Achats : la bonne recette de l’optimisation
Des outils informatiques permettent d’évaluer l’impact des coûts des matières premières sur les marges. L’intérêt en est non seulement d’optimiser ses formulations, mais également de pouvoir mieux négocier les matières premières, piloter les ventes additionnelles, le merchandising, etc. Décryptage.
Évaluer régulièrement les marges brutes de ses recettes pour optimiser la gestion et les achats de ses matières premières. Cette stratégie a toujours été un levier essentiel d’une bonne gestion économique. Dans le contexte actuel d’inflation et de volatilité des prix, elle est devenue presque obligatoire.
« Les artisans n’ont plus le choix, insiste Guillaume Philipson, cofondateur du logiciel de gestion pour les boulangeries et pâtisseries Otami et ancien responsable commercial matières premières à destination des professionnels des métiers de bouche. « Les prix des matières premières connaissent depuis toujours d’importantes variations de prix. Ce qui est nouveau, c’est la pression sur la rentabilité des magasins avec des marges de manœuvre extrêmement ténues, explique-t-il. Les frais fixes, et notamment les charges du personnel, ont augmenté. La pénurie de main-d’œuvre pousse les boulangeries à offrir de meilleures conditions de salaire. Dans le monde d’avant, poursuit-il, la comptabilité d’un établissement pouvait encaisser sans trop de difficultés de 5 à 10 % de hausse sur les achats.Aujourd’hui, c’est devenu très compliqué. Les artisans ont par ailleurs peur d’augmenter leurs prix de vente. C’est compréhensible, car cette stratégie montre ses limites dans un secteur soumis à une concurrence accrue. Dès lors, les boulangers et pâtissiers ont aujourd’hui plus que jamais intérêt à chercher des points de marge en optimisant leurs achats. L’objectif visé par un commerce de 70 % de marge brute mérite d’être réévalué à la hausse, autour de 80 %. »
Pour rappel, la marge brute en boulangerie représente l’expression en pourcentage du chiffre d’affaires (CA) défalqué des achats de matières premières. « Il est important de surveiller cet indicateur régulièrement pour éviter toute dérive », indique l’Institut national de la boulangerie-pâtisserie (INBP) qui a été partenaire de la création du logiciel spécialisé Commissoft.
Un poste de dépenses important
En boulangerie, le poste des achats de matières premières compte presque autant que la masse salariale (de 30 à 50 % du CA*). Il compte même pour 54 % du CA*, si l’on inclut les “autres achats et charges externes”. Avec l’inflation, qui a concerné en premier lieu les matières premières, le poids des achats dans le CA a pu mécaniquement se renforcer depuis la publication de ces chiffres. Or, les achats jouent un rôle considérable dans la rentabilité des entreprises. Une simple règle de trois le démontre. Réduire sa facture liée à ceux-ci de 10 % améliore le résultat net avant impôt de 3 % si la part des achats dans le CA est de 30 %. Or, 3 % de rentabilité en plus ou en moins peut clairement faire la différence en fin d’année dans l’équilibre des comptes d’une entreprise.
Pour tirer parti du suivi de ses acquisitions, plusieurs leviers peuvent être actionnés. Le premier est certainement celui de la négociation avec les fournisseurs. « Dès lors que les artisans tiennent une base de données de leurs prix d’achat, mise à jour et simple d’accès, il leur est facile de se repérer dans les offres commerciales, souligne Guillaume Philipson. Ils peuvent détecter une bonne affaire ou un prix litigieux auprès d’un fournisseur et utiliser les éléments historiques pour négocier les prix, en connaissant également leurs besoins sur l’année. » Cette démarche de vigilance autour des calculs des marges brutes s’intègre aussi dans une logique de gestion du gaspillage et des stocks, de massification des achats, et donc d’amélioration de la trésorerie.
« Une fonctionnalité additionnelle est d’être plus efficace en termes d’étiquetage et d’information de la clientèle, notamment au sujet des allergènes, mentionne Denis Fatet, formateur en boulangerie de l’INBP. Le suivi du coût matière des recettes est également très intéressant pour innover et en construire de recettes nouvelles en conciliation avec les impératifs économiques de l’entreprise. » Avec des logiciels ad hoc, on simule rapidement l’impact d’une montée en gamme d’un ingrédient, comme l’utilisation d’ingrédients d’origine biologique, de farines issues de variétés anciennes de blé, de chocolat en provenance du commerce équitable, etc.
Piloter sa marge
« En faisant ce travail, on se rend compte que certains produits secondaires d’une recette peuvent représenter rapidement de 30 à 50 % du prix de revient, ajoute le cofondateur d’Otami. Il est alors possible de réagir en ajustant les quantités ou bien en supprimant certains ingrédients. Le calcul des marges brutes est aussi un outil très efficace pour détecter les productions qui ont le meilleur rendement. Ces informations sont précieuses pour animer une vitrine dans une logique de merchandising. »
Les produits d’appel à faible marge doivent idéalement être placés en fin de parcours et servir à l’animation de points chauds pour susciter la vente de ceux à plus forte marge. « En boulangerie, chaque produit a sa place optimale, susceptible de varier — en fonction des rituels de consommation — au cours d’une même journée ou des différents moments de la semaine », complète Guillaume Philipson.
Il s’agit également d’utiliser ces informations sur les marges pour transmettre des consignes aux équipes de vente afin de susciter des ventes additionnelles en ciblant les produits les plus rentables. Les spécialités dotées des meilleures marges brutes sont également désignées pour entrer dans la composition des formules ou en vue d’animer certaines promotions. Ce sont celles sur lesquelles il est possible de repartager une partie de la valeur avec ses clients pour créer de l’attractivité dans le point de vente.
* Insee. Caractéristiques comptables, financières et d’emploi des entreprises en 2015. Élaboration des statistiques annuelles d’entreprises (Ésane) 2015 — Insee résultats.