Coup dur professionnel : « Rompre la solitude du chef d’entreprise » (3/3)

Même si chaque situation est différente, Céline Hachet, docteure en psychologie de la santé au travail, donne des pistes de réflexion et d’action aux entrepreneurs en cas d’épreuve.

Céline Hachet, docteure en psychologie de la santé au travail. (© DR)

La Toque magazine (LTM) : Par quelles phases passe un artisan, un patron, en cas de situation traumatisante ?

Céline Hachet (CH) : La première phase est souvent celle du déni : le chef d’entreprise se dit “Ce n’est pas possible, ça ne m’arrive pas à moi.” Il pense qu’il est fort, qu’il ne va pas craquer. Il va alors puiser dans ses ressources, le risque étant l’épuisement physique et psychique. Dans le cas particulier du burn out, il y a en général des signaux avant-coureurs que la personne refuse de voir : fatigue persistante après des congés, coupure impossible même dans les moments de détente… Chez certains, on va même assister à la mise en place de conduites addictives — alcool, jeux d’argent, sport à outrance — pour aller chercher des flashs de plaisir immédiat et une forme d’anesthésie. Ce qu’il faut, c’est prendre au sérieux les changements lorsqu’ils durent dans le temps, ce n’est pas bon signe.

LTM : Comment inverser cette spirale infernale ?

CH : Il y a en général un élément déclencheur : une émission, une réunion, le témoignage d’un proche qui a vécu une situation similaire, le conjoint qui comprend que ça ne va pas… L’artisan réalise alors que, s’il veut faire face à ce dysfonctionnement, il doit accepter les remarques et éventuellement être pris en charge. Dans un premier temps, il doit mettre des mots sur ce qui lui arrive. Cela lui permettra de mieux cerner ce sur quoi il a la main, comme l’aspect matériel : assurances, travaux, embauches… L’impact psychologique est plus compliqué à cerner. Prendre conscience que : “Je suis peut-être le chef mais je ne suis pas tout-puissant, je suis moi aussi faillible”.

LTM : Quels sont les freins à un accompagnement psychologique ?

CH : La réponse des chefs d’entreprise est régulièrement : “Je n’ai pas le temps”. Mais il faut penser cet accompagnement comme un investissement. Car repousser cette aide est un mauvais pari, le patron risque de craquer plus tard et de façon plus sévère. Il existe désormais des cellules d’aide psychologique, instaurées par les chambres des métiers. Mais je constate aussi que certains artisans ne souhaitent pas se retrouver avec des collègues avec l’impression de ressasser toujours les mêmes problèmes. De rester dans le pétrin, comme ils le disent eux-mêmes. D’où l’idée d’élargir ces petits cercles à d’autres professions, afin d’échanger sans tourner en rond. Mais surtout, il y a un manque de connaissance des structures existantes.

LTM : Quels sont les bons “ingrédients” pour éviter la surchauffe ?

CH : Réussir à se poser. Se ménager de vrais temps de repos. Se couper de la surcharge informationnelle que constituent les appels téléphoniques, les e-mails, les messageries instantanées. S’octroyer des moments où l’on s’y consacre entièrement, mais de façon limitée dans le temps. Disposer dans son entourage de garde-fous aussi : copains, collègues, artisans d’autres corps de métier, conjoint. Les écouter. Rompre la solitude du chef d’entreprise, qui pense qu’il doit avancer quoi qu'il arrive.

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