Les techniques boulangères pour maîtriser les fermentations naturelles

Les levains durs conduits sur des farines complètes sont plus acidifiants. © A.Tandeau

Les méthodes de panification actuelles font une large place aux levains, aux préfermentations et aux fermentations longues. Comment mieux maîtriser les populations microbiennes présentes naturellement dans la farine ?

La technologie des levains a beaucoup progressé ces dernières années et a donné naissance à des approches originales très qualitatives. La maîtrise des fermentations naturelles est même devenue un métier dans le métier car la microbiologie des ferments est un art pointu qui reste peu accessible au boulanger formé dans le sérail. Voici quelques repères scientifiques et techniques qui permettront aux passionnés d’approfondir leur connaissance du sujet.

 

© La Toque magazine

Sélection naturelle

Le grain de blé contient à la surface de ses enveloppes une grande variété de micro-organismes. Cette population varie selon le terroir et confère à la panification au levain naturel une certaine typicité. La flore microbienne contient plus d’une centaine d’espèces différentes (levures, moisissures, bactéries, etc.). Toutes ces microbes vont se retrouver dans la farine, en particulier dans la farine bio complète (qui contient plus d’enveloppes), et donc in fine dans le levain.

Au départ, la population (flore totale) est très faible numériquement. La présence d’eau et de glucides (amidon, sucres) va déclencher la multiplication par division cellulaire des espèces les plus adaptées. Ainsi, au sein d’un levain en cours de rafraîchissement ou d’une pâte en cours de fermentation, la quantité totale de ces micro-organismes explose, jusqu’à constituer plusieurs milliards de cellules par gramme de pâte.

En parallèle, la diversité des micro-organismes décroit fortement. On dénombre dans un levain stabilisé une petite dizaine d’espèces différentes. Les populations les plus représentées sont des bactéries dites lactiques, une famille capable de produire de l’acide lactique par fermentation. Viennent ensuite des levures sauvages, une famille de champignons capables de produire du gaz et de l’alcool par fermentation. Sur l’ensemble des levains français, on dénombre une douzaine d’espèces de levures différentes et une vingtaine d’espèces de bactéries lactiques (Étude Bakery de l’Inrae).

Gestion des populations

Le boulanger est en mesure de favoriser la croissance des levures sauvages et/ou des bactéries lactiques dans son pain (ou son levain) en jouant sur les conditions du milieu.

Les leviers à sa disposition sont : 

 

Bien maîtriser ces conditions permet de stimuler les divisions cellulaires (et d’enrichir ainsi la pâte en micro-organismes) mais aussi d’inciter les bactéries et levures à sortir de leur sommeil pour se mettre au travail (fermentations lactique ou alcoolique).

Le boulanger peut suivre l’activité de son levain en mesurant la production d’acidité et de gaz. L’acidité se contrôle à l’aide d’un pH-mètre : la chute du pH (de 6,5 à 3,5) donne une indication de la dynamique des bactéries lactiques (division cellulaire et fermentation lactique).

La production de gaz se contrôle visuellement par la prise de volume : la rapidité de pousse rend compte, surtout, de l’activité des levures (division cellulaire et fermentation alcoolique).

La fermentolyse permet aux enzymes et aux micro-organismes de la farine de préparer la pâte avant pétrissage. © A. TANDEAU

 

L’ensemencement : un point clé

Un levain arrivé à maturité (tout point) est en mesure de déclencher une fermentation alcoolique et/ou lactique rapide sans délai lorsqu’il est incorporé à la pâte. Mais tout dépend aussi de la dose ajoutée (l’ensemencement) : plus celle-ci est importante, plus la fermentation dans la pâte sera rapide et puissante.

L’ensemencement massif (10-50 %) est intéressant pour une fermentation rapide et régulière (sans risque de dérives). Problème : il pénalise le travail enzymatique, qui demande plus de temps et qui apparaît aujourd’hui important pour la qualité du pain ; avec un gain sur le moelleux (la mie) et le croustillant (la croûte), sur le goût (des arômes de blé, des saveurs), sur la conservation (les composés anti-racissement) et la santé (lire encadré). Les enzymes du blé peuvent en effet dégrader (hydrolyser) les glucides complexes (dont l’amidon) et les protéines (dont le gluten).

Les très faibles ensemencements, comme la méthode Respectus Panis par exemple, ou les très longues fermentations spontanées en masse (fermentolyses) favorisent au contraire cette action. Ces techniques exigent cependant un pétrissage réduit au minimum et de longues phases de repos à température ambiante.

 

Obtenir un pain au levain aromatique et moelleux est un art difficile. © A. TANDEAU

Acidité maîtrisée

Le boulanger peut également inciter les populations microbiennes à suivre une fermentation lactique ou alcoolique, voire les deux. Par exemple, un levain bien nourri, conduit sur farine de blé raffinée, avec des sucres ajoutés (jus, fruit, miel, etc.), des rafraîchis fréquents et courts (toutes les 2-3 heures) et une température ambiante haute (25-30 °C), vont favoriser la croissance des levures (sauvages) et la fermentation alcoolique. Le levain obtenu sera léger, très peu acidulé (pH 5-6) et très gazeux (grosses bulles de gaz carbonique).

La méthode Respectus Panis favorise l’action des enzymes du blé sur la pâte. © A. TANDEAU

Le pain obtenu sera bien alvéolé et sans acidité. Au contraire, un levain conduit sur farine de seigle ou intégrale, sans sucres ajoutés, avec un long et unique rafraîchi (de 10-12 heures) va favoriser l’activité des bactéries lactiques et la fermentation lactique.

Mais le boulanger peut aussi orienter la fermentation lactique vers la production d’acide lactique seulement (homolactique) avec un levain très hydraté et maintenu à température ambiante basse (environ 15-20 °C). Ou bien il peut aller vers une production mixte (hétérolactique) d’acide lactique, d’acide acétique (acide du vinaigre) et un peu de gaz avec un levain peu hydraté et maintenu au chaud (vers 30-35 °C).

Dans le premier cas, le levain (liquide) sera délicatement acidulé en bouche (pH 4-5) et peu gazeux (pas de bulles). Dans le second cas, le levain (dur) sera piquant, acide (pH 3-4) et légèrement gazeux (fines bulles).

Pour trouver le meilleur équilibre sur le goût (lactique, acétique) et le développement, il est important de faire appel à tous ses sens. Mais rien ne remplace une bonne formation délivrée par de vrais connaisseurs.

 

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