentiment d’être seul, c’est donc toujours agréable d’être entourés d’enseignes qui nous apprennent des choses, dont on peut observer les codes… Pour les Fêtes, on lance un coffret de quatre pyramidions de différentes couleurs qui s’assemblent dans un écrin, inspirés de la Pyramide du Louvre et habillés de diverses couleurs — rouge, jaune… — et de feuille d’or. Une nouvelle référence à Paris et une création qui peut faire office de décoration de table.

LTM : Parlez-nous de la direction artistique de la boutique…

JG : J’ai travaillé avec l’un de mes meilleurs amis designer d’objet, Khaled Kolsi. Adorant l’artisanat, je voulais des meubles en bois sculptés à la main. Tout a été peint ensuite. C’est la signature de la marque et de ce lieu : un travail d’artisanat d’exception avec un côté organique, doré, épuré et géométrique. C’était aussi hyper important pour moi d’avoir l’atelier dans le prolongement de la boutique, ce qui est rare en chocolaterie car généralement le chocolat n’est pas travaillé comme un produit frais. Mais ici, si. On a besoin d’un approvisionnement quotidien. Cela permet aussi de montrer ce que l’on fait et de créer un lien avec les clients, comme en restauration, pour recueillir leur avis. Enfin, je voulais qu’il soit ouvert sur la rue, pour faire entrer la vie.

LTM : Que préférez-vous dans votre métier ?

JG : Dans celui de cheffe chocolatière, j’adore l’idée de travailler les matières sans voir le temps passer. Et en tant que cheffe d’entreprise, je passe de la fabrication au recrutement, à la communication. J’aime cette polyvalence. L’artisanat de la gastronomie est le seul où il faut combiner précision du geste et rapidité.

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