L.T.M. : Le prix du pain augmente sans cesse et certains artisans rejettent la faute sur les meuniers qui nivelleraient les prix toujours vers le haut, jamais vers le bas. Que pouvez-vous leur répondre ? J.-M.S. : « Regardez l'évolution comparée des prix du blé et de la farine boulangère : vous pourrez constater qu'à peine 1/3 de la hausse sur le blé a été répercuté. S'agissant de la flambée de 2007, le prix de la tonne de blé est effectivement monté à 300 €, soit une augmentation de près de 180 €. Sachant qu'il faut 133 kg de blé pour 100 kg de farine, cela représente un surcoût de 240 € par tonne de farine, soit 24 € le quintal. Or, cette hausse, nous l'avons supportée en grande partie, avant de subir de nouveaux pics en 2010 et 2012… Il n'est pas possible pour les meuniers d'augmenter le prix des farines en corrélation avec le cours du blé car le marché ne pourrait l'accepter : la meunerie française est en surcapacité (capacité de production supérieure à la consommation) et la concurrence reste vive entre minoteries. L'inflation globale des denrées alimentaires (et donc du pain) est à prendre en compte (+9 % d'après l'Insee – NDLR). Donc oui, le prix augmente… mais notre taux de marge diminue fortement, je peux vous l'assurer. »
L.T.M. : Les artisans font jouer parfois la concurrence entre meuniers pour augmenter leur marge ou baisser leur prix. Est-ce une logique pertinente ?J.-M.S. : « Oui et non. La négociation fait effectivement partie de notre quotidien et on peut faire un geste commercial en fonction par exemple des volumes de commande. Mais lorsqu'un boulanger commence à discutailler en permanence son prix de farine, c'est qu'il est en mauvaise posture. Mon expérience me fait surtout dire que lorsqu'un meunier gagne un client par le prix, il le perd aussi par le prix… car l'artisan finit toujours par trouver moins cher. Le coût de la farine représente en moyenne aujourd'hui de 14 % à 17 % du prix de la baguette, ce qui est peu, comparé aux charges et surtout au coût de la main d'oeuvre. Obtenir un rabais conséquent de 10 euros sur le quintal de farine représente quoi ? À peine 2 centimes par baguette… ce qui est presque insignifiant pour le consommateur. Par temps de crise ou face à une concurrence nouvelle, chercher de la marge en rognant sur le coût des matières premières n'est pas une stratégie pérenne. La vraie question est de savoir quel est le bon positionnement à adopter… »
L.T.M. : Alors comment l'artisanat peut-il s'en sortir, surtout en zones populaires où le levier du prix constitue un avantage certain ?J.-M.S. : « On voit clairement aujourd'hui que les boulangers ne peuvent pas s'aligner sur la baguette à 0,35 € du hard-discount. Au fond, cette concurrence n'est pas inquiétante car on n'est ni sur le même produit, ni sur le même métier, ni sur la même clientèle et personne ne s'y trompe. Comprenez que par temps de crise, deux positionnements se font souvent face : celui du prix tiré vers le bas (et de la qualité ajustée) et celui de la qualité poussée vers le haut (et du prix ajusté). Dans la guerre des prix, à nous meuniers d'améliorer notre niveau de qualité et d'élargir nos services. Et à l'artisan d'enchérir lui aussi dans cette voie, avec des produits encore mieux travaillés et une offre de services en phase avec les attentes (voir encadré) ! En cherchant à s'aligner vers le bas, personne n'en sortira gagnant… Cela ne signifie pas bien sûr qu'il faille aller sur un positionnement de luxe. »
La riposte du service face au prix • du pain chaud à toute heure ; • une diversité raisonnable de produits et un réassort permanent ; • un élargissement des horaires d'ouverture ; • une offre snacking/ restauration « facile à consommer » ; • la possibilité de se restaurer sur place ; • un magasin agréable et des vendeuses accueillantes ; • un engagement clair sur la qualité et la sécurité alimentaire ; • une information transparente (produits de revente ou congelés, traçabilité…) ; • un conseil performant (diététique, qualité, allergie, gastronomie…) ; • un stationnement facilité, une attente minimisée ; • un élargissement des moyens de commande, de paiement ou de livraison (commande sur Internet, drive-in, ticketrestaurant, paiement mobile, distributeur de pains…). |
par Armand Tandeau (publié le 6 juin 2014)