À mesure que son prix augmente, le moral des artisans boulangers s’effrite. Après le cours du sucre et des oeufs, c’est celui du beurre qui s’affole. Selon le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (Cniel), il aurait atteint les 8 052 € la tonne (sur quatre semaines glissantes au 23 septembre dernier pour le beurre industriel), soit une augmentation de 40 % par rapport à janvier 2024. Une situation notamment due à une tension sur l’offre dans toute l’Union européenne. “La production de beurre y est en recul de - 2 % sur le premier semestre […]. En France, elle est stable sur les six premiers mois de l’année mais recule de 5 % en juin 2024 par rapport à l’an dernier”, précise le CNIEL.
Un constat amèrement partagé par Dominique Anract, président de la Confédération nationale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie française. « Il y a une production de lait qui chute, notamment en Nouvelle-Zélande et en Europe. En France, le lait est fléché vers le fromage, qui connaît un fort engouement, et il y a beaucoup d’exportations, notamment vers les États-Unis ou la Chine », confiait-il il y a quelques jours à nos confrères de Sud Radio. Une production de lait qui a aussi été fortement impactée par la sécheresse estivale et par des maladies, comme la fièvre catarrhale ovine.
Les marges des boulangers-pâtissiers se réduisent
Pour le beurre, la demande étant supérieure à l’offre, le prix s’en ressent ; alors qu’il reste l’élément principal dans la conception des viennoiseries — 30 % pour un croissant. Son prix qui flambe inquiète les professionnels qui voient leurs marges se réduire. « C’est assez compliqué pour nous qui travaillons beaucoup de nos viennoiseries à base de beurre. Nous en utilisons environ deux cents kilos par semaine », détaille Killian Le Houérou, boulanger formé au Centre d'excellence des professions culinaires qui a ouvert l’an dernier à Paris un concept de restauration axé sur le brunch baptisé Gast. « Le beurre est aujourd’hui à presque dix euros hors taxes le kilo. Quant au beurre de tourage, celui que l’on utilise pour la viennoiserie, il a lui dépassé les onze euros du kilo en AOP, ce qui nous fait avoir une marge extrêmement fine sur la viennoiserie », déplore le professionnel. Même son de cloche pour Cédric Arsac, boulanger à la tête de quatre boulangeries à Paris (Maison Lorette) : « Face à l’augmentation du prix du beurre, + 30 % pour le beurre de tourage et 28 % pour le beurre d’incorporation depuis le début de l’année, notre rentabilité baisse sur les produits de viennoiserie et de pâtisserie. »
Face à ce constat, à chaque artisan sa solution. Pour Cédric Arsac, l’augmentation des prix sera inéluctable, mais sur certains produits seulement. « Nous n’augmenterons pas les prix des viennoiseries mais celui de la galette, en janvier prochain », détaille ce dernier. Quant à Kilian le Houérou, l’heure est à l’anticipation : « L’augmentation va continuer à l’approche de l’Épiphanie, donc on essaie d’anticiper tout ça en amont. »
La piste de l'anti-gaspillage
Mais pour certains, la question du prix n’est pas aussi centrale. Comme pour la meilleure pâtissière du monde Nina Métayer, qui explique : « La question du prix est un sujet, mais ce n’est pas le premier, puisque la qualité n’autorise pas de compromis. » À la tête de Délicatisserie, la cheffe mise sur l’anti-gaspillage : « D’un point de vue production, nous avons une démarche systématique de rationalisation. Notre système de précommande fait que ce qui est vendu sur la boutique en ligne est forcément produit pour quelqu’un. » Optimiste, Nina Métayer préfère voir le verre à moitié plein : « C’est dans les situations tendues que l’engagement au long cours se voit le plus. En travaillant avec les mêmes personnes pendant cinq, dix ans, évidemment si un problème se manifeste, nous le partageons, nous réfléchissons, nous nous adaptons et nous tentons de le résoudre. Et on avance ensemble ! ».