Les farines d’origine localisent la qualité
Des initiatives visent à garantir la provenance des blés utilisés dans les fabrications boulangères avec des modèles d’affaires assez diversifiés. Cependant, il n’existe toujours pas d’Appellation d’Origine Protégée pour le blé.
Mettre en valeur l’origine du blé pour faire valoir un savoir-faire, un terroir et intéresser les consommateurs à la dynamique des territoires, notamment avec des filières locales ou des circuits courts. C’est l’enjeu des initiatives — aujourd’hui foisonnantes — de traçabilité, qui visent à valoriser et à garantir la provenance du blé utilisé en boulangerie. De multiples dispositifs, variant selon la taille du circuit envisagé et le type d’acteurs engagés, existent déjà.
Touselle blanche de Pertuis, le blé retrouvé
L’une des filières qui a poussé très loin les réflexions et la démarche est celle du blé meunier d’Apt. Elle est née avec la redécouverte de la variété touselle blanche de Pertuis chez un agriculteur retraité du Luberon. Depuis lors, une émulation se crée localement autour des variétés anciennes de blé. En 2007, une filière blé-farine-pain est ainsi mise sur pied. Elle rassemble désormais une vingtaine d’agriculteurs bio, un meunier et douze boulangeries. Un cahier des charges encadre la production. Outre la délimitation géographique du terroir, il définit une liste de variétés anciennes de blé utilisables. La mouture se fait sur meule de pierre et doit rester typée, avec une production de farines bises de type T80.
Le pain du Luberon est aujourd’hui identifié par une pastille de pain azyme arborant le logo du parc naturel régional du même nom. Elle témoigne, sur le produit fini, de l’engagement de chaque acteur. Le fonctionnement de cette filière est celui qui se rapprocherait le plus de celui d’une Appellation d’Origine Protégée (AOP), reconnue par l’Union européenne, telle qu’elle existe notamment pour les vins ou les fromages. Toutefois à ce jour, aucune AOP ne concerne le blé ou les produits de boulangerie. La labellisation des grains en AOP est pourtant possible, à l’image des lentilles du Puy, en France et de plusieurs filières de riz en Espagne ou en Italie.
Circuit officiel de labellisation
Le chemin de la labellisation européenne AOP est toutefois très long et nécessite de nombreuses démarches administratives auprès de l’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao). Une autre voie possible vers la garantie officielle par ce dernier est constituée par le dispositif des Indications Géographiques Protégées (IGP), qui “identifie un produit agricole, brut ou transformé, dont la qualité, la réputation ou d’autres caractéristiques sont liées à son origine géographique. [...] Pour prétendre à l’obtention de ce signe, une étape au moins de la production, de la transformation ou de l’élaboration de ce produit doit avoir lieu dans l’aire géographique délimitée”, détaille l’Inao.
L’IGP est moins stricte que l’AOP. Cependant, ce sont les acteurs de la filière qui construisent leur cahier des charges. Dans le cadre de la filière farine de sarrasin IGP blé noir de Bretagne, active depuis 2010, les acteurs ont décidé de garantir — outre l’absence de recours aux pesticides de synthèse — que les productions de la graine et de la farine ont lieu sur le territoire breton.
Un Label Rouge en Limagne
Le Label Rouge fait partie des labels officiels qui se sont bien diffusés dans la filière blé-farine-pain en France. Deux filières ont été labellisées auprès de l’Inao. La première est éligible pour la France entière. La deuxième, De la Graine au Pain, créée en 1997, est spécifiquement mise en place pour valoriser le blé auvergnat issu des plaines de la Limagne. Cette initiative regroupe 80 agriculteurs du Puy-de-Dôme. Elle valorise un terroir particulier, constitué de sols très fertiles aux soubassements volcaniques, particulièrement propices à la culture du blé. La Limagne constitue ainsi depuis des siècles un grenier majeur du pays. Une tradition nourricière perpétuée aujourd’hui, avec 140 boulangeries parties prenantes dans l’Hexagone. Des partenariats avec des moulins de toute la France peuvent être noués.
Des marques territoriales
En dehors des labels officiels gérés par l’Inao, les territoires français ont donné naissance à de nombreuses marques, spécialisées notamment dans les produits alimentaires. Les équipes des moulins qui adhèrent à celles-ci et en respectent le cahier des charges peuvent alors apposer sur leurs produits le nom et le logo de ce label collectif. Elles valorisent ainsi leur lien avec le terroir auprès des boulangers, courroies de transmission vers le consommateur.
L’une des marques territoriales les plus connues est Produit en Bretagne. Néanmoins, il en existe une multitude, à l’image de 100 % Côte-d’Or, Orne Terroirs, Saveurs de Normandie, etc. Les parcs naturels régionaux (PNR) sont également porteurs de nombreuses filières alimentaires avec leurs propres marques, à l’image du PNR du Perche qui supporte la filière boulangère Baguette du Perche.
Les collectifs associent généralement des institutions et des collectivités locales en plus d’organismes consulaires, comme les chambres d’agriculture, ainsi que des producteurs agricoles et agroalimentaires. Il est à noter que la mention de certains lieux est interdite ou limitée. Par exemple, le Mont-Saint-Michel fait l’objet de protection et de limitation de l’usage du nom et de l’image. Sur le camembert, l’évocation de la Normandie est interdite en dehors de l’AOP.
Cumuler les labels
L’adhésion à ces démarches territoriales est souvent associée à d’autres distinctions de qualité, comme le label Agriculture Biologique. Dans le Finistère, par exemple, depuis 2022, le collectif Céréales bio panifiables relocalisées regroupe une vingtaine d’agriculteurs, un meunier-boulanger et des meuniers soucieux de produire un blé bio local adapté à la panification. Ils travaillent ensemble aux essais variétaux, au suivi technologique (taux de protéines, humidité, force boulangère, etc.), à l’intégration dans la rotation des cultures et à la maîtrise de la qualité.
En Île-de-France, le 27 mai 2025, une filière de farine de blé bio a été lancée, associant Région, chambres d’agriculture, meuniers (Moulins Bourgeois et Les Moulins familiaux), coopératives et d'autres partenaires. L’objectif étant de valoriser un tiers de la production bio francilienne.
Lire à ce sujet : Moulins Bourgeois et Les Moulins Familiaux s’engagent dans la nouvelle filière de blés bio d’Île-de-France
De nombreuses formes d’organisation émergent également sur le modèle des circuits courts, à l’initiative d’acteurs aussi divers que des boulangers, des agriculteurs, des meuniers, ou même des consommateurs ou des chefs cuisiniers. Les filières de blé tracées sur l’origine sont le lieu de beaucoup d’innovations et d’expérimentations. Elles forment un véritable laboratoire, qui teste en permanence et à différentes échelles d’autres manières de travailler, avec la même volonté de valoriser des territoires et de singulariser cette fameuse graine de blé, aujourd’hui banalisée sur les marchés mondiaux.