Assistance virtuelle : le futur est déjà là (1/3)
L’extraordinaire puissance de calcul qui se cache derrière l’intelligence artificielle (IA) permet de remplir des tâches qui se trouvent au-delà du potentiel humain. Avec des limites et des risques associés à maîtriser.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Il y a eu la révolution industrielle, qui a décuplé la force de travail ouvrier*. Avec l’intelligence artificielle (IA), se profile une révolution de même nature, qui se déplace sur le plan des capacités cérébrales. Les technologies d’IA mettent à disposition des puissances de calcul qui humainement nécessiteraient des équipes surabondantes, économiquement non pertinentes. Ainsi, de nombreuses activités intellectuelles qui étaient limitées par les capacités du cerveau humain sont aujourd’hui susceptibles d’être libérées par l’IA.
« C’est une révolution de cols blancs », tranche Thibaud Jacquel, formateur au sein de l’association pilote de la filière numérique Normandie Web Xperts (NWX), qui a été l’un des utilisateurs test de ChatGPT3 avant sa sortie. « Pourtant, il n’y a toujours pas de véritable intelligence derrière ces dispositifs, rassure le formateur. C’est la puissance des calculateurs qui donne cette illusion d’intelligence. » Selon lui, même l’IA dite générative — grâce à laquelle il est possible de tenir des conversations, de produire des textes ou de l’image — n’est pas à proprement parler un système intelligent : « L’outil ajoute simplement des mots à la phrase selon des lois de probabilité, en fonction des mots précédents. Chaque mot a plus ou moins de poids, et des règles de pondération sont définies en fonction des données pour lesquelles la machine a été entraînée. »
Une technologie ancienne
L’intelligence artificielle n’est en réalité pas quelque chose de nouveau. On peut déjà en parler au moment de la création des ancêtres des premiers types d’ordinateurs, comme la machine d’Alan Turing capable de décoder les conversations secrètes de l’Allemagne nazie dans les années 1940. Un travail humainement impossible à réaliser en masse. « Il y a eu ensuite de nouveau une assez grande effervescence à la fin des années 1990, et ces technologies sont revenues massivement sur le devant de la scène depuis les années 2010 », retrace Thibaud Jacquel.
L’intelligence artificielle est déjà très présente dans nos vies, avec des technologies comme la reconnaissance de texte par image sur les tickets de caisse, la reconnaissance vocale, les modes portrait ou les filtres des appareils photos, le calcul d’itinéraires, ou la saisie de texte intuitive sur les téléphones. En application métier, Thibaud Jacquel assure que « de grandes chaînes de boulangeries-pâtisseries utilisent déjà l’IA pour prédire avec une marge d’erreur très faible les ventes de cookies selon les recettes, par exemple. C’est extrêmement puissant et ce n’est pas de la science-fiction, c’est déjà une réalité. Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est l’intelligence artificielle générative, ajoute le consultant et formateur de NWX. C’est-à-dire tous ces systèmes qui ont la capacité de générer du texte, de la voix ainsi que des images et de la vidéo, poursuit-il. C’est une petite révolution car, avant, l’intelligence artificielle ne pouvait donner que des réponses préétablies. Alors qu’aujourd’hui, elle produit des choses originales ».
Une technologie en plein essor
Un verrou technologique a donc sauté avec l’IA générative, qui se déplie de façon fulgurante et est promise à irriguer tous les secteurs d’activité économique. Le lancement de ChatGPT 3 en version ouverte au grand public le 30 novembre 2022, a permis à ses créateurs de recruter 123 millions d’utilisateurs actifs en deux mois ; quand il a fallu neuf mois à TikTok et deux ans à Instagram, selon des chiffres publiés à l’époque par la banque UBS. Deux ans après, l’usage de l’IA générative s’est considérablement développé. Signe de cette déferlante, la discrète multinationale Nvidia s’est vue propulsée en tant que première capitalisation mondiale boursière, avec plus de 3 000 milliards de dollars. En effet, les puces graphiques de l’entreprise sont jugées indispensables à la puissance de calcul des modèles d’IA générative.
« En termes de capacité d’intelligence artificielle générative, tout avance très, très vite, souligne Lionel Broilliard, expert en pilotage d’entreprises de la boulangerie. Il y a beaucoup d’effets d'annonces car chaque entreprise veut montrer au monde entier ses capacités. Récemment, l’IA française Mistral a été présentée comme la plus puissante du marché Large Langage Model — IA générative. Mais tout cela bouge d’un jour sur l’autre au gré des annonces. L’effet pervers est le lancement de produits parfois non encore complètement aboutis. »
La déferlante ne semble d’ailleurs pas près de devoir s’arrêter. Quand bien même certains annoncent déjà que l’IA générative pourrait à moyen terme s’autodétruire. En effet, l’IA nécessite des données originales pour fonctionner. Sauf que celles-ci risquent rapidement d’être noyées dans la masse des contenus générés par l’IA, qui finirait par s’autoalimenter, conduisant à un effondrement. Cependant, l’heure est déjà à la production d’IA haut de gamme et spécialistes. Plus légères, elles sont aussi capables de se nourrir de contenus protégés et privés, pour des applicatifs spécifiques. À une IA généraliste comme ChatGPT on peut, par exemple, greffer des agents métier appelés GPTs (prononcer “jipitize”). On donne ainsi à l’IA une consigne générale en plus de la demande. Par exemple : “Je suis une boulangère spécialisée dans le travail sans gluten et toutes tes réponses doivent m’orienter vers des solutions de panification sans gluten”.
Hallucinations de l’IA
La limite des IA génératives réside notamment dans les données sur lesquelles elles ont été entraînées. « ChatGPT 3 a été entraîné sur un corpus de 2021 en contexte covid. Pendant longtemps, si vous lui demandiez d’annoncer la fermeture de votre boulangerie, elle risquait d’évoquer l’épidémie dans son texte, alerte Thibaud Jacquel. Certaines IA ont néanmoins la capacité de chercher des données directement sur Internet pour se tenir à jour ; ce qui pose alors tout un tas de questions concernant la propriété des données. Chaque donnée que vous partagez avec une IA générative peut potentiellement servir à améliorer ses futures versions. C'est pourquoi il est essentiel de faire attention aux informations que vous lui confiez, qu'il s'agisse de détails personnels, de données clients, de fournisseurs, ou même de vos précieuses recettes. Soyons vigilants ! Un autre défaut de l’IA générative est qu’elle ne sait pas se taire, sauf si vous le lui demandez clairement. Elle va toujours générer une réponse plausible mais pas nécessairement réaliste à ce que vous lui demandez, même si elle n’en a pas les capacités. C’est ce qu’on appelle le phénomène d’hallucination de l’IA. Il faut donc faire très attention à vérifier les informations clés. »
Enfin, il faut savoir que l’IA est aussi retouchée et reprogrammée par des centaines d’êtres humains, notamment sur des sujets d’opinion portant sur la métaphysique, l’éthique ou la politique. C’est donc un système en partie éditorialisé, comme un journal. Une autre faiblesse de l’IA réside dans sa consommation d’énergie, ou d’eau pour refroidir les processeurs. « C’est pourquoi il faut en avoir une consommation raisonnable à mon sens, indique le consultant de NWX. De nombreux outils sont disponibles dans les logiciels bureautiques classiques et sont souvent suffisants. Lorsque c’est le cas, c’est plus écologique de les utiliser plutôt que de le demander à son assistant IA. »
Sécurité
Pour qu’elle soit pertinente, on peut vite être tenté de “nourrir” l’IA avec des informations clés sur son entreprise, comme un bilan comptable. La question de la sécurité des données est ainsi quelque chose de problématique car on est responsable pour soi-même mais aussi pour les autres (si l’on souhaite, par exemple, utiliser un tableur de clients ou de fournisseurs). « La problématique actuelle, c’est qu’avec des technologies comme l’IA générative nous avons tous à notre portée, et parfois même gratuitement, les commandes d’une formule 1 pour traiter des données. Avec ces outils, il faut nécessairement se dégager du temps pour se former avant d’espérer en gagner. C’est très important et c’est ce qui sera le plus difficile sans doute pour les boulangers », anticipe Thibaud Jacquel.
* Un litre de pétrole est en effet capable de remplacer l’énergie, l’équivalent du travail manuel quotidien de dix personnes sur un chantier.
Lire le reste du dossier :
Pour accéder à l'ensembles nos offres :