Antigaspi : les biscuits aux pains bio d’In Extremis
Les recettes de biscuits pour le petit-déjeuner et l’apéritif de l’entreprise fondée par Marie Eppe contiennent entre 30 et 35 % de matières revalorisées, dont 20 % de chapelure fine de pain. Pour les fabriquer et faire labelliser sa production Agriculture Biologique, la jeune entrepreneuse a dû créer une filière de chapelure bio issue de pains recyclés.
“Farine” de pain, coproduits alimentaires* — cosses de cacao, marc de pommes, tourteaux de noisettes ou son de blé : l’entreprise In Extremis a poussé la logique de l’upcycling alimentaire aussi loin que possible pour fabriquer ses biscuits et ses tisanes, allant jusqu’à créer une filière de revalorisation des pains invendus pour pouvoir certifier sa production Agriculture Biologique.
« L’objectif était de créer des produits avec des matières premières existantes plutôt que neuves », explique sa fondatrice Marie Eppe, aujourd’hui âgée de 29 ans. Par conviction d’abord : « Je suis allée en école d’ingénieur agroalimentaire avec l’idée d’allier alimentation locale et saine, raconte-t-elle. J’ai fait mes stages dans des entreprises qui partageaient ces valeurs-là, fabriquaient des produits bio, bruts, sans additifs. » Par défi ensuite. « Elles jetaient quand même des produits trop abîmés ou à la suite de problème d’étiquetage. Je me suis dit : “Si des entreprises engagées font face au gaspillage alimentaire, qu’est-ce que ça doit être ailleurs !?” C’est un peu ça qui m’a décidée à entreprendre, en 2018. »
Résultat : les trois références de biscuits petit déjeuner — Soupçon de miel, Pépites de chocolat noir, Éclats de noisettes & cacao — et les deux sortes de biscuits apéritifs — Oignon et origan de Provence, et Graines de tournesol et piment d’Espelette AOP — d’In Extremis contiennent tous entre 30 et 35 % de matières revalorisées, dont un peu plus de 20 % de poudre de pain.
Les invendus des boulangeries de quartier difficiles à valoriser en bio
Selon une étude effectuée par l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) en 2023 auprès de 19 boulangeries-pâtisseries françaises de différentes tailles**, celles-ci jettent 60 kg de pains invendus par an par tranche de 100 000 € de chiffre d’affaires [CA] (il s’agit d’une valeur médiane, ce ratio atteint jusqu’à 260 kg par an par tranche de 100 000 € de CA dans certains commerces de l’échantillon). Ce, sans compter les pains commercialisés à prix réduit auprès d’associations ou via des applications, comme Too Good To Go ou Phenix ; ni ceux vendus ou donnés pour l’alimentation animale.
Un gaspillage qui a un coût pour ces établissements, chiffré par l’Ademe dans cette étude à 600 € par an par tranche de 100 000 € de chiffre d’affaires (valeur médiane) tous stades de production confondus (stockage, préparation, vente).
Pourtant, comme le souligne Marie Eppe, certains pains sont actuellement fabriqués uniquement pour être transformés en chapelure. Mais, si elle a essayé pendant la période de développement d’In Extremis de travailler avec des boulangeries de quartier, en lien avec la banque alimentaire pour optimiser le process, cela s’est avéré trop coûteux à mettre en œuvre. « On est basés vers Nancy, où le pain bio n’est pas majoritaire ; d’un point de vue logistique, c’était trop complexe. »
L’entreprise se fournit donc auprès de la boulangerie semi-industrielle Biofournil, dans le Maine-et-Loire, qui livre des pains façonnés avec des farines biologiques labellisées Agri-Éthique à 95 % et du levain liquide à des magasins bio.
Des invendus liés à des défauts d’apparence ou à une surproduction
« Nous collectons une à deux fois par mois des pains non commercialisés pour des raisons d’apparence ou de surproduction, qui répondent à notre cahier des charges. Ils sont transformés en une fine chapelure par la biscuiterie avec laquelle on travaille, elle-même utilisée comme substitut de farine dans les biscuits. Cela suffit aujourd’hui à nos volumes de production. »
Parce qu’il doit respecter des règles en matière d’hygiène et de sécurité alimentaire, ce circuit est contraignant pour les boulangeries — certaines ont d’ailleurs refusé de faire affaire avec In Extremis préférant continuer à vendre leurs invendus pour l’alimentation animale ou la méthanisation (lire encadré). « Ça demande un engagement de la part des entreprises, souligne Marie Eppe. Elles n’y voient pas forcément un intérêt économique. À Biofournil, la personne en charge de la partie responsabilité sociétale des entreprises est ultra-engagée et a réussi à porter ce projet en interne. »
« Il n’existait pas de filière de chapelure bio à partir de pains recyclés, poursuit-elle. On a donc créé toute la démarche. Cela a nécessité de trouver une boulangerie bio — sans risque de contamination avec du non bio, notamment. Cela supposait également que l’étape de transformation — broyage, séchage — se passe dans un endroit cent pour cent bio. Puis de faire certifier toute la filière, de la collecte à la production de chapelure, ainsi que les biscuits. »
In Extremis, qui sous-traite sa production, s’est associée avec une petite biscuiterie 100 % bio « engagée », qui ne connaissait pas la poudre de pain et l'a suivie dans l’aventure. « On développe les recettes et on les adapte à leur ligne de production en collaboration avec eux », raconte Marie Eppe.
Dans les productions In Extremis, son de blé ou marc de pommes
D’autres coproduits sont présents dans les biscuits : le son de blé, coproduit de la meunerie, à hauteur de 8 à 10 % du total des recettes ; ou de la farine de noisette deshuilée, issue de la fabrication d’huile de noisette, pour 22 % des biscuits Éclats de noisettes & cacao.
Les cosses de cacao et le marc de pommes sont, eux, valorisés dans deux infusions : La Cabossée, « hivernale, épicée et chocolatée » Trophée Or Innovation Natexpo ; et L’Estivale, qui s’infuse et se boit froide en vue de concurrencer les thés glacés.
Plus récentes, ces deux productions représentent 20 % du chiffre d'affaires d'In Extremis. Les cosses de cacao, non utilisées dans la fabrication du chocolat, lui sont vendues par la chocolaterie bean to bar Terre de fèves (Morbihan). « Elles ont une folle odeur de chocolat, sans contenir ni chocolat, ni sucre, ni matières grasses », s’enthousiasme Marie Eppe. Quant au marc de pommes, résidu séché du pressage de pommes (peau, trognon, pépins), au « gout sucré naturel du fruit et riche en fibres » et au prix « environ trois fois inférieur à celui de morceaux de pommes », il est issu de la fabrication de cidre ou de jus de pommes.
In Extremis est un défi aussi parce que, « comme dans la mode éthique, il est aujourd’hui plus cher de fabriquer avec des coproduits qu’avec des matières neuves, non issues de l’upcycling [démarche consistant à transformer des matériaux ou produits usagés en objets de valeur supérieure, NDLR]», regrette sa fondatrice. Les comptes de l'entreprise n'ont d'ailleurs pas encore atteint l'équilibre, que Marie Eppe vise pour 2025. Celle dont les biscuits et les tisanes sont commercialisés sur internet et en magasins bio espère à l'avenir une concurrence à grande échelle sur l'achat des coproduits qu’elle acquiert. « Ça voudra dire qu’on aura réussi à montrer que notre démarche est pertinente, à semer notre graine après des grands industriels. »
* Selon l’Ademe, un coproduit est une “matière intentionnelle et inévitable, créée au cours du même processus de fabrication et en même temps que le produit principal”. Le coproduit est destiné à un usage particulier, distinct de celui du produit dont il est issu.