Rencontres
Serges Ngassa.
Serges Ngassa. © Justedugout

Serges Ngassa, chocolatier farm to bar

Entre le Cameroun et la France, le fondateur de Cocoa Valley a créé une filière éthique de production de chocolat, de la plantation à la tablette.

Issu d’une famille de producteurs de tabac et de café au Cameroun, Serges Ngassa a travaillé dans la restauration, puis dans l’humanitaire pour Médecins sans frontières dans les années 2000. Dès 2009, il songe à associer ses deux métier­s en développant localement un projet agricole à impacts – socia­l et écolo­gique – durable. En 2011, il plante ses premiers cacaoyers sur deux parcel­les à l’ouest et dans le centre du pays, à Ayos, « deux terroir­s d’exception pour des choco­lats uniques », assure l’entrepreneu­r.

La Toque Magazine : Quand avez-vous récolté vos premières fèves ?

Serges Ngassa : En 2016. Au départ, je pensais juste produire et fournir du cacao, sans transformation. Mais, dépourv­u de contacts sur le marché et avec des intermédiaires me proposant des prix ridiculement bas, je me suis vite retrouvé avec tout mon stock de fèves sur les bras et vingt-trois salariés à rémunérer, sans rentrée d’argent. J’ai alors entrepris une formation de tor­réfacteur couverturier en Italie. En 2017, une campagne de financement participatif m’a permis de créer mon petit labo à Villaz, près d’Annecy en Haute-­Savoie, pour torréfier et transformer mes fèves de cacao.

LTM : Quel est le profil aromatique de vos chocolats ?

SN : Ils sont uniques par leur texture gustative et leurs saveurs. Je privilégie les goûts francs et complexes, avec une torréfaction à basse température, pour préserver toute la palette aromatique du cacao. Chaque terroir va exprimer ses propres notes, plutôt fruitées sur ma parcelle à l’ouest, davantage sur la salinité dans le centre. Comme pour le vin, je recherche le tanin, l’astringence, l’excellence.

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LTM : Comment a évolué Cocoa Valley ?

SN : Cela a tout de suite été un succès auprès des chefs, comme le pâtissier Thierry Court qui a été l’un des premiers à goûter et à apprécier mes chocolats. Pour lui et pour une vingtaine d’autres chefs, nous produisons des chocolats de couverture à façon, suivant les profils aromatiques recherchés. Tous les deux ans, nous invitons nos plus proches partenaires sur la plantation pour leur faire découvrir nos méthodes de travail. Je cultive autant que possible cette transparence dans nos boutiques.

« Nos ancêtres cultivaient du cacao sans pesticides, pourquoi pas nous ? »

LTM : Pourquoi avoir développé votre marque en nom propre ?

SN : J’ai souhaité lancer ma propre gamme de produits (tablettes, palets, pâtes à tartiner, napolitains, pépites) pour faire connaître nos chocolats d’exception aux particuliers. Une bonne idée, car cela nous a sauvé la mise pendant le Covid ! En 2020, nous avons emménagé dans un nouvel atelier de 700 m2 et nous comptons aujourd’hui deux boutiques près d’An­necy, à Épagn­y et dans les halles de Saint-­Martin, auxquelles s’ajoute un petit réseau de revendeur­s.

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LTM : Quel est votre modèle agricole au Cameroun ?

SN : Nos ancêtres cultivaient du cacao sans pesticides, pourquoi pas nous ? Avec mes deux ingénieurs, nous sommes allés voir les anciens pour échanger sur leurs savoir-faire. Au Cameroun, il n’y a pas de trace écrite. Tout se transmet à l’oral, autour du feu. Notre but était de documenter les techni­ques ancestrales, puis de les améliorer en sortant de la monoculture pour créer de la biodiversité et des ressources à l’année. Sur la plantation, nous cultivons en perma­culture de la banane plantain, des arachides, des mangues, de la canne à sucre, du gingembre, pour être les plus indépendants possible.

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LTM : Que vous apporte ce travail en filières ?

SN : Cela nous permet de contenir nos augmentations tarifaires même si nous sommes, comme tous les artisans, impactés par la hausse des coûts du transpor­t, de l’énergie, du lait en poudre, etc. C’est surtout une garantie de qualité, avec une grande traçabilité de nos matières premières.

Nous élargissons cette démarche à tous nos ingrédients, comme les noisettes du Piémont IGP, et même à nos emballages. Chaque tablette est conditionnée dans un film en cellulose de maïs biodégradable et compostabl­e, avec des fourreaux en papier certifié FSC et des encres alimentaires.

LTM : Quelle est votre journée type ?

SN : Je suis un peu partout en même temps ! Au quoti­dien, je peux compter sur le soutien de mes équipes, en particulier sur mon second et sur ma femme, rencontrée lors d’une mission au Cameroun pour Médecins sans frontières. Elle gère la partie administration, communication et ressources humaines de l’entreprise. En France, je conserve le dévelop­pement des recettes, en collaboration avec mon pôle dédié. Et je me rends six fois par an au Cameroun, à des moments clés.

LTM : Comment envisagez-vous l’avenir ?

SN : Après quatre ans d’existence, Cocoa Valley emploie aujourd’hui 25 salariés en France et 40 au Cameroun, auxquels s’ajoutent 158 person­nes pendant les récoltes, au début de l’été et de fin octobre à début janvier. J’espèr­e pérenniser à terme ces emplois saisonniers. Sur les 292 hectares de la plantation, nous récoltons aujourd’hui 114 tonnes de fèves brutes, avec une forte marge de progression, une trentaine d’hectares de cacaoyers étant plantés chaque année.

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LTM : Quel est votre meilleur souvenir culinaire ?

SN : Je conserve une émotion particulière liée à notre première cabosse de choco­lat : la récompense de cinq années de travail. Je l’ai ouverte et je l’ai prise en bouche : j’ai ressenti tout de suite l’amertume, avec des arômes incroyables de litchi, de pastèque, de melon ; puis l’astringence qui vient tapisser la bouche.

Côté produit transformé, le chef Daniel Baratier signe un dessert désucré et explosif autour de mes chocolats, avec dix textures différentes. Il figure à la carte de son restaurant l’Auberge Sur-les-Bois à Annecy, sous le nom de Pur N’Gassa !

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