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Vincent Giustinati (deuxième en partant de la gauche), a été victime d’un AVC à 27 ans. Il a pris ses dispositions pour protéger sa famille et se prémunir en cas de nouveau souci.
Vincent Giustinati (deuxième en partant de la gauche), a été victime d’un AVC à 27 ans. Il a pris ses dispositions pour protéger sa famille et se prémunir en cas de nouveau souci. ©D. PÉRONNE

Entrepreneurs résilients : comment ils ont fait face aux épreuves (1/3)

Maladie grave, incendie, burn out, accident… Des artisans témoignent de la manière dont ils ont géré un épisode traumatisant. Avec le même constat pour la plupart : celui d’un manque d’accompagnement, surtout psychologique, de la part des instances professionnelles. Même si, dans ce domaine, les choses progressent.

En 2015, alors qu’il décuve le pétrin, Vincent Giustinati ressent comme un malaise. Une partie de son visage se paralyse. À l’hôpital, les examens montrent qu’il a été victime d’un accident vasculaire cérébral. Les médecins lui expliquent qu’il souffre d’une malformation cardiaque, à l’origine de ce problème. Il a 27 ans. Heureusement, il récupère très vite, sans séquelles. 

« Mais on prend une grande claque, confirme celui qui est déjà à l’époque, avec son frère jumeau Mathieu, à la tête de deux boulangeries en Moselle. Tout le monde m’a dit : “Ton corps a parlé”. C’est sans doute vrai. J’étais déjà chef d’entreprise à vingt ans. J’avais la niaque. Avec mon frère, nous avons été élevés comme ça, dans l’idée qu’il fallait bosser beaucoup. Maintenant, j’ai beaucoup plus de recul. Je ne travaille plus la nuit. Quand c’est arrivé, j’ai embauché un ouvrier pour me remplacer, qui est toujours présent. »

Sur les conseils d’un ami, il entreprend une formation supplémentaire — un brevet de maîtrise — dans l’optique d’enseigner s’il n’est plus capable de gérer sa propre entreprise. « Ça a été une vraie ouverture, un enrichissement personnel et professionnel. J’ai compris que je m’étais installé trop tôt, raconte-t-il. J’encourage vraiment les jeunes à se former davantage, à avoir plusieurs expériences. » 

Depuis, Vincent a tout de même acheté une troisième boulangerie avec son frère. Il dit avoir été bien accompagné par sa banque, qui ne lui a pas fait « payer » ce souci de santé. Côté assurances, c’est évidemment la surprime. « Ce gros pépin m’a fait prendre conscience de certaines choses. Je suis papa depuis 2019, je vais me remarier bientôt. J’ai pris toutes les dispositions pour ma famille, pour moi, s’il m’arrivait à nouveau un souci. »

Bertrand Glohr (à gauche), victime d’une chute en 2019, avec trois mois d’hospitalisation et trois ans de rééducation, aurait fait faillite sans une équipe solide. (© D. PÉRONNE)

Bertrand Glohr, artisan à Charmes, dans les Vosges, a dû aussi subir un accident corporel pour se rendre compte qu’il n’était pas bien couvert. En 2019, il vient juste de racheter un second magasin, dans une commune toute proche. « Je fonçais, tête baissée, et je me suis pris les pieds dans un carton laissé par un stagiaire », raconte-t-il. C’est la chute. Vertèbres cassées, tassées. Alors âgé de 30 ans, il subit une cimentoplastie et doit rester allongé pendant trois mois. Il reprend l’activité doucement après cet arrêt forcé, avec des séances de kiné pendant trois ans, l’obligation de se ménager, et notamment celle de ne pas porter de lourdes charges. 

« Une grosse, grosse tuile, insiste-t-il. Si je n’avais pas eu une équipe solide en place, avec mon épouse Marina, on ne s’en serait pas sortis. Les deux magasins auraient coulé. J’étais aussi un peu limite au niveau de la prise en charge par mon assurance. Au moment de ma reprise, j’ai revu tous mes contrats pour être mieux couvert. »

Il se retrouve sans rien du jour au lendemain

Philippe Thiébaut est président de la Fédération des artisans boulangers et boulangers-pâtissiers des Vosges. Des cas difficiles, il en accompagne très régulièrement. « Il faut réagir très vite, à la fois pour le matériel et l’affectif : dans les deux semaines qui suivent le coup dur. Trouver les bons interlocuteurs — assureurs, avocat, comptable, mais aussi collègues —, qui vont aider à faire face. La solidarité aide à recaser les apprentis, à trouver rapidement quelqu’un pour remplacer le patron s’il le faut. Cet accompagnement doit être effectué en toute discrétion, précise-t-il. Il faut aussi que l’artisan accepte de se faire aider, ce qui n’est pas non plus évident. Son entreprise, c’est sa vie, accepter qu’un tiers s’immisce n’est pas chose aisée. Il faut du tact et de la patience. Sachant que chaque cas est différent en fonction de la structure, de l’environnement, du statut familial et de l’événement traumatique qui survient. »

Toutes les histoires ne se terminent pas bien. Proche de la retraite, l’artisan propriétaire de cette boulangerie inondée en Moselle en 2024 a cessé son activité. Presque un an après, il n’y a toujours pas de repreneur pour le fonds de commerce. (© DR)

En 2019, cela fait cinq ans que Sarah et Laurent Haupert sont à la tête de leur boulangerie, située à Anderny, en Meurthe-et-Moselle. Installée dans un ancien corps de ferme, dotée d’un four à bois, elle jouxte leur habitation. En juin, un incendie parti de la toiture touche l’ensemble des bâtiments et détruit fournil, magasin et maison. 

« Nous nous sommes retrouvés sans rien du jour au lendemain, sans vêtements, logements ni outil de travail, raconte Sarah. Notre assureur a été très présent immédiatement. Mais on découvre peu à peu les alinéas du contrat, poursuit-elle. Nous avions souscrit un contrat pour la perte d’exploitation, qui devait nous servir un apport minimum. Ce que nous pensions être un revenu mensuel a été l’équivalent d’un capital, versé au moment de la clôture du dossier, au bout de dix mois ! Autant dire qu’il faut avoir un bon pécule d’avance pour tenir. »

Psychologiquement, le choc est rude pour le couple. Mais un projet qu’ils avaient depuis plusieurs mois les secourt : l’ouverture d’un second magasin, à Trieux, qu’ils pensaient faire aboutir un à deux ans plus tard. « Après l’incendie, nous avons reporté toute notre énergie sur cette réalisation, souligne Sarah. Nous avons travaillé jour et nuit pour que tout soit opérationnel le plus vite possible. Avec beaucoup de solidarité autour de nous. Des voisins, des retraités, des clients sont venus nous aider, maniant brouettes et sacs de ciment. » 

La boutique ouvre en septembre 2019. En 2020, nouveau coup dur : la crise sanitaire bloque leurs clients chez eux. « Nous étions toujours sur du bio, avec des personnes qui venaient parfois de loin et avaient interdiction de se déplacer au-delà des kilomètres réglementaires. Nous avons perdu l’équivalent de trente à quarante pour cent de notre chiffre d’affaires », détaille la patronne. Aujourd’hui, le fonds tourne bien. Ces expériences éprouvantes amènent Sara à insister sur l’importance de bien lire ses contrats d’assurance, d’avoir de l’argent de côté et, surtout, un projet pour « rebondir et avancer ».

« Malheureusement, ce que l’on constate souvent, c’est que les contrats d’assurance sont mal ficelés, avec des déclarations qui ne correspondent pas à la réalité en termes de surfaces, de chiffres d’affaires, regrette Philippe Thiébaut. Ou qu’il y a des risques qui ne sont pas ou mal couverts. C’est alors un drame supplémentaire qu’il faut gérer. Nous insistons beaucoup auprès de nos adhérents pour qu’ils revoient régulièrement leurs contrats d’assurance, qu’ils les mettent à jour. Après le sinistre, on peut aussi renégocier avec les fournisseurs, demander des échéances de paiement plus souples. »

Un métier qui exige beaucoup de sacrifices

En septembre 2024, Rémy 35 ans sent, lui, que cela ne va pas fort : « Nous étions partis épuisés en vacances l’été précédent. Nous avions mis ça sur le compte d’une année très chargée. » Avec sa femme Justine, il est à la tête d’une boulangerie-pâtisserie située dans une grosse ville de Normandie. En plus de cette TPE d’une dizaine de salariés, il a des responsabilités professionnelles, se démenant pour aider les jeunes qui démarrent ou des collègues dans une mauvaise passe. Mais la mauvaise passe, voilà qu’il la traverse à son tour : « En septembre, j’ai pris un responsable pour me seconder au magasin, explique-t-il. Quand j’ai constaté que ça tournait bien, je me suis comme autorisé à lâcher prise : plus moyen de me lever le matin. » Le diagnostic tombe : épuisement professionnel.

Alors qu’il est de corpulence mince, Rémy perd une dizaine de kilos en trois semaines. Nuits difficiles, envie de rien, médicaments puis séances chez un psychiatre, il entame le difficile parcours de celui qui est touché par un burn out. Depuis quelque temps, grâce au soutien de Justine, aux traitements, le jeune patron refait lentement surface. 

Sa chute brutale, Rémy l’impute à plusieurs facteurs. « Nous avons un métier difficile, stressant, qui nous isole de nos amis, de la famille. Nous sommes sur les réseaux sociaux, les messages s’accumulent, mais c’est du “sans contact” et cela contribue à cette sensation d’isolement. Et puis, il ne faut pas se le cacher, la réussite financière engendre de la jalousie, ce qui peut aussi nous éloigner de nos proches. Eux ne voient pas tous les sacrifices que nous avons faits pour en arriver là. Alors, on s’accroche car on sait que de nous dépend une famille, nos salariés. » 

En plus de cette sensation de solitude, Rémy réalise qu’il n’est pas bien couvert par son assurance prévoyance. « J’avais théoriquement vingt jours de carence, mais comme il s’agissait d’un burn out, ce délai a été porté à quatre-vingt-dix jours… Trois mois sans rien toucher, en plus de la nécessité de dégager un salaire pour payer le responsable, c’est très pénalisant financièrement. Si vous n’avez pas les reins solides, c’est la faillite. »

« Les personnes qui font un burn out ne doivent pas avoir honte. Ce n’est pas de la faiblesse. Ils ont encaissé plus que les autres, souligne Vanessa Py, directrice des services à la chambre des métiers de la Moselle. Les artisans travaillent beaucoup et ne prennent pas de temps pour eux : se former, échanger avec des collègues. Parfois, ils s’enfoncent dans la dépression sans s’en rendre compte. Nous sommes très vigilants à cela à la chambre des métiers, avec des conseillers d’entreprise qui savent activer les bons signaux. Nous travaillons également à la mise en place d’une cellule Apesa*, comme cela existe dans d’autres départements, à l’initiative des tribunaux de commerce. » Cette cellule sera dédiée au soutien psychologique des artisans, le secteur de la boulangerie-pâtisserie étant particulièrement exposé à ce risque.

* Cellule d’aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë.

Lire le reste du dossier : 

- « L’artisan et sa famille sont couverts par la prévoyance »

- « Rompre la solitude du chef d’entreprise »

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