La Toque Magazine : Chef pâtissier en boutique versus chef pâtissier en restaurant : que préférez-vous ?
Jeffrey Cagnes : C’est totalement différent. En restauration, comme on sert minute, on peut ajouter plus de fragilité, d’audace, de haute voltige. En boutique, l’influence des chefs est réelle car on a ajouté beaucoup plus de fragilité dans nos recettes et il est désormais possible de servir de la pâtisserie minute pour le take-away, même si c’est certainement en dessert à l’assiette qu’un mille-feuille sera meilleur. J’ai fait le choix de la boutique car c’est plus facile pour un pâtissier : ce sont vos desserts que vous présentez aux clients, et les clients viennent pour vous. Au restaurant, il s’agit d’un travail d’équipe : le client vient pour l’équipe finalement, et le pâtissier va adapter son dessert aux plats du chef qui ont précédé dans le menu. J’ai fait 80% de boutique au cours de ma carrière, c’est une consécration d’avoir la mienne.
l.allafort
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Ouverture boutique 17 @kevinrauzyfoodography
Pâtisseries en boutique @kevinrauzyfoodography
Ouverture de la boutique de Jeffrey Cagnes Ouverture boutique 17 @kevinrauzyfoodography
La Toque Magazine : Quelle est pour vous la plus belle création en pâtisserie ?
Jeffrey Cagnes : Impossible à dire. J’admire les grands classiques (Paris-Brest, Saint-Honoré, Baba au rhum) car ils sont immuables et inscrits dans le patrimoine, mais je suis admiratif du travail de mes confrères également, rien qu’avec l’Ispahan de Pierre Hermé (mais aussi les créations de Cédric Grolet, Yann Couvreur, Philippe Conticini, Kevin Lacote, Yann Menguy, etc). On reproduit ce que nos ancêtres ont fait !
La Toque Magazine : Reste-t-il encore des choses à découvrir en pâtisserie ?
Jeffrey Cagnes : Je dirai que les métiers d’artisanat s’apportent mutuellement, en partant des chefs qui nous amenés à ajouter de la fleur de sel, des herbes aromatiques ou des légumes en dessert (oui je suis à l’aise de proposer une crème à la roquette en dessert), regardez Julien Duboué qui propose des pâtés en croûte sucrés ou Quentin Lechat avec sa pizza sucrée proposée au Royal Monceau. Après je reste un pâtissier classique qui aime le gras et le sucre, même si nous avons beaucoup désucré nos recettes, je comprends qu’il y ait des modes qui ouvrent des horizons pour des attentes nouvelles des consommateurs mais je reste prudent. 1 question sur 10 en boutique va porter sur la composition des produits concernant le gluten ou le lactose. En revanche, quand on me dit que l’empreinte carbone de mes framboises sont un problème, je constate qu’il n’y a pas de remarque sur les desserts aux fruits exotiques et au chocolat…
La Toque Magazine : Durant votre apprentissage, avez-vous un souvenir particulièrement fort qui a orienté par la suite votre carrière ?
Jeffrey Cagnes : Plein ! Je fais un métier tellement passionnant. Quand on fait nos métiers c’est comme si on entrait dans une famille, on reçoit une éducation du goût, au geste, des gens nous prennent sous leur aile. Il y a un côté confrérie et l’exercice du métier nous révèle que le pro et le perso sont étroitement liés. Je dirai donc que c’est d’avoir entendu mon père me dire qu’il était fier de moi alors qu’il était défavorable quand j’ai choisi la filière.
La Toque Magazine : Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui souhaite se lancer en pâtisserie ?
Jeffrey Cagnes : d’aller au bout de ses rêves, de ne pas se retenir car un métier c’est 90% de notre temps. En vrai je dirais même que c’est 50% de travail durant les 8h de la journée et 50% de travail personnel qui implique de l’entraînement, de la réflexion, de la lecture etc). Je suis là où j’en suis car j’ai travaillé deux fois plus. Et je peux affirmer que le travail paye en termes d’accomplissement et de gratifications. J’ai toujours pris la chose comme un jeu où il fallait travailler encore et encore jusqu’à passer au niveau supérieur.
La Toque Magazine : Vous voyez nombre de reconversions professionnelles, pourquoi selon vous en direction des métiers dits « manuels » ?
Jeffrey Cagnes : Clairement il aura fallu de nombreuses années pour que les métiers manuels (la voie de garage à mon époque quand j’ai quitté le collège) prennent de la noblesse. Je crois que c’est parce que faire avec ses mains des gâteaux, du pain, un plat, c’est de l’art éphémère, on crée de la matière et on prend des risques en le faisant, en remettant ce qu’on a appris en jeu à chaque fois. C’est franc, c’est concret et extrêmement challengeant : on est tous, après des années de pratique, à surveiller à la porte du four si nos choux sont réussis. La main et le geste sont importants. On le sait que nos sens sont vecteurs d’émotions, et c’est par l’expérience que nos mains reconnaissent la bonne température, nos yeux la bonne couleur, la bonne texture : on a la chance d’avoir nos sens et les entraîner pour les utiliser est très satisfaisant. Je pense que les gens veulent s’approcher de cela.
La Toque Magazine : Quelle est votre journée-type ?
Jeffrey Cagnes : Elles ne sont jamais pareil ! Surtout depuis que je suis entrepreneur. Je vais passer 4 à 5 jours en labo, mais aussi travailler sur la recherche et développement, puis brainstormer avec l’équipe. Il y a une forme de confort de n’être jamais dans ma zone de confort.