Les amandes françaises misent sur la qualité (1/3)
Relocaliser la production d’amandes dans le sud de la France n’est pas un vœu pieux. Les professionnels cherchent à sécuriser un approvisionnement en amandes de meilleure qualité, sur les plans gustatif et environnemental, tout en stabilisant le marché et donc les prix. Nous avons poussé la porte des principaux acteurs de ce plan de relance.
De février à mars, les amandiers fleurissent depuis toujours en Provence. Les arbres les plus anciens, aux troncs noirs en torsade, ont résisté à tous les gels. Ils sont le symbole de la résilience. Jusqu’au début du xxe siècle, c’est d’ailleurs à Aix-en-Provence qu’était fixé le cours mondial de l’amande. L’urbanisation ainsi que la concurrence américaine et espagnole ont eu raison des vastes amanderaies provençales.
« En 2015, on recensait moins de deux cents hectares d’amandiers en production. Ceux des Jaubert, à Valensole [Alpes-de-Haute-Provence], et ceux des Nougats Silvain, à Saint-Didier [Vaucluse]. Cette micro-filière ne bénéficiait d’aucun accompagnement technique », explique Florence Fraisse, chargée de mission productions végétales à la chambre régionale d’agriculture Provence-Alpes-Côte d'Azur. Les grandes amanderaies des siècles passés ont été progressivement remplacées par des arbres fruitiers, plus rentables.
Aujourd’hui, le premier producteur mondial d’amandes est un état de l’ouest états-unien : la Californie. Il pèse pour 80 % de la production mondiale. Plus de 500 000 tonnes d’amandes y étaient produites en 1998. Les Américains ont aujourd’hui dépassé les 2 millions de tonnes annuelles ! Et ce, afin de répondre à la demande croissante, et juteuse, de la plupart des pays. Les allégations de l’Almond board of California (association américaine de promotion de l’amande californienne) au sujet des propriétés diététiques et pour la santé des almonds (amandes, en français) ont dopé la consommation en Asie. Et la France importe à grand renfort de containers les petits oléagineux californiens. Vos préparations en pâtisserie, confiserie et chocolat, notamment, sont grandes consommatrices d’amandes entières, concassées et en poudre.
Faire face à la concurrenceaméricaine et espagnole
Si le prix d’achat des amandes californiennes (environ 6 €/kg) est avantageux, les méthodes de production font grincer des dents les défenseurs de l’environnement. Les amanderaies américaines sont copieusement fertilisées et arrosées : « Le système industriel atteint des rendements records de 3,5 tonnes par hectare ! Nos arbres en Provence donnent plutôt 1 tonne par hectare », indique Fabien Dauphin, producteur français qui s’est rendu en Californie. Depuis 2011, à Cucuron (Vaucluse), il cultive 20 ha d’amandiers et il a récemment repris la tête du Syndicat des producteurs d’amande de Provence, regroupant une trentaine d’agriculteurs.
Si les prix de vente des amandes françaises varient en fonction des volumes commandés, la fourchette basse démarre à 12 € le kilo. Face aux mastodontes américains et espagnols, que pèsent les petits producteurs français ? Sur le marché, ils se démarquent avec des amandes qualitatives, moins gorgées en eau et donc plus goûteuses. Afin de conserver au mieux leurs qualités organoleptiques, les amandes sont cassées, notamment à Bédarrides (Vaucluse) chez Laure et Nicolas Granget, des amandiculteurs qui ont investi dans une unité de cassage en 2019.
La région Provence-Alpes-Côte d’Azur compte une centaine de producteurs d’amandes, dont un tiers dispose de plus de 10 ha de culture. La majorité d’entre eux ont planté des amandiers ces dix dernières années. Ils participent au plan de relance de l’amande démarré en 2014, qui veille à respecter un mode de culture durable, intégrant le rôle de l’abeille dans les vergers et plus de biodiversité. Une traçabilité des amandes doit garantir leur authenticité et leur qualité. Selon le dernier recensement agricole, 2 350 ha d’amandiers étaient plantés en 2020 en France, et environ 1 000 ha se sont ajoutés depuis. La production française tend vers les 3 000 tonnes d’amandes par an.
Recettes 100 % amandes de Provence
Sous sa marque Le Chant des amandes, Fabien Dauphin commercialise sa production auprès des pâtissiers et des restaurateurs étoilés. « Les amandes naturelles — avec la peau —, entières et en poudre sont les plus demandées par les professionnels », précise le producteur, qui fournit également la confiserie Le Roy René. Le groupe Territoire de Provence, dont fait partie l’entreprise, a été moteur dans la relance de la filière amande. Producteurs et utilisateurs y travaillent de concert pour faire coïncider leurs besoins. Et des contrats pluriannuels sont signés afin de sceller les accords négociés.
Dans la plaine de la Crau, Laurent Belorgey et Philippe Manassero (La Lieutenante) ont planté 80 ha des variétés lauranne, ferragnès et mandaline. Ils fournissent des calissonniers, des chocolatiers et des nougatiers de la région Sud. « Les précédents plans de relance avaient échoué par manque de volet commercialisation, explique Laurent Belorgey, qui préside l’interprofession France Amande. En 2023, nos clients ont joué le jeu en lançant des gammes de produits cent pour cent amandes françaises. »
Les calissons Le Roy René contenaient jusqu’ici 30 % d’amandes provençales. « Une recette cent pour cent amandes de Provence est sortie de nos ateliers au printemps 2024, explique Laure Pierrisnard, qui dirige l’entreprise. Nous sommes fiers des efforts entrepris. En boutique, la clientèle trouve que le goût d’amande et le fruité ressortent davantage. » L’autre confiseur impliqué dans cette relance est François Doucet, un artisan installé dans les Alpes-de-Haute-Provence. Il transforme les amandes depuis 1969, notamment au travers de sa recette phare intitulée Pralino Eis Amendo. Il s’agit d’amandes de Provence torréfiées puis enrobées de pur sucre de canne parfumé à la vanille Bourbon et aux herbes de Provence.
Un sourcing responsable
Ses pralinos seraient-ils moins savoureux s’ils étaient à base d’amandes américaines ? Certainement. À l’occasion d’une journée professionnelle organisée par Puratos à Carpentras (Vaucluse), Jonathan Mougel — Meilleur ouvrier de France pâtissier-confiseur 2019 – a travaillé des lauranne de Provence et des monterey de Californie. « Dégustée brute avec la peau, on faisait peu de distinction. Émondées, les lauranne ont davantage de goût ; et torréfiées, c’est encore mieux. Autrement dit, plus on la transforme, plus l’amande de Provence exprime sa valeur ajoutée », estime François Moulias de La Compagnie des amandes.
Cette entreprise d’Aix-en-Provence dispose de 220 ha d’amandiers cultivés par huit agriculteurs, dans les départements de l’Aude, des Bouches-du-Rhône, de l’Hérault et du Vaucluse. Elle centralise les petites productions, achète et revend à la grande distribution comme à des artisans, dont le chocolatier Patrick Roger, les nougatiers Chabert & Guillot et la Maison des Sœurs Macarons — plus ancienne confiserie artisanale de macarons — à Nancy.
Selon François Moulias, « l’amande française peut répondre aux besoins en termes d’exigence des artisans voulant se démarquer et avoir un sourcing responsable. Même si elles sont plus chères, les amandes françaises font de l’ombre à celles importées. Les consommateurs finaux sont sensibles à l’achat de productions hexagonales ».
Les syndicats professionnels ont à cœur de toucher directement tous ceux qui consomment des amandes. Pour accentuer la visibilité de la production nationale, une marque Amande de France est lancée. L’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao) est sollicité pour créer une Indication Géographique Protégée Amandes de Provence, et une charte de qualité Label Rouge est en cours d’élaboration.
La qualité doit absolument être au rendez-vous. « Nous mettons en place une succession de bonnes pratiques du champ à la casserie », dit encore Laurent Belorgey. L’interprofession a fait réaliser une étude sur les moyens de conservation des fruits écalés. Conclusion : une chambre froide à 8 °C avec 55 % d’humidité relative est souhaitée. Enfin, un laboratoire d’analyses sensorielles a été mandaté afin de différencier les variétés françaises sur la base d’une quinzaine de critères. Texture en bouche, astringence, amertume, sucrosité, etc. : les résultats intéresserons les artisans les plus passionnés. La Toque ne manquera pas de vous en faire part.
Lire le reste du dossier :
- Pierre Lilamand : confiseur, calissonnier et amandiculteur
- « Réconcilier l’esthétique des paysages et la viabilité économique »