Interview Le pain artisanal devient-il un luxe ?

Entretien avec Jean-Michel Soufflet, Président du Directoire du Groupe Soufflet (Baguépi, Collection gourmande, AIT Ingrédients).

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La Toque Magazine (L.T.M.) : Depuis la flambée de 2007, le prix du blé semble ne pas vouloir retomber sous les 190-200 € la tonne. Peut-on espérer revenir à une valeur raisonnable ?Jean-Michel Soufflet (J.-M.S.) : « On ne reviendra probablement pas à la valeur d'avant 2007 (100-120 €/t), essentiellement pour des raisons structurelles. Avec 70 millions d'individus de plus à nourrir par an et l'augmentation de la consommation de viande par l'amélioration globale du pouvoir d'achat (il faut 4 kg de céréales pour produire 1 kg de viande – NDLR), la demande mondiale en céréales ne cesse de grimper, ce qui se traduit par une hausse du prix sur le marché. Aujourd'hui, 190-200 € la tonne de blé vendue par un organisme stockeur est objectivement une valeur plutôt basse, au vu des charges d'exploitation des agriculteurs qui augmentent (notamment en raison de l'explosion du prix des intrants agricoles). Et ces charges ne sont pas près de baisser avec la réduction à venir des aides européennes. »

L.T.M. : Le prix du pain augmente sans cesse et certains artisans rejettent la faute sur les meuniers qui nivelleraient les prix toujours vers le haut, jamais vers le bas. Que pouvez-vous leur répondre ? J.-M.S. : « Regardez l'évolution comparée des prix du blé et de la farine boulangère : vous pourrez constater qu'à peine 1/3 de la hausse sur le blé a été répercuté. S'agissant de la flambée de 2007, le prix de la tonne de blé est effectivement monté à 300 €, soit une augmentation de près de 180 €. Sachant qu'il faut 133 kg de blé pour 100 kg de farine, cela représente un surcoût de 240 € par tonne de farine, soit 24 € le quintal. Or, cette hausse, nous l'avons supportée en grande partie, avant de subir de nouveaux pics en 2010 et 2012… Il n'est pas possible pour les meuniers d'augmenter le prix des farines en corrélation avec le cours du blé car le marché ne pourrait l'accepter : la meunerie française est en surcapacité (capacité de production supérieure à la consommation) et la concurrence reste vive entre minoteries. L'inflation globale des denrées alimentaires (et donc du pain) est à prendre en compte (+9 % d'après l'Insee – NDLR). Donc oui, le prix augmente… mais notre taux de marge diminue fortement, je peux vous l'assurer. »

Les offres promotionnelles des chaînesde boulangeries sont un levier puissant pour attirer les populations en quête de pouvoir d'achat(Photo : Boulangerie Louise).

L.T.M. : Les artisans font jouer parfois la concurrence entre meuniers pour augmenter leur marge ou baisser leur prix. Est-ce une logique pertinente ?J.-M.S. : « Oui et non. La négociation fait effectivement partie de notre quotidien et on peut faire un geste commercial en fonction par exemple des volumes de commande. Mais lorsqu'un boulanger commence à discutailler en permanence son prix de farine, c'est qu'il est en mauvaise posture. Mon expérience me fait surtout dire que lorsqu'un meunier gagne un client par le prix, il le perd aussi par le prix… car l'artisan finit toujours par trouver moins cher. Le coût de la farine représente en moyenne aujourd'hui de 14 % à 17 % du prix de la baguette, ce qui est peu, comparé aux charges et surtout au coût de la main d'oeuvre. Obtenir un rabais conséquent de 10 euros sur le quintal de farine représente quoi ? À peine 2 centimes par baguette… ce qui est presque insignifiant pour le consommateur. Par temps de crise ou face à une concurrence nouvelle, chercher de la marge en rognant sur le coût des matières premières n'est pas une stratégie pérenne. La vraie question est de savoir quel est le bon positionnement à adopter… »

Le marketing est une compétence qui permet à l'artisan d'analyserles attentes d'une populationet d'y répondre au mieux.

L.T.M. : Alors comment l'artisanat peut-il s'en sortir, surtout en zones populaires où le levier du prix constitue un avantage certain ?J.-M.S. : « On voit clairement aujourd'hui que les boulangers ne peuvent pas s'aligner sur la baguette à 0,35 € du hard-discount. Au fond, cette concurrence n'est pas inquiétante car on n'est ni sur le même produit, ni sur le même métier, ni sur la même clientèle et personne ne s'y trompe. Comprenez que par temps de crise, deux positionnements se font souvent face : celui du prix tiré vers le bas (et de la qualité ajustée) et celui de la qualité poussée vers le haut (et du prix ajusté). Dans la guerre des prix, à nous meuniers d'améliorer notre niveau de qualité et d'élargir nos services. Et à l'artisan d'enchérir lui aussi dans cette voie, avec des produits encore mieux travaillés et une offre de services en phase avec les attentes (voir encadré) ! En cherchant à s'aligner vers le bas, personne n'en sortira gagnant… Cela ne signifie pas bien sûr qu'il faille aller sur un positionnement de luxe. »

La riposte du service face au prix • du pain chaud à toute heure ; • une diversité raisonnable de produits et un réassort permanent ; • un élargissement des horaires d'ouverture ; • une offre snacking/ restauration « facile à consommer » ; • la possibilité de se restaurer sur place ; • un magasin agréable et des vendeuses accueillantes ; • un engagement clair sur la qualité et la sécurité alimentaire ; • une information transparente (produits de revente ou congelés, traçabilité…) ; • un conseil performant (diététique, qualité, allergie, gastronomie…) ; • un stationnement facilité, une attente minimisée ; • un élargissement des moyens de commande, de paiement ou de livraison (commande sur Internet, drive-in, ticketrestaurant, paiement mobile, distributeur de pains…).

par Armand Tandeau (publié le 6 juin 2014)

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