Son expérience professionnelle a forgé chez elle une détermination profonde. L’Alsacienne Claire Heitzler a tracé son chemin vers l’excellence, avec l’ambition et les prises de risque inhérentes à tout parcours audacieux. Après ses débuts, la jeune pâtissière s’expatrie tout d’abord à Londres, au Greenhouse, puis trois ans à Tokyo où elle officie au restaurant Beige d’Alain Ducasse. Enfin, l’Hôtel Park Hyatt de Dubaï lui fait une place de choix, avant son retour en France.
Chez Ladurée, elle crée des produits spécifiques pour ces marchés qu’elle a déjà apprivoisés. Par exemple pour les Japonais, qui mangent moins sucré et sont très attachés aux produits de saison. Cette éthique gustative inspire Claire Heitzler quand elle lance sa propre pâtisserie en ligne. Conseillée par des producteurs dont elle se sent proche, elle opte pour des fruits cueillis à maturité et aussitôt transformés, au fil des saisons : tartes rhubarbe et fraises des bois ou framboises et verveine, fraisier à la fleur de sureau, galette au sarrasin et main de Bouddha…


La Toque magazine : De votre parcours professionnel, quels souvenirs importants retenez-vous ?
Claire Heitzler : Certaines périodes et personnes m’ont marquée davantage. Ma formation chez Thierry Mulhaupt, chocolatier-pâtissier alsacien, a été primordiale. J’avais 17 ans et je suis sortie de son entreprise avec de l’assurance. Ce chef très carré, pédagogue, qui prend le temps de former ses équipes, m’a appris à travailler. La maison Troisgros a été mon premier poste dans un restaurant étoilé, avec un esprit très familial. Je me sentais impliquée dans l’entreprise. Chef Pierre venait nous saluer et à tous il serrait la main ! Là, j’ai appris à goûter ce que je fais, à jouer sur l’acidité pour équilibrer. J’y ai aussi découvert la relation entre le chef et les producteurs. Ils venaient nous présenter la récolte du jour, et le chef gardait ou non les produits. Ainsi, dès le début, j’ai appris l’importance de bien sélectionner chaque ingrédient. Ensuite, cela s’est confirmé chez Alain Ducasse.


LTM : Rêviez-vous de travailler au Japon ?
C.H. : J’ai accepté cette opportunité de travailler avec Alain Ducasse mais je n’étais pas attirée par l’Asie. Je n’avais pas envie de vivre au Japon, et pourtant cela a été une expérience très enrichissante. Du jour au lendemain, en 2004, je suis partie vivre dans un pays que je ne connaissais pas, c’était compliqué. Quand on cherche à s’adapter à une nouvelle culture, à une autre manière de penser, on se remet beaucoup en question. C’est très intéressant, cela oblige à s’ouvrir. Ce fut difficile, mais je me suis aussi beaucoup amusée.

LTM : Vous avez créé votre pâtisserie “plus responsable et plus vertueuse ”, pourquoi ?
C.H. : Entre le poste de directrice de la création de la maison Ladurée et l’ouverture de ma pâtisserie, j’ai travaillé dans le consulting. Mais rapidement, il m’a manqué le contact avec la clientèle. Le concept de la pâtisserie traditionnelle — dont les vitrines ont toujours besoin d’être pleines — ne m’intéressait pas. Je voulais conserver ce que nous pratiquons en cuisine : faire attention aux pertes, l’importance capitale du sourcing et de la saisonnalité. Nous produisons donc toute la journée, comme dans un restaurant. Si une cliente appelle pour une tarte et qu’il n’y en a pas disponible, le soir à 18 heures elle sera prête. Ce “sur-mesure” très flexible nous permet de travailler encore plus dans la fraîcheur.
Notre atelier de Levallois-Perret [Hauts-de-Seine, NDLR] n’est pas situé dans une rue commerçante mais proche du métro Pont de Levallois-Bécon. Cela oblige à être plus actifs pour faire connaître notre travail. Nous avons opté pour une livraison en mobilité douce, un service de qualité, car la pâtisserie ne souffrirait pas des livraisons groupées. Nous prenons du temps pour faire les desserts et faisons en sorte qu’ils arrivent correctement à destination, en transports en commun ou en vélo-cargo, dans tout le département et à Paris — 13 euros –, au-delà sur devis.



LTM : Vous avez choisi un arbre pour logo. Qu’est-ce qui vous a rendue sensible à la nature ?
C.H. : Je travaille avec une quinzaine de producteurs de fruits. Je suis allée à leur rencontre et me suis rendu compte du travail qui est nécessaire pour obtenir leurs produits. Cette matière première qui vient de la terre est notre outil de travail. J’apprends énormément à leurs côtés, notamment sur la maturité des fruits. En ce moment, nous sommes à fond sur la pêche. Pochée dans un sirop, la peau s’enlève toute seule, c’est formidable. À la rentrée, je serai gaga de la figue. C’est comme un cadeau qui revient chaque année, c’est très excitant.
LTM : Auprès de qui prodiguez-vous vos conseils et formations ?
C.H. : J’interviens à l’école Valrhona. J’ai mis en stand-by le consulting, le temps de créer mon entreprise. Je reprendrai prochainement le conseil, la formation des professionnels qui le souhaitent et des pâtissiers d’entreprises, en France ou à l’étranger. Je peux créer des cartes, également.