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Lionel Broilliard.
Lionel Broilliard. © Guillaume Collanges/NGPA

« On entre dans l'ère du sur-mesure » (2/3)

L’intelligence artificielle démontre entre autres toute sa puissance dans la possibilité de création d’applications ultra-personnalisées à moindre coût, avance Lionel Broilliard, expert en pilotage d’entreprises de la boulangerie.

Lionel Broilliard accompagne les chef.fes d’entreprise en boulangerie-pâtisserie sur le plan de la gestion et de l’optimisation. Il s’appuie notamment sur l’intelligence artificielle (IA), susceptible, selon lui, de faire gagner un temps précieux et d’enrichir sa pratique du métier.

La Toque magazine (LTM) : Quel est le potentiel de l’IA en boulangerie ?

Lionel Broilliard (LB) : L’IA est d’abord un outil précieux pour gagner du temps au quotidien. Sachant qu’en France, les artisans boulangers travaillent 226 heures par mois, chaque minute compte dans le métier ! Par exemple, analyser un tableur Excel peut prendre un temps assez considérable à un boulanger, alors qu’il va suffire de quelques secondes à l’aide d’une question bien précise à une IA. De plus, l’IA est départie des biais cognitifs humains, susceptibles de tromper les professionnels. Pour profiter pleinement de cette technologie en matière de productivité, la condition est cependant qu’elle réponde à un réel besoin. La première chose que nous faisons chez les artisans est donc de repérer là où les personnes perdent du temps, et notamment tout ce qui est redondant. Sur cette base, on est ensuite en mesure de créer des outils 100 % personnalisés. Il n’y a pas deux établissements identiques en boulangerie et les attentes sont très variées.

LTM : Quelles sont les applications les plus courantes ?

LB : Dans la profession, les premières mises en application que nous constatons visent les besoins en communication. Il s’agit, par exemple, de créer des contributions sur les réseaux sociaux, d’alimenter un site internet, de travailler son référencement. En une journée de travail, un artisan boulanger est à même de créer une année complète de communication sur les réseaux sociaux ! Il faut faire très attention à la qualité, mais c’est faisable. Des personnes peu présentes sur le digital peuvent ainsi gagner en présence. L’IA générative est aussi utilisable en communication interne pour produire des argumentaires de vente ou créer les supports de formation des nouvelles recrues. En deuxième position viennent les utilisations dans le domaine de l’analyse des ventes, que ce soit pour développer le chiffre d’affaires et la marge ou limiter la casse, les stocks et organiser la production. En troisième position, on retrouve des usages pour créer des “recettes du lendemain” permettant de sortir, par exemple, des sempiternels croissants aux amandes.

LTM : Comment créer un outil utile aux boulangers ?

LB : Une fois les besoins spécifiques de l’artisan identifiés, produire un outil personnalisé nous demande, selon la masse d’informations, entre deux jours et trois semaines de travail. Il faut en effet entraîner l’intelligence artificielle à réaliser ce que le boulanger souhaite à partir de ce qu’il sera susceptible de lui apporter comme données. La question, ensuite, est d’adapter l’outil pour qu’il soit utilisable. En clair, les rapports doivent être très rapides à analyser et bien lisibles sur le plan opérationnel pour prendre des décisions. On crée ainsi des outils qui n’ont besoin que de deux minutes pour sortir un résultat. Ils ont le grand avantage d’être utilisables par tout le monde, sans compétences informatiques particulières. La puissance de l’IA, c’est aussi d’être en mesure de créer des applicatifs personnalisés, alors que jusqu’à présent, les logiciels étaient conçus en vue de répondre à la demande du plus grand nombre. On entre dans l’ère du sur-mesure.

LTM : Est-ce que l’IA est rentable ?

LB : Avec une bonne gestion, et avec l’aide de l’IA, j’affirme qu’il est possible de réduire de 15 à 25 % les stocks en réalisant le même chiffre d’affaires, voire plus, et de libérer de 2 à 5 % de la masse salariale. C’est véritablement un outil de rentabilité et de productivité. Elle peut se connecter aux extractions des caisses, aux fiches recettes et aux stocks pour aider l’artisan à lancer un appel d’offres de matières premières afin de revoir ses prix d’achats en avance. Nous avons des applicatifs où il suffit de prendre en photo le contenu du réfrigérateur pour que soit générée une analyse des produits présents. Si l’outil détecte qu’il y de la salade et du poulet, l’IA peut très bien proposer une recette de sandwichs, de salade, ou une nouvelle idée. Tout cela est déjà une réalité. C’est également une aide précieuse lors des lancements de produits, en vue d’identifier à l’avance leur coût, ce qu’ils rapportent, comment les intégrer dans l’organisation du travail en production. Il y a très peu de limites à la puissance de ces outils.

LTM : Quelles sont les limites ?

LB : On ne doit pas demander à l’IA de décider, mais simplement de servir d’outil d’aide à la décision. Il faut aussi faire attention à la robustesse de certaines IA en fonction des consignes demandées. Une IA peut très bien considérer que la baguette contient du lait dans la liste d’allergènes car, dans sa base de données, elle aura trouvé une recette de baguette contenant du lait. Il faut en être conscient, revérifier, et lui demander de travailler avec les bonnes bases de données. Il est intéressant de constater que l’artisan se crée un assistant avec l’intelligence artificielle. On voit bien que les bons managers sont aussi les bons utilisateurs de l’intelligence artificielle, et vice versa. Si on explique mal les choses à l’IA, si on ne lui donne pas les éléments nécessaires, elle produira de mauvais résultats. De la même manière, si vous changez les données sources qui l’alimentent, par exemple à la suite d’un changement de logiciel de caisse, c’est comme si vous changiez de collaborateur. Cela nécessite de nouveaux apprentissages.

LTM : Vous dites qu’on peut “éduquer” l’IA…

LB : Les données sont véritablement le carburant de l’intelligence artificielle. Dans le domaine professionnel, l’IA générative (ChatGPT, par exemple) est d’autant plus puissante que l’on peut l’éduquer à l’aide de contenus professionnels, tandis que les versions de base sont alimentées par des contenus plus génériques. Si vous souhaitez vous créer un assistant de production de recettes, il est possible de lui fournir un corpus de fichiers numériques pour son apprentissage. La déontologie impose cependant de l’approvisionner en contenus libres de droit. Par exemple, il peut être utile, en vue de créer des recettes sans viande, d’alimenter l’IA avec une liste de recettes végétariennes qui lui serviront de base. On peut tout à fait lui donner des contraintes additionnelles sur le coût des matières premières, le prix de revient, le temps de fabrication…

LTM : Quel est le risque en matière de protection des données ?

LB : Au sein de l’Union européenne, il y a une réglementation sur la protection des données, l’AI ACT. Celle-ci freine d’ailleurs l’arrivée de certaines innovations en matière d’IA. Par exemple, l’intelligence artificielle d’Apple, n’est toujours pas sortie en France. Cependant, même en Europe, nous n’avons pas une confiance absolue dans ces outils en matière de confidentialité, sachant que l’IA a besoin de se nourrir de milliards d’informations. Par mesure de sécurité, il est préférable de ne pas alimenter les IA avec des données sensibles. Je pense notamment à celles de comptabilité. De notre côté, chez Red Pepper Consulting, nous effaçons tout ce qui est personnel dans ces données afin que l’entreprise, ses clients ou ses fournisseurs ne puissent pas être identifiés.

LTM : L’IA ne va-t-elle pas remplacer l’humain ?

LB : L’IA doit surtout remplacer les tâches répétitives avec peu de valeur ajoutée. Ce faisant, les relations humaines au travail pourraient même être plus riches. Je suis persuadé que le lien entre les artisans et leurs fournisseurs va beaucoup changer. Ces derniers auront une bien meilleure vision de ce que les artisans demandent et attendent comme marchandises. Ils seront beaucoup plus précis pour répondre aux besoins et ils auront davantage de temps pour construire avec les boulangers une relation de partenariat afin de les aider dans la construction de chiffre d’affaires. Le commercial qui se déplace uniquement pour faire signer les bons de commande, c’est fini.

Lire le reste du dossier :

- Assistance virtuelle : le futur est déjà là (1/3)

- « Pour que le terrain opère efficacement » (3/3)

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