dossier Artisans boulangers expatriés (1 : Cadrer son projet avant le départ)
Statut, emplacement, business plan, approvisionnement, équipement… sont des points clés à anticiper autant que possible pour éviter les mauvaises surprises.
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Grandissante, la notoriété de la boulangerie-pâtisserie française dépasse largement les frontières de l’Hexagone. Au même titre que la gastronomie tricolore, elle bénéficie d’une aura internationale, alimentée par les Salons, concours et personnalités du métier mondialement renommées, à l’instar de Pierre Hermé ou d’Éric Kayser, présents à l’étranger depuis plus de vingt ans. De nombreux artisans se sont engouffrés dans la brèche ouverte par ces pionniers. Parmi eux, Frédéric Cassel. Sacré Pâtissier de l’année en 1999 et 2007, il remporte le Championnat du monde de la pâtisserie en tant que président de l’équipe de France en 2013. Des titres qui lui ouvrent des opportunités comme expatrié à l’étranger, au Maroc et au Japon, terre d’accueil privilégiée pour la haute pâtisserie française. Dans les deux pays, il opte pour un développement sous forme de licence : « J’apporte mon nom, ma notoriété et mon savoir-faire, avec deux formations et deux collections de desserts assurées par an, contre un pourcentage du chiffre d’affaires au Japon (5 %) et un fixe au Maroc », précise le pâtissier, basé à Fontainebleau (Seine-et-Marne), qui privilégie des contrats de deux ans renouvelables. Pas question non plus de laisser carte blanche pour l’approvisionnement ou la qualité des produits au partenaire local, celui-ci apportant son expérience du pays. « Avant tout, je m’assure de la disponibilité de mes matières premières de prédilection, Valrhona parexemple pour le chocolat, et j’impose un cahier des charges strict », confie l’artisan, qui a bénéficié des conseils et de l’expérience internationale des membres de Relais dessert, prestigieuse association pâtissière, dont il a été président de 2003 à 2018.
Les Salons et concours internationaux (ci-dessus, le Mondial du pain) restent des opportunités de rencontres et d’affaires. D. R.
Accompagnement essentiel
Quels que soient son profil et son projet, il est primordial de bien s’entourer. Fondateurs, en 2017, de la boulangerie-pâtisserie créative BO & MIE, Magali Szekula et Jean-François Bandet attendaient de « gagner en expérience et de trouver le bon partenaire avant de dupliquer [notre] modèle à l’étranger », précise l’entrepreneur. Après trois boutiques à Paris, une possibilité d’ouverture à Barcelone apparaît en 2021, en la personne d’un Français, ami d’ami, installé sur place et futur partenaire (minoritaire). Hypertouristique, attractive et située à seulement 1 heure 45 de vol de Paris, la capitale catalane fait figure de lieu idéal pour une première expatriation en leur nom. « Il y a des points communs avec la France mais des différences aussi, notamment sur les plans administratif, juridique ou financier », prévient l’entrepreneur, qui estime ne pas avoir suffisamment anticipé ces spécificités locales, sans que cela mette en péril le projet du fait de la solidité de leur entreprise.
Dès le départ, le nom de BO & MIE a été calibré pour l’international. BO & MIE
Tous les candidats à l’expatriation n’ont pas cette chance. En 2016, le boulanger Thierry Loy vend ses deux affaires dans les Hautes-Alpes et part pour Milan créer une boulangerie-pâtisserie française avec deux associés italiens. Charge à lui d’apporter son savoir-faire, artisanal et technique, tandis que ses associés gèrent tout l’aspect juridique, financier, immobilier. « Je devais choisir le matériel, mettre au point les recettes, trouver et former l’équipe, soit une douzaine de personnes », détaille Thierry Loy. Ouvert en avril 2018, le lieu bénéficie de l’effet Coupe du monde. « On a eu un super accueil », se souvient le Français, qui se retrouve sur le pont non-stop. La pression et le travail finissent par avoir raison de sa santé. Après un burn-out, il décide de lâcher l’affaire au bout d’un an. « Il est essentiel de se faire accompagner par des personnes de confiance, un avocat et un comptable a minima, qui maîtrisent les démarches, la réglementation et la fiscalité locales », estime-t-il aujourd’hui.
S’assurer de la disponibilité des matières premières, locales et/ou françaises, comme la farine (ici, de GMP), une priorité dans un projet d’expatriation. GMP
Un constat confirmé par Kamel Saci. Fort de sa double casquette de chef boulanger et de consultant international, ce globe-trotter (lire notre article webrubrique « vente » ) prône la sécurité, tant dans le choix de son statut (à adapter au pays) et de ses partenaires que dans son business plan et ses investissements, freinés mais pas arrêtés par la crise sanitaire. Connaître le pays, parler sa langue et/ou bénéficier d’un ancrage familial local sont des atouts.
Fondateur de la Coupe du monde de la boulangerie et d’une école de formation (l’EFBPA), Christian Vabret conseille aussi de se rapprocher des institutions tricolores (ambassades, chambres consulaires, Business France...) pour construire son réseau.
Intégration locale
Grands Moulins de Paris réalise 5 % de son chiffre d’affaires à l’export. Ici, en orange, la présence de l’entreprise, implantée dans 65 pays. GMP
Un top 5 des destinations où investir en 2022 ? Difficile à établir, a fortiori dans un contexte international instable. « Dans l’Union européenne, la circulation des marchandises est plus simple mais la concurrence plus forte ; et à l’inverse, plus on s’éloigne de la France », observe Johann Couavoux, directeur du développement international chez Grands Moulins de Paris.
La boutique Maison Kayser en Israël, expatriée et adaptée. Maison Kayser
L’absence totale de concurrence n’est pas forcément un bon indice non plus pour Frédéric Cassel : « Le succès d’une boulangerie-pâtisserie à la française dépend de la sensibilisation locale en la matière. » Dans tous les cas, mieux vaut « cibler les quartiers touristiques ou d’expatriés pour une question de culture culinaire et de pouvoir d’achat », indique le MOF Boulanger Christian Vabret. Tout en veillant à ne pas grever son budget avec un loyer trop élevé.
S’adapter
Petits corners avec une gamme réduite ou grand espace ultra-polyvalent, les concepts varient suivant les destinations, tout comme le design des lieux, qui peut être plus ou moins traditionnel. Côté équipement et approvisionnement, à prévoir avant le départ, les principaux fournisseurs français disposent de distributeurs à l’étranger. Dans une quête d’indépendance, le consultant international Kamel Saci (lire l’encadré ci-dessous) conseille toutefois de sourcer en parallèle des ingrédients locaux. À la clé : un mix franco-étranger (à élargir à son recrutement, sa gamme, son marketing), gage d’intégration locale. Et le consultant d’inviter les expatriés français « à faire preuve d’humilité, car personne ne vous attend sur place ». Comme lui, nombreux sont les artisans à diversifier leurs activités (conseils, formations, recherche & développement, démonstrations) à l’international. Des parcours qui inspirent Thierry Loy. À la suite de sa mésaventure en Italie, le boulanger se voit bien repartir à l’étranger, « mais plutôt en tant que consultant, avec des missions bien définies par contrat ».
retrouvez ici la partie 2 de ce dossier « Artisans boulangers expatriés (2 : Sur place, s’adapter pour durer) »
et les témoignages en partie 3 : « Ils l’ont fait » et 4 « Des Frenchies chez les Anglo-Saxons »
Barbara GuicheteauPour accéder à l'ensembles nos offres :