Habituée à se présenter en milieu d’après-midi, la cliente n’avait pas remarqué que les horaires d’ouverture avaient changé. Restée sur le trottoir en cherchant sa monnaie, elle avise l’affichette collée sur la vitrine. « Nous ouvrons à dix heures depuis le mois de septembre », confirme le boulanger, dont la silhouette apparaît dans l’embrasure de la porte. Par-dessus la desserte à roulettes qui obstrue cette ouverture jusqu’à mi-hauteur, il lui tend un pain et récupère la monnaie.
Lui dedans, les clients dehors : tous les échanges passent par cette petite ouverture carrée donnant l’impression de jouer à la marchande. « Mais nous avons installé un store il y a quelques mois pour protéger les clients du mauvais temps », indique Stéphane Ryder de sa voix douce, où pointe un accent persistant.
Né en Californie, il est venu en France, pays de ses racines maternelles, pour apprendre à faire du pain. « J’ai grandi aux États-Unis où je ne trouvais pas de bon pain à l’époque, raconte-t-il. Enfant, je venais en vacances dans le pays de ma mère, dans le Berry : les repas me semblaient interminables, mais j’adorais le pain ! »
Un ancien pressing
En 2002, il passe un CAP boulangerie à Grenoble, et exercera cinq ans dans la région avant de tenter une reconversion et de monter à Paris pour devenir thérapeute. « Finalement cela ne m’a pas plu et je suis revenu au pain, sourit-il. J’ai commencé par en faire chez moi, avec des mini-fours, pour les vendre à des Amap [Association pour le maintien d’un agriculture paysanne, NDLR]. Puis j’ai eu l’occasion de travailler dans une pizzeria, dont j’utilisais le four pour cuire mes fournées entre le service du midi et celui du soir. Mais j’étais limité : il me fallait un local à moi. »
C’est dans un ancien pressing du 14e arrondissement de Paris qu’il installera son fournil au début de l’année 2017 après quelques mois de travaux. Il y a produit le pain qu’il aime, loin des standards appris en CAP. Des pains bio aux farines semi-complètes ou complètes (provenant pour la plupart d’une ferme francilienne), pétris à la main dans de grands bacs, ensemencés uniquement au levain naturel et cuits dans un four à pizza électrique à défaut de pouvoir installer un vrai four à bois.
« Il est long à chauffer mais a une bonne inertie, détaille-t-il. Je cuis à chaleur tombante. Cela donne des pains bien saisis et à la cuisson homogène. » Seul bémol : sa capacité, limitée à 30 kg de pains par fournée.
« J’ai développé toutes mes recettes de pains et pâtisseries petit à petit », confie celui qui élabore toutes ses gammes — y compris de cakes et de cookies — avec du levain naturel, à l’exclusion de toute levure boulangère ou chimique.
En fonction de la recette, il utilise un levain de blé, de seigle ou de riz. La fermentation longue, en général vingt-quatre heures, laisse le temps aux arômes de se développer. Cet autodidacte a désormais à cœur de transmettre son savoir-faire, que ce soit à ses apprentis ou aux écoliers auprès de qui il anime des ateliers pain.
Un pain au chou rouge
Son pain le plus vendu est le campagnard d’un kilo à la farine de blé T80, mais diverses déclinaisons sont proposées chaque jour. Ce mardi, certains habitués viennent exprès pour le pur seigle, produit un jour par semaine en format 800 g ou en petite boule de 350 g. Par ailleurs, l’une des Amap qu’il livre en pain le fournit en légumes frais, locaux et bio. Ils sont utilisés pour la gamme snacking (focaccia aux légumes) qui vient d’être lancée, et dans des pains éphémères aux couleurs de saison : au potimarron en automne, aux courgettes en été... « Cette semaine, j’ai fait du pain au chou rouge », présente l’artisan.
Certaines recettes censées être éphémères plaisent tellement qu’elles finissent par être produites toute l’année. C’est le cas du pain à la farine de châtaigne et aux canneberges créé pour les dernières fêtes de fin d’année, comme ce fut celui du “festif” aux figues, abricots et noix l’année précédente.
« Cependant, nous ne produisons pas toute la gamme tous les jours car nous sommes limités en paires de bras pour pétrir, sourit le boulanger. Et puis c’est notre style et les habitués ont leurs repères. »
Pas question pour lui de renoncer au travail manuel, qui est de rigueur autant pour le pain que pour les pâtes feuilletées des galettes des rois. « Cela signifie du travail mais aussi de la qualité, affirme l’artisan. En travaillant à la main, on respecte mieux la pâte. »
Gagner en visibilité
Après avoir démarré seul, il a petit à petit recruté son équipe, développé sa production et étendu ses horaires d’ouverture. La prochaine étape sera l’aménagement d’une terrasse où les clients pourront déguster leurs collations salées ou sucrées avec une boisson — pour l’instant, du café et du jus d’orange bio sont proposés à emporter.
« Mais pour avoir l’autorisation d’ouvrir une terrasse, il faut déjà disposer de places assises en intérieur, ce que je n’ai pas », souligne le boulanger, qui prévoit de réaménager son fournil pour installer un petit espace d’accueil. La terrasse, espérée pour l’automne prochain, accroîtra encore la visibilité de la boutique, qui se repère déjà plus aisément qu’à ses débuts grâce au nouveau store orange et à ses horaires d’ouverture étendus.
Effectif
1 boulanger-gérant + 4 salariés en production + 1 en vente
Superficie
70 m²
Production
150 kg de pain /jour
Horaires d’ouverture
du lundi au vendredi de 10 h à 19 h 30 (+ samedis pour les Fêtes)