« J’aime tant lorsque le pain a une mie si moelleuse… qu’elle me réconforte… et m’emmène en voyage… », a écrit au mur de sa boulangerie Marie-Christine Aractingi. Ses clients peuvent lire sur la devanture peinte en bleu : « Il était une Dame Farine dans un beau palais de levain. De grands pains derrière la vitrine, de l’amour au fond du pétrin, les mains façonnaient, les pâtes valsaient, pains et brioches du jour sortaient chauds du four. » Ça ne vous rappelle rien ? Cette boulangère romantique et créative a ouvert Dame Farine, boulangerie d’art et d’essai à Marseille, il y a bientôt huit ans. Avec un parcours classique d’étudiante en lettres modernes (prépa littéraire puis cours magistraux à Paris-La Sorbonne), elle se destinait à devenir professeur. Sa famille en rêvait, pas elle. Les métiers de bouche l’ont toujours fascinée.
Rien ne prédestinait Marie-Christine Aractingi, diplômée de lettres modernes, à créer son propre commerce. A. Valois
Un défi physique
Étudiante en Grande-Bretagne, loin des siens durant un semestre à Coventry, elle calme son mal du pays en cuisinant avec ses amies. « Pour la première fois, j’ai préparé des man’ouchés, pizzas libanaises au thym et au sésame. Rentrée en France, j’ai demandé à faire une semaine d’essai chez Jean-François, au Grenier à Pains, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine). La pâte, c’est tangible. Alors qu’après dix heures à philosopher, nous n’avons toujours pas de réponse… L’année où j’aurais dû passer l’agrégation, j’ai candidaté pour un BEP boulangerie en alternance », résume-t-elle. Trois années d’apprentissage lui permettent de s’habituer à vider un pétrin à 4 heures du matin.
Elle relève le défi physique du métier. A.Valois
Petite et menue, Marie-Christine s’engage totalement, et relève le défi physique de sa profession. Elle se décide en 2011 pour le Sud de la France, et travaille deux ans avec Benoît Fradette, à Aix-en-Provence. Le travail dès 2 heures du matin est usant. Le fournil qu’elle projette de créer aura une chambre de pousse pour de longues fermentations et pour ne pas avoir à tout préparer en direct. Chez Dame Farine, les pâtes sont bien hydratées puis façonnées à la main. Elle travaille les variétés anciennes de blés bio, aux glutens non allergènes, du Moulin Saint-Joseph à Grans (Bouches-du-Rhône). Militante, Marie-Christine veut réhabiliter le travail des meuniers traditionnels : « Mon meunier n’ajoute pas la moindre protéine de synthèse à ses farines en cours de mouture. Je refuse les améliorants, je refuse aussi de fabriquer des pains sans gluten. Développer ces produits-là revient à ne plus faire d’effort pour fabriquer un bon pain bien digeste. »
Personnaliser l’accueil
Sa boulangerie bio, une des premières de Marseille, ouvre avenue de la Corse (VIIe arrondissement) en 2014. Encore émue, elle raconte le découragement des débuts : « Les clients entraient et ressortaient. Ils ne comprenaient pas qu’une baguette bio coûte 1,20 € et que je ne vende pas de pains au chocolat ni de sodas. » La jeune femme passionnée travaille alors 16 heures par jour, aidée par sa salariée Aurélie. Elle sait son radeau fragile. Aujourd’hui, François et Émilie sont au labo, tandis que Gayané et Marie-Christine se partagent la vente.
François, le boulanger, façonne à la main des petits pains individuels. A. Valois
Une partie importante de son métier : « J’aime blaguer, personnaliser le lien, créer une relation de qualité. » Elle tempère et reconnaît volontiers qu’il n’est pas toujours facile de sourire à chacun quand les charges administratives et mentales de l’entreprise s’accumulent.
Le regard attentif, derrière la protection en plexiglas, elle aperçoit une cliente qui vient de franchir la porte : « Hello… alors, tu pars à la montagne ? », interroge la boulangère en pull maculé de farine. L’avant-veille, la dame a commandé sur Instagram son pain d’épeautre. Elle repart aussi avec un Pistadou, un pain individuel roulé au pesto. Marie-Christine a su prendre sa place, et reconnaît : « Soit les clients m’adorent, soit ils me détestent. » Sa familiarité, son style direct, ses pains et ses gourmandises sucrées et salées forment les ingrédients de son succès. Les habitués viennent chez Dame Farine pas uniquement pour s’approvisionner.
Les pains bio de Dame Farine et son équipe sont alvéolés et les croûtes bien présentes. A. Valois
Soleil levain
Sa gamme comprend environ 25 pains différents, vendus à l’unité ou à la coupe. Les mies sont alvéolées et les croûtes bien présentes. Les baguettes façonnées à la main se dénomment La Dame et La Demoiselle.
La Dame et La Demoiselle en bonne position. A. Valois
Il y a Le Soleil levain, Le Seigle espiègle, Le Pain du bonheur aux gros morceaux de bon chocolat et noisettes torréfiées. « Le Petit Poucet ne sera pas un pain perdu », s’est-elle amusée à écrire. Parce qu’elle aime surprendre, ses derniers tests contiennent du sésame noir, du millet, des graines de pavot, ou encore de la farine de banane verte. Des essais qui lui restent à écrire et raconter.
Les baguettes Dames, Demoiselles et Soleils levain refroidissent avant la mise en vente.
A. Valois
Dame Farine, pour l’art et l’essai. A. Valois
Repères
> Ouverture : 21 juin 2014
> Superficie : fournil 60 m2, boutique 40 m2
> Effectif : 3 boulangers, 1 vendeuse