Femmes boulangères : celles qui ont choisi de pétrir, façonner et cuire
Selon les chiffres des centres de formation, les boulangères arrivent plus souvent dans le métier à l'occasion d’une reconversion professionnelle qu’au cours d’une formation initiale. Elles créent davantage leur activité et ont à cœur d’être bien entourées, comme en témoignent ici Anaïs, Jeanne, Florie et Stéphanie.
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Pour lancer son propre commerce, il faut faire ses preuves. « Le parcours en boulangerie est moins naturel pour les femmes que pour les hommes [en 2019, 16 % des boulangers-pâtissiers étaient des femmes, contre 7 % en 2015*, NDLR]. Nous avons dû nous battre un peu plus et développer une certaine ouverture d’esprit pour arriver où nous en sommes. C’est cette ouverture qui peut faire la différence dans la conduite de l’entreprise », estime ainsi Anaïs Gousset dans le dossier Paroles de boulangères édité en 2018 par l’Institut national de la boulangerie pâtisserie (INBP)**. Avec deux associés, elle a créé en 2014 une Scop pour reprendre la maison Osmont au Petit-Quevilly (Seine-Maritime). La cheffe de production sera finaliste en 2016 du troisième concours national de la Meilleure baguette de tradition française.
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L’artisane normande aspire à ce que le métier de boulangère se banalise auprès des femmes. Elle, a suivi le cursus de l’INBP. Au niveau CAP, l’institut forme autant de femmes que d’hommes. « Au niveau du brevet de maîtrise, les hommes restent largement majoritaires — environ 90 %, contre 10 % de femmes », indique l’école de formation. Anaïs est sortie major de la promotion 2017 du brevet de maîtrise.
Sa cadette Jeanne Mignot a passé son CAP boulangerie à l’INBP à 26 ans. Elle poursuit aujourd’hui sa formation avec un brevet professionnel en alternance. Cette ingénieure agroalimentaire s’est découvert un goût pour le panifiable lors de stages chez Brioche Pasquier et La Boulangère. Déterminée, elle paie intégralement sa formation : « Quand j’ai un but, je sais pourquoi je me lève le matin. J’aime toucher la pâte, la façonner, puis voir les pains sortir du four tous les jours. Je ne m’en lasse pas. »
Ne pas hésiter à demander de l'aide
Lors de ses stages dans plusieurs boulangeries de Bordeaux, elle remarque que « les garçons ont peur de nous vexer, ils ne savent parfois pas comment vivre la mixité. Alors, je rentre dans leur jeu. Je fais moi aussi des blagues déplacées ! » Jeanne estime que le monde de la boulangerie côté fournil manque de filles. « Nous apportons une nouvelle énergie au sein des équipes, nous avons la maturité nécessaire pour prendre des initiatives. » Elle amorce, par exemple, les moments de nettoyage à plusieurs, c’est plus stimulant. Et n’hésite pas à demander de l’aide pour dévisser les pétrins ancrés au sol : « Il faut savoir se préserver. » Son projet est d’ouvrir sa propre boulangerie quand elle aura acquis suffisamment de connaissances, d’expérience, et qu’elle se sentira légitime dans ce métier.
Place Franz-Liszt, dans le 10e arrondissement de Paris, Stéphanie Petit a ouvert en août 2022 La Couronnée. Nous l’avions rencontrée après avoir remarqué la mention Artisane Boulangère inscrite sur le lambrequin de sa devanture. Cette reconvertie a travaillé pendant plus de vingt ans dans le secteur de la communication avant de se former en boulangerie à l’école Ferrandi.
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À 52 ans, elle a créé son entreprise et en une année l’a faite évoluer malgré les obstacles : un salarié qui n’est pas fiable et qu’elle doit remplacer du jour au lendemain, un four défectueux qu’il faut changer, deux balances neuves qui tombent en panne, etc. Avec sa pugnacité naturelle et l’exigence de préparer des produits de qualité, Stéphanie a doublé son chiffre d’affaires. « J’ai investi dans une chambre de pousse et augmenté la gamme des pains, avec le rouge de Bordeaux et le norvégien. Le Bureau Veritas est passé pour certifier bio huit de nos recettes. » L’artisane a développé d’autres produits, dont des sandwichs avec son pain signature au levain, Le Couronné, garnis d’antipasti maison. Mâche, un restaurant gastronomique de la rue de Chabrol (Paris, 10e), lui commande ce pain bio à la farine de meule et de seigle.
Côté employés, Sherazed reste le pilier de la vente, le boulanger Louis Wilson l’épaule trois jours par semaine et, en pâtisserie, Manisha Luna — « une perle » — est son apprentie. « J’essaie de donner leur chance aux filles ! », indique Stéphanie, qui accueille régulièrement des stagiaires en reconversion. Le magasin a ajouté à sa gamme sucrée des canistrelli corses, un pain d’épices, des madeleines, et une tarte tropézienne qui remporte un franc succès : « Si je n’en fais pas, on m’en réclame ! »
Au mois de mai, lui a été donné l’accord pour ouvrir une terrasse de quatre tables — douze convives. Sa clientèle, fidèle, est composée essentiellement de personnes travaillant dans le quartier.
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Quand Stéphanie a compris que les samedis n’étaient pas rentables, au 1er février 2023 elle a modifié ses horaires en ouvrant du lundi au vendredi. « Le week-end est pour récupérer des journées interminables, la comptabilité, les courses ; et pour la famille. » Ses filles Alesi et Joséphine, étudiantes, l’aident le midi au magasin. Comme pour beaucoup d’artisanes, l’aventure se vit entourée de ses proches.
Mûrir son projet
À Vitrolles, dans les Bouches-du-Rhône, Florie Vicente a même conçu son activité afin de mieux respecter le rythme familial. La boulangère a créé Le Fournil du Puisatier à son domicile, dans un atelier de peintre qui jouxte la maison familiale. Précédemment, cette dessinatrice 3D a travaillé une décennie dans le secteur du BTP : « Je me sentais noyée dans la masse des salariés et ne m’y retrouvais pas humainement. » À l’émission La Meilleure boulangerie de France, elle entend un professionnel parler du levain avec passion, ce qui la décide à se lancer, d’abord pour elle-même. Des tutoriels sur Internet, des blogs, et un livre d’Éric Kayser soutiennent ses expérimentations. Puis, au culot, elle s’adresse en 2016 à Marie-Christine Aractingi, et passe une nuit en fabrication aux côtés de la “Dame Farine” de Marseille. Son projet de devenir boulangère mûrit.
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Ceux qui profitent des essais de pains au levain de Florie sont ses collègues de bureau, son mari Julien, son fils Maxandre et la petite Agnès qui s’annonce. Avec cette naissance, le nouveau projet professionnel est reporté jusqu’en 2020, date à laquelle elle utilise son compte personnel de formation. Florie suit des cours à l’École internationale du savoir-faire français, un organisme de formation professionnelle 100 % digital et s’entraîne chez elle tout en s’occupant de sa maisonnée. Après un stage chez un artisan en juin 2021, son CAP est validé par le lycée hôtelier de Marseille avec la note de 15/20 en pratique.
Le choix d'une microboulangerie
« J’ai passé quelque temps à la Maison Saint-Honoré de Pierre Ragot. Rapidement, le cumul trajets, travail nocturne et besoins des enfants, est devenu impossible. » De quoi laisser la place à l’idée d’une microboulangerie à domicile.
Aujourd’hui, Florie Vicente travaille dans une pièce d’une vingtaine de mètres carré, éclairée par une haute baie vitrée donnant sur le jardin. Quatre jours par semaine, elle pétrit, façonne et cuit : « J’y trouve toujours le même plaisir. » Adaptant sa production à sa mesure, elle a réduit les quantités à 10 kg de pâte par bac. Son équipement — un pétrin italien Eliani et trois fours Rofco aux soles en pierre — lui permet de cuire 18 pains de 650 g à la fois. Ses fournées varient entre 30 et 40 pains, presque tous commandés.
« Julien [son mari, NDLR] est mon pilier, il travaille au bureau d’études d’Airbus Helicopter et s’occupe des vingt-cinq commandes que nous recevons chaque jour de la part des deux cent trente clients réguliers qui habitent le quartier. Nous avons mis en place un système d’abonnement mensuel avec la solution de paiement Zettle by Paypal. »
Les mercredis et samedis se tient à deux pas de chez eux Le Marché de Léon, un producteur maraîcher. Florie et Julien y ont leur stand boulanger avec des pains de campagne, aux graines, paysans, au blé khorasan, au cacao ; aux noix, pignons de pin et raisins secs, sont gourmands. Florie prépare des buns, des pompes à l’huile et des brioches.
Sa clientèle est familiale, ce qui correspond bien au rythme de sa propre famille. « Pendant les vacances scolaires, je produis moins, ou nous partons nous reposer. »
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