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Sans frontières. Après les cookies, la biscuiterie lorgne sur les shortbreads et les amaretti italiens.
Sans frontières. Après les cookies, la biscuiterie lorgne sur les shortbreads et les amaretti italiens. © B. GUICHETEAU

Biscuiterie boulangère : miser sur la qualité pour prendre sa part du gâteau

Appréciés des petits comme des grands, les biscuits représentent un levier de développement et de ventes additionnelles en boulangerie. Accessibles, faciles à fabriquer et à mettre en production, ils offrent des opportunités aux artisans cherchant à se diversifier sans se démultiplier.

Sablés, diamants, croquants ; natures, aux graines, pépites de chocolat ou de caramel… après la mode des gâteaux de voyage, cakes, panettones et autres pains d’épices — toujours d’actualité d’ailleurs —, impossible aujourd’hui d’échapper aux biscuits, en boulangerie. Les artisans font à nouveau leur beurre sur cette gamme sèche.

Certains se risquent même à picorer quelques miettes aux mastodontes de l’agroalimentaire, acteurs majeurs de ce marché dynamique, en proposant des alternatives maison (et sans liste d’additifs à rallonge) aux best-sellers du genre, comme les spritz, les Pim’s ou les speculoos.

« Dans les années 2000, il n’y avait pas de cakes chez les artisans. Depuis, ils ont réinvesti ce créneau avec succès et les gâteaux de voyage constituent une famille de produits à part entière, qui a réussi à capter la clientèle. On observe le même phénomène avec les biscuits. Il y a un vrai savoir-faire artisanal à valoriser pour se démarquer et éviter de laisser toute la place aux industriels », assure le Meilleur ouvrier de France (MOF) pâtissier breton Laurent Le Daniel, fabricant de sablés et de florentins. Et les clients suivent !

Compléments de gamme, les biscuits sont des supports de ventes additionnelles, leur prix accessible incitant les consommateurs à l’achat d’impulsion. « Les prix du chocolat ayant augmenté, des gens se sont rabattus sur les biscuits », relevait en début d’année Gaylord Graveleau, à la tête de la boulangerie Vertu (Angers) et de la chocolaterie-­biscuiterie Chocodic, à La Roche-sur-Yon (Vendée).

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À l’avenir, l’entrepreneur prévoit d’ailleurs de renforcer sa production de biscuits. « Le chocolat est de plus en plus cyclique dans ses ventes, concentrées durant les Fêtes et à Pâques. Les biscuits permettent de rendre plus linéaire ou de lisser les ventes sur l’année. De plus, le coût du chocolat en fait un produit que l’on offre alors que les biscuits s’achètent aussi pour soi. »

Petit cadeau à (s’)offrir donc, le sachet de biscuits est synonyme d’achat plaisir et se consomme tout au long de la journée, du petit déjeuner au goûter jusqu’à l’apéritif, toutes générations confondues. « Les biscuits permettent d’amener du chiffre à l’année, même dans les périodes creuses du calendrier », pointe Laurent Le Daniel. À l’unité, ces mignardises peuvent également jouer les bords de tasse en accompagnement d’une boisson chaude, en dégustation sur place dans son propre magasin ou chez ses clients restaurateurs.

Humidité, ramollissement : être vigilant sur le conditionnement

Faciles à mettre en production en boulangerie-­pâtisserie, les biscuits présentent de nombreux avantages ; à commencer par leur durée de conservation, allongée par rapport à des produits frais, sous réserve de bien les conditionner. « Attention à ne pas les emballer trop vite après cuisson, sous peine d’accélérer le développement de moisissures ; et sans non plus attendre trop longtemps, au risque de perdre en croquant : le biscuit est une véritable éponge », prévient le MOF boulanger vendéen Dominique Planchot, de la Maison du même nom.

(© B. GUICHETEAU)

Autre point de vigilance : la cuisson à cœur, à maîtriser pour optimiser la texture et la conservation du biscuit. En la matière, il est possible de jouer sur la composition, comme le dosage et le choix du sucre. « Un sucre cristal ou une cassonade vont amener davantage de croquant qu’un sucre semoule, plus fin. Le sucre va influer aussi sur la conservation, tandis que le beurre va jouer sur la friabilité », note l’artisan.

Le beurre, justement, a fait grincer bien des dents ces derniers mois, la flambée de son prix impactant de plein fouet les biscuitiers. De fait, la fabrication d’un biscuit — comme tout produit — requiert des consommables, de l’énergie et du temps. Leviers de flexibilité, ils peuvent toutefois « s’insérer dans les trous des plannings », apprécie le pâtissier Laurent Le Daniel. Et contrairement aux produits frais, les biscuits ne sont pas soumis aux variations liées à la saisonnalité, en termes de fabrication comme de disponibilité.

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Bredele alsaciens, broyés du Poitou, navettes de Marseille, canistrelli corses… à chaque territoire, ses spécialités, auxquelles s’ajoutent de multiples références sans frontières. Si le marché fait la part belle aux recettes d’antan et aux produits du terroir, cela n’exclut pas l’internationalisation. La preuve avec les cookies, qui ont indéniablement contribué au regain de popularité des biscuits en boulangerie.

Dans la même famille, les amaretti croquants italiens ou les shortbreads anglais (bien friables) commencent à tirer leur épingle du jeu. À Tours, la pâtissière Carolin Schoettler, de la boulangerie Les Trois Grains, a ressorti une recette de sa grand-mère allemande « pour le côté régressif » : « Un succès à Noël ! »

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Jouer sur les farines, glaçages, formes ou formats

Si les biscuits ont valeur de madeleine de Proust, l’innovation n’est pas en reste. Il est possible de jouer sur les farines (sarrasin, riz ou noisette, pour des variantes sans gluten, par exemple), les inclusions (graines, pépites, fruits secs), les glaçages, les formes et les formats pour imaginer une recette signature. « Avec des poudres de fruits ou des épices, toutes les déclinaisons sont possibles », complète Dominique Planchot. Et de révéler l’un de ses secrets de fabrication : « Ajouter de la semoule de blé vêtu pour renforcer le croquant de nos biscuits », dont la galette vendé­enne au beurre et au sel de Noirmoutier ; un classique à l’instar du sablé, que l’on retrouve dans de nombreuses régions, parfois revisité.

Les grandes histoires des petits gâteaux

À Rennes, Laurent Le Daniel a enrobé les fameuses galettes bretonnes de chocolat pour créer ses Lichous. Dans les Hauts-de-France, la boulangerie Mervillon a mis au point l’Anzac, un biscuit longue conservation intégrant des flocons d’avoine, du sirop d’érable et de la noix de coco : « Un hommage à la commémoration de la bataille de la Somme, durant la Première Guerre mondiale, au cours de laquelle les troupes australiennes et néo-zélandaises ont joué un rôle stratégique contre l’offensive allemande », précise Florence Mervillon.

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Derrière chaque biscuit se cache ainsi souvent une histoire, personnelle ou universelle, à activer pour concevoir et promouvoir ses créations. Cela peut augmenter leur potentiel de vente en BtoB et via des revendeurs, comme les épiceries ou les offices de tourisme.

L’Anzac de la boulangerie Mervillon, dans les Hauts-de-France, concilie innovation et patrimoine. (© B. GUICHETEAU)

Les possibilités de personnalisation et de marquage participent également à cette diversification commerciale. La marque Shanty Biscuits a, par exemple, construit sa notoriété sur la fabrication de biscuits à message. Une tendance à adopter ponctuellement pour des événementiels ou des temps forts du calendrier, comme la fête des mères.

Conservation, recyclage : le champion de l’anti-gaspi

Le biscuit s’impose enfin comme le champion de l’anti-gaspi : par sa conservation optimisée mais aussi par sa capacité à valoriser des produits recyclés, voire des déchets dans sa fabrication. Des marques comme Kignon, In Extremis ou Sookies ont construit leur modèle sur ce principe d’économie circulaire, en collectant des invendus de pain secs, réduits en chapelure puis réintégrés dans les recettes. Une démarche vertueuse que certains artisans ont déjà adoptée à leur échelle, pour des biscuits à la texture croustillante et au bon petit goût torréfié.

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Lancé en 2017, le broyeur Crumbler facilite la production de chapelure chez 600 boulangers, dont Stéphane Guichard, installé à Athis-Mons (Essonne). « La chapelure de pain apporte du croquant et de la conservation à nos biscuits, sablés, diamants », confirme l’artisan.

Autre “déchet” pouvant être valorisé en biscuiterie : les drêches de brasserie, le résidu solide issu de la fabrication de bières. Source de fibres et de protéines, ce coproduit végétal peut être séché et moulu pour enrichir des pâtes et leur apporter une typicité sensorielle (notes céréalières, caramélisées ou torréfiées). Idem pour les “farines” de fruits secs (noix, noisettes, amandes), issues du résidu solide obtenu après l’extraction de l’huile. Autant de réemplois qui renvoient à l’origine du mot biscuit, issu du latin bis coctus, signifiant “cuit deux fois”.

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