Révélateurs de jeunes talents (1/2)
Le virus de la compétition s’attrape dès l’apprentissage. Une opportunité à saisir pour les jeunes souhaitant se challenger et s’ouvrir des portes dans le métier. Médiatisée, cette quête d’excellence profite à l’ensemble de la profession et contribue à susciter des vocations.
Le 22 janvier 2024, la France redevenait championne du monde de boulangerie, seize ans après son dernier sacre. Un concours, parmi d’autres, longtemps dominé par les pays asiatiques. Deux mois après cette victoire, les tricolores s’octroyaient le titre européen lors du salon Rest’Hotel, à Clermont-Ferrand. Un signe d’un retour de la France au top niveau ? « L’objectif était de tout gagner en 2024 », sourit Dominique Anract, président de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française (CNBPF).
Ces dernières années, celle-ci a relancé la dynamique de compétition avec la création des concours nationaux du meilleur Croissant au beurre (2019), de la meilleure Galette aux amandes (2022), du meilleur Sandwich (2024) ou encore du master du meilleur Pain au chocolat (2022). « Ces événements créent une émulation dans le métier, ce qui contribue à une amélioration du niveau des artisans et de la qualité des produits », poursuit Dominique Anract.
Tous intègrent des phases de sélections départementales, puis régionales, organisées par les sections locales de la CNBPF, auxquelles peuvent s’ajouter d’autres compétitions à l’initiative de diverses associations, confréries, entreprises. Des catégories y sont souvent réservées aux jeunes : un tremplin pour progresser dans le métier, sur tous les plans — rigueur, créativité, expertise, attitude.
Apprentie à l’École de boulangerie-pâtisserie de Paris, Eugénie Leclercq a remporté le concours de la meilleure Tarte aux pommes 2024 d’Île-de-France organisé par le Syndicat des boulangers du Grand Paris, malgré sa nature stressée. « Cela m’a permis de rester en terrain connu pour me concentrer sur ma production », note la jeune femme qui s’est démarquée en utilisant trois variétés de pommes (Melrose dans la compote, relevée avec une brunoise de Granny Smith et des Cox orange en décor). Et d’apprécier « cette opportunité de [se] challenger et de [se] faire connaître ». Un prélude à des épreuves nationales, comme le concours Un des Meilleurs Apprentis de France.
Différence sur l’originalité
Meilleur apprenti de France (MAF) boulanger 2024, Eliot Carlier a d’abord participé en équipe à la Coupe de France des écoles, sur la suggestion de son formateur, avant de s’inscrire aux sélections des Meilleurs apprentis de France. « Cela permet de se dépasser et d’évoluer très vite », rapporte le jeune homme, en formation chez les Compagnons du devoir à Bordeaux. « À la base, je préfère fabriquer de grosses pièces de pain au levain, j’ai donc beaucoup travaillé les viennoiseries et les pièces artistiques — mon point faible — pour être au niveau », indique celui qui s’est entraîné quasiment tous les soirs pendant plusieurs mois dans son centre de formation d’apprentis (CFA) au point de connaître ses productions par cœur, afin de rester le plus concentré possible le jour J.
Idem pour Romain Benat, 19 ans, lauréat 2023 du concours des Meilleurs jeunes boulangers (MJB) après une première tentative en 2022. « Les échecs font partie de l’aventure », prévient le jeune homme en brevet professionnel, qui estime « avoir gagné en maturité et en savoir-faire ». En CAP, cet élève du CFA de Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire) remporte le concours départemental du meilleur croissant, avant de passer la vitesse supérieure avec le soutien de ses formateurs et de son patron, qui lui offre ses matières premières.
Un bonus car la participation a un concours peut vite coûter cher. « La différence se fait éventuellement sur l’originalité. Cela suppose, par exemple, d’investir dans des moules : un budget pour un salaire d’apprenti », confie Romain Benat, qui n’avait pas conscience non plus de la charge de travail requise. « Il y a les entraînements mais aussi toutes les tâches annexes : constituer les dossiers, commander les matières premières, etc. »
Une préparation qui empiète vite sur sa vie personnelle… mais pas au point de le décourager. Loin de rester seul dans son coin, il s’entraîne avec d’autres professionnels, ce qui lui permet de glaner plein de nouvelles techniques et recettes. Un savoir-faire qu’il met à profit en concours. Après le titre national des MJB, il participe à la finale internationale en Islande. « On a fini troisième », précise celui qui prépare un nouveau concours, le City Bread Championship à Taïwan, en duo avec Axel Vignot, MAF 2024, et sous le coaching du Meilleur ouvrier de France (MOF) Rodolph Couston.
Révélateurs de jeunes talents, ces premiers concours constituent une antichambre pour leurs homologues plus prestigieux que sont les MOF ou les Coupes du Monde, vecteurs de notoriété et consécrations d’une carrière. Sans aller jusque-là, « les concours génèrent de la visibilité auprès du grand public. Ils participent à un développement des ventes, et donc du chiffre d’affaires des artisans », souligne Dominique Anract. Et ce, toutes catégories confondues : « Il faut prendre des apprentis et croire en eux. Il y a toujours un bénéfice de créativité, d’attractivité, pour l’entreprise. »
Sacrée MAF dessert de restaurant en 2016, durant son année de brevet technique des métiers, Charlotte Hagneaux a été soutenue par son patron, lui-même compétiteur par le passé : « Il me permettait de rester après ma journée de travail et me laissait le laboratoire à disposition pour m’entraîner. » À la clé : une jolie couverture médiatique, avec un impact positif pour son entreprise. La jeune femme a depuis ouvert sa boutique au Mans avec son conjoint boulanger et n’a pas hésité, à son tour, à valoriser son titre pour monter son projet. Un juste retour sur investissement.
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