À 35 ans, Gabriel Le Quang vit aujourd’hui en famille à Antibes (Alpes-Maritimes), et délivre des formations en pâtisserie de haut vol en France et à l’étranger. Ce chef pâtissier a commencé sa carrière en Île-de-France. Les concours l’ont attiré dès le début de son parcours. Ce ne sont pas les titres en eux-mêmes qui le motivent, mais l’exigence d’exceller. Le challenge l’oblige à combler ses lacunes, à se former auprès des meilleurs, à s’exercer et donc à progresser en technique comme en créativité. Selon lui, il n’y a pas de don. « Toutes les erreurs que j’ai faites à mes différents concours m’ont ensuite servi pour le MOF [concours de Meilleur ouvrier de France, NDLR]. C’est le fruit d’un long cheminement, un entraînement intense et un grand moment. Je suis infiniment reconnaissant envers toutes les personnes qui ont pu m’aider de près ou de loin, je les remercie du fond du cœur. » Sans fard, le MOF pâtissier-confiseur 2023 se livre sur son parcours. Entretien.

La Toque magazine : Comment avez-vous découvert l’univers de la pâtisserie ?
Gabriel Le Quang : Mes parents — médecins — ont laissé leurs enfants choisir leur voie. Je pensais devenir cuisinier après unbac technologique en hôtellerie restauration passé à Montargis [Loiret]. Lors d’un stage en cuisine au Carré des Feuillants, à Paris [1er], avec le chef Laurent Bouveret, j’ai pu tout voir des services du midi et du soir. J’ai compris que lacuisine me convenait moins que le labo pâtisserie. On y rigolait, tout en faisant des heures et des heures de travail. Ensuite pour le BEP pâtissier j’ai fait mon apprentissage chez Arnaud Delmontel, à Paris, près de chez ma grand-mère Marguerite chez qui je vivais. Travailler avec des passionnés, des patrons exigeants qui permettent d’apprendre bien, m’a toujours guidé. Au Salon du chocolat, je me suis donc adressé à Stéphane Glacier — MOF pâtissier — et je lui ai confié mon envie de progresser. Six mois après, il cherchait un apprenti : j’ai couru !
LTM : En production, comment s’acquièrent rapidité et précision ?
GLQ : Chez Stéphane Glacier, j’ai pris une décharge. Je débutais et le niveau était cent fois au-dessus du mien ! Je me faisais déchirer : je n’allais pas assez vite ; c’était dur. Je me sers toujours aujourd’hui de ce que j’y ai appris. Par exemple, l’organisation sur la table, pour suivre un ordre sans perdre de temps. Entre 2009 et 2011, j’étais apprenti chez Arnaud Lahrer avant de valider un brevet technique des métiers. Il faut du temps pour maîtriser les gestes techniques. En duo ouvrier-apprenti, nous faisions tout à la main, le même gâteau par centaines.
LTM : À cette période, vous participez à vos premiers concours ?
GLQ : Pour éviter de ronronner et rester motivé au quotidien, préparer un concours donne un cap. Pendant quatre mois à un an, je suis focus sur un objectif. Je me lève en me disant : “Je dois progresser sur ceci et sur cela”. J’ai été sélectionné pour le Meilleur apprenti de France avec peu de temps pour me préparer. J’ai pris une bonne fessée avec l’écriture au cornet ! Au concours des Croquembouches junior, j’ai fini à la quatrième place. Le stress oblige à apprendre à gérer la pression. Et comme on s’entraîne en se remettant en question, on finit les concours meilleurs. En 2013, je me suis inscrit au Championnat européen du sucre d’art et j’ai terminé deuxième. Ça me brûlait déjà à l’intérieur. Comme à un jeu de société, je joue pour gagner ! Ce qui s’est passé en 2015 au Challenge européen des arts du sucre de Belfort [Territoire de Belfort]. J’avais alors remis les bottes de sept lieues et je travaillais pour Julien Alvarez au Peninsula Paris [hôtel 5* du 16e arr., NDLR]. Julien m’a envoyé au Japon trois semaines avant le concours, en cross training avec les Japonais, qui s’entraînaient comme des machines de guerre. Et j’ai remporté le concours.

LTM : Vous vous perfectionnez en étant l’assistant de candidats ?
GLQ : J’adore mon métier et l’atmosphère des concours. Un candidat a besoin des coups de main d’un assistant motivé par l’envie d’apprendre. Quand Johan Martin préparait à l’École Bellouet conseil, à Paris, la sélection à la Coupe du monde de la pâtisserie, je venais l’aider le soir. Étienne Leroy, croisé au Peninsula, a eu lui aussi besoin d’un assistant pour la Coupe du monde. C’est comme ça que j’ai atterri à Antibes, à l’hôtel du Cap-Eden-Roc. J’y ai rencontré ma femme Juliette, qui travaillait en salle. Au labo pâtissier, il y avait Lilian Bonnefoi, Paul Occhipinti, Étienne Culot et Étienne Leroy : une grosse équipe ! Après mes journées, le soir et le week-end, j’aidais Étienne [Leroy, NDLR] qui s’entraînait pour la Coupe.
LTM : D’autres postes vous ont-ils marqués ?
GLQ. : C’est bien de multiplier les expériences. À l’École Valrhona, j’ai pris le temps d’observer les savoir-faire pâtissiers. Chez Un Dimanche à Paris [6e arr.], nous étions une petite équipe très proche. Au Lanesborough, à Londres [Angleterre], j’ai fait beaucoup d’erreurs en voulant trop bien faire quand j’ai occupé une place de chef pâtissier. Puis, au Fat Duck [Londres], le chef Heston Blumenthal m’a intéressé à l’expérience client, aux émotions qu’un dessert apporte ou réveille. En restauration étoilée, on apprend à être délicat, à amener des associations de parfums osées.

LTM : Quand vous vient l’idée de présenter au concours de MOF ?
GLQ : Fin 2019, j’étais en stage confiserie avec Paul Occhipinti et soudain il me lance en rigolant : “Fais le MOF !” Ça me met la boule au ventre... Trois semaines après, je me suis inscrit. Juliette et moi sommes revenus au Cap-Eden-Roc début mars 2020. Pendant le confinement, je me suis entraîné chez Lilian Bonnefoi, et je l’aidais à la fournée. Je lui dois une fière chandelle. À Paul aussi, bien sûr. Ses conseils ont été précieux. Par exemple, de trouver un truc pour que l’on reconnaisse d’emblée mon buffet. J’ai choisi les arabesques enroulées comme de la ferronnerie d’art, en courbes et contre-courbes. J’avais peu travaillé le chocolat jusque-là. C’était l’un de mes points faibles. Paul m’a dit : “Préparer le MOF, c’est faire l’amour à son métier”. Il faut en apprendre le plus possible et repousser ses limites, vaincre ses peurs, compenser ses faiblesses. C’est un combat contre soi-même. Remporter le concours pour satisfaire son ego n’est pas une motivation suffisante.
LTM : La demi-finale a lieu en 2022, était-ce un rude galop d’essai ?
GLQ : La demi-finale permet au jury de voir quels candidats maîtrisent les techniques de base. Il y avait une pièce sucre, une pièce chocolat, une bouchée chocolat enrobée à la fourchette, une bouchée salée, trois entremets et une pièce surprise sur base de feuilletage, à réaliser en seulement trois heures ! D’Antibes à Paris, j’ai roulé la nuit avec un ami. Je me suis fait des sueurs froides : des éléments de mes pièces Marguerite se sont cassés. Durant l’épreuve, j’étais très stressé et mon dos très contracté.

LTM : Quel a été votre travail avant la finale du MOF ?
GLQ : Mi-octobre, de retour de la maternité après la naissance de mon fils, je reçois le sujet de la finale : “Un couple de scientifiques se marie. Entre l’humus et la canopée, une réincarnation divine enchantée mêle la nature, la science et le futur.” Le stress tue la créativité. Avoir fait la R&D en amont est le meilleur conseil à suivre. J’avais une idée de ma démarche artistique et du style à amener à mes pièces : j’avais trouvé qu’un dieu bouddhiste s’était réincarné en cygne. Paul [Occhipinti, NDLR], Étienne [Leroy, NDLR] et Julien [Alvarez, NDLR], aussi m’ont conseillé. J’ai imaginé des cygnes en face-à-face, des nénuphars stylisés, des fleurs de lotus avec quatre-vingts pétales chacune.
LTM : Vous aussi avez bénéficié de l’aide précieuse d’un assistant ?
GLQ : Le concours MOF, c’est une aventure humaine. J’ai rencontré au Cap-Eden-Roc une pâtissière bulgare passionnée, Monika Veleva. Après sa journée de dix heures de travail, elle restait et m’aidait à l’entraînement avec son sens aigu de l’organisation. Nous avons tout développé ensemble et tout préparé. Nous avons travaillé la dégustation pour avoir de bons gâteaux, des tartes aux agrumes colorés et des cygnes en pâte à chou avec de jolies têtes. Ce sont des gâteaux anciens, qui ont du sens, qui font honneur à l’histoire de la pâtisserie, comme le fait le pâtissier Maxime Frédéric. J’ai passé des nuits au pastillage ! Juliette travaillait alors en Suisse. Je dormais sur un lit de camp au labo. Pour préparer le concours, il faut avoir la rage, ne pas trop s’écouter, être un peu dur avec soi-même. Je peux travailler quinze heures par jour : au-dessus, je me crame. C’est bien de se connaître pour rester dans sa zone de performance maximale.
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LTM : Comment avez-vous apprivoisé vos doutes, vos peurs ?
GLQ : L’hypnose thérapeutique m’a beaucoup aidé à gérer la pression énorme du MOF. Avec une thérapeute de Villeneuve-Loubet [Alpes-Maritimes], en une dizaine de séances, j’ai réduit le stress. Je suis sorti d’une spirale négative qui me bloquait. Je suis retourné dans une dynamique positive en retraversant les moments de ma carrière qui m’avaient cassé : se faire remonter tous les jours au labo n’est pas constructif. L’hypnose m’a réancré du plaisir, de la concentration, de la sécurité. Si bien que je suis arrivé aux trois jours d’épreuves du MOF le sourire aux lèvres. J’avais envie de m’amuser.
LTM : Comment s’est déroulée cette finale en mars 2023 ?
GLQ : À l’École des arts culinaires Lenôtre [Rungis, Val-de-Marne], les épreuves durent trois jours : onze heures, onze heures et cinq heures. Des journées de production où il faut être le meilleur de sa vie ! Par mesure d’équité entre les douze candidats, nous faisons ensemble les quatre heures de chocolat et les quatre heures de sucre. Il faut montrer que tout se passe bien, même si intérieurement on fait le signe de croix car ce qu’on avait prévu cède la place à l’improvisation. On trouve des solutions : on ne peut pas perdre de temps à pinailler. Monika m’accompagnait le matin et m’accueillait le soir, elle me soutenait. Sans elle, je ne l’aurais pas eu. Le troisième jour, j’étais trop tranquille. J’ai fini à l’arrache les trente dernières minutes. “Il faut que tu passes la seconde, sinon tu ne vas pas finir”, m’a prévenu un membre du jury. L’heure de dressage du buffet, j’étais bien calmé : je n’avais jamais aussi bien travaillé. J’ai reçu un courrier deux semaines après, que j’ai ouvert avec Juliette. Puis j’ai appelé mes amis, ma famille... Je suis toujours en train de le digérer. Le MOF n’est pas une fin en soi. J’ai toujours envie de progresser et d’aider ceux qui préparent des concours. Ce concours m’a permis de mieux me connaître. Il m’a fait grandir patissièrement parlant, et aussi en tant qu’être humain.