Rencontres
Philippe Bertrand Cacao Barry, novembre 2022.
Philippe Bertrand Cacao Barry, novembre 2022. © B.Lafeuille

Philippe Bertrand, chef Cacao Barry

Le chocolatier-confiseur, directeur de la Chocolate Academy en France, a reçu La Toque au siège historique de Cacao Barry dans les Yvelines pour partager sa vision du métier et sa passion pour les réseaux sociaux.

À 56 ans, dont 33 en tant que chef Cacao Barry, Philippe Bertrand est toujours passionné par son métier. Il a reçu le titre de MOF chocolatier-­confiseur en 1996 et, en 1998, Cacao Barry lui a confié la direction de la Choco­late Academy France, l’une des plus anciennes du géant du cacao. C’est là, au siège historique dans les Yvelines, qu’il nous a reçus. 

La Toque Magazine : Comment se passe votre quotidien ?

Philippe Bertrand : Les Chocolate Academies sont des lieux de création et de formation pour les professionnels. Nous y effectuons des essai­s sur les nouveaux produits Cacao Barry, élaborons des recettes pour les chefs du monde entier et proposons des formations aux artisans sur la technique ou sur le développement de leur entreprise. Nous élaborons aussi tous les supports marketing : catalogues, vidéo­s, etc. La choco­laterie, c’est génial : avec de la technique et du matériel, on peut tout faire. À 56 ans, je m’amuse toujours !

LTM : Comment voyez-vous évoluer le monde du chocolat dans les prochaines années ?

PB : Il va vers des produits plus durables, qui intègrent mieux les besoins des planteurs ; comme celui de mieux gagner leur vie, grâce à des protocoles de plantation qui améliorent les rendements mais aussi à de nouveaux produits permettant de rentabiliser l’intégralité de la cabosse. C’est dans cette optique que Cacao Barry a développé le chocolat Evocao, un produit 100 % cacao dont le sucre est issu du mucilage. Pour un artisan, le développement durable commence par le choix des matières premières. Ensuite, vient le travail sur le bilan carbone et sur les emballages, notamment.

LTM : Quelles marges de manœuvre a l’artisan ?

PB : Le conditionnement reste important pour préserver le chocolat des rayons ultraviolets, mais il peut être simplifié, ce qui est aussi plus économique… Toutefois je ne vois pas les artisans se passer d’emballages car ils se priveraient d’une plus-value. Certains innovent dans le marketing grâce au packaging. Au Salon du chocolat, par exemple, un artisan exposait cinq tablettes qui, mises côte à côte, formaient une fresque paysagère : les clients achetaient les cinq tablettes !
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LTM : Le chocolat zéro déchet n’est donc pas pour demain…

PB : Non, d’autant que l’embal­lage est un support de communication ; il peut raconter l’histoire d’un chocolat d’origine : c’est une invitation au voyage dans laquelle le client a besoin d’être accompagné. Il faut lui expliquer que le chocolat de tel terroir est floral et fruité, alors que tel autre est plus épicé ou un peu fumé. Et que certains chocolats à 70 % ont un goût si puissant qu’ils seront ressentis comme des 80 %.

LTM : La typicité des arômes provient-elle uniquement du terroir ?

PB : Le terroir apporte des notes aromatiques. Les choco­latiers action­nent ensuite deux levier­s : la torréfactio­n joue sur l’amertume, et la fermen­tation sur l’acidité. C’est pourquoi la température et la durée de la tor­réfaction sont toujours ajustées en fonction des fèves, afin de faire ressortir leur typicité. 

LTM : Pourquoi ne pas mentionner aussi la variété de la fève ?

PB : Pour moi, cet aspect est moins déterminant que le terroi­r, et la traçabilité des fèves me semble difficile à garantir. Les chocolats de terroi­r ne représentent qu’un très faible volume. Pour élaborer la plupart des desserts et des chocolats, un très bon cœur de gamme est aussi intéressant qu’un d’origine pure. Et bien plus facile à utiliser ! Tous les beurres de cacao n’ont pas la même température de fusion. Travailler en monofève oblige à respecter une température très précise, alors qu’un mélange de diverses origines permet d’élargir la plage d’utilisation.

LTM : À part la durabilité, quels sont les enjeux autour du chocolat ?

PB : Ne pas perdre la techni­cité ! J’observe que même de grands pâtissiers ont du mal à travailler le chocolat. L’essentiel est de comprendre le mécanisme de cristallisation pour obtenir un produit brillant, cassant et fondant. Cela exige d’apprivoiser le polymorphisme du beurre de cacao, cette capacité qu’ont ses cristaux à prendre différentes formes selon la température. Si l’on ne respecte pas une succession de paliers, la préparation fige trop vite. L’ajout de lécithine permet de pallier cela, mais elle est superflue si l’on compren­d bien le chocolat. Une ganache ou une mousse qui “tranche” ou qui, au contraire, “fait de la soupe”, n’est pas due à un excès ou à un manque de beurre de cacao, mais à une cristal­lisation non maîtrisée… À part cela, il y a beaucoup de choses à explorer dans le pairing,l’art d’associer les saveurs.

LTM : Quelles sont vos alliances préférées ?

PB : Le chocolat blanc va bien avec les fruits rouges ou la menthe ; le chocolat au lait avec divers fruits ou des herbes sèches, comme le thym ou le laurier. J’aime le marier avec du poivre du Sichuan. Le chocolat noir est plus puissant : on peut l’accorder avec des fruits exotique­s, de l’orange sanguine ou des fruits noirs de type griottes, cassis… Le choco­lat aspirant les odeurs, on peut aussi facilement en créer un fumé, en le laissant une heure dans un fumoir à 40 °C avec du foin, pour l’utiliser ensuite en ganache. 

LTM : On voit même des chocolats sucrés salés aux cèpes, au fromage…

PB : (Rires.) On peut s’amuser mais je ne sais pas combie­n de consom­mateurs sont prêts à tester des alliances osées ! La plupart du temps, ils veulent surtout passer un bon moment, pas forcément faire une découverte gastronomique. On le voit : les chocolats les plus vendus restent des pralinés. 

LTM : Un mot sur les réseaux sociaux où vous êtes très actif…

PB : Je poste une vidéo chaque jour. C’est une formidable vitrine pour communiquer, gratuitement et en temps réel ! Je touche ainsi une nouvelle génération de pâtissiers, des influenceurs, des blogueurs... Il faut prendre le train des réseaux sociaux ! Sur Facebook, on annonce que la galette est cuite, sur Instagram on montre ce que l’on sait faire. Il est possible de rebondir sur toutes les actualités de l’entreprise, d’annoncer les nouveautés, de partager des recettes, de montrer son style… La dynamique créée sur les réseaux sociaux donne aussi de la valeur à l’entreprise. Je suis persuadé que demain, la valeur d’une boutique à vendre dépendra aussi de son rayonnement sur les réseaux sociaux. 

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