A l’aube de la quarantaine, Apollonia Poilâne fait partie de ces dirigeants qui voient le verre à moitié plein. En octobre dernier, un article du journal le Monde révélait au grand public que la célèbre boulangerie, fondée par le grand-père d’Apollonia en 1932, avait activé une procédure de sauvegarde. Pour celle qui a pris prématurément les rênes de l’entreprise familiale à 18 ans suite au décès brutal de ses parents, cette procédure est vue comme une façon d’anticiper les difficultés. « Nous avons vécu une période compliquée à Paris avant l’arrivée du Covid », raconte t-elle. « Nous avions amorcé une période d’investissements avec comme projet l’ouverture d’une cinquième boutique et des travaux de maintenance sur nos outils de production (…). En même temps, l’arrivée des Gilets jaunes et les grèves fragilisaient l’activité ». Sans compter l’arrivée de la pandémie. « Les boutiques sont certes restées ouvertes mais le ticket moyen et la consommation étaient en baisse », déplore ainsi la chef d’entreprise. En 2022, Apollonia Poilâne prend la décision de demander au Tribunal de Commerce de Paris un plan de sauvegarde. Objectif : geler les créances - PGE et dettes d’Ursaaf - pour gagner du temps. Un plan qu’elle décrit aujourd’hui comme « un bon outil de gestion ». Pourtant, rien ne prédestinait l’entreprise à connaître de telles difficultés. Depuis les années 1930, Poilâne connaît une notoriété grandissante. A l’époque, Pierre Poilâne créé une petite révolution avec sa miche de pain au levain - une recette qui n’a jamais été modifiée. Car Apollonia Poilâne tient à conserver la recette de la miche intacte. Elle qui s’attache cependant à faire prospérer la société familiale. En 2015, elle choisit comme baseline pour l’enseigne « Contemporain dans la tradition ». Et Poilâne développe sa présence à Paris. En 2002, au décès du père d’Apollonia, Poilâne comptait deux boutiques à Paris Rive Gauche, dont le vaisseau amiral du 8 rue du Cherche-Midi. Depuis, l’enseigne a passé la Seine et s’est installé sur la rive droite, dans le Marais, rue de Crimée et plus récemment dans le 17ème arrondissement, rue de Lévis (au printemps 2022), des « quartiers de coeur » pour Apollonia Poilâne.




L’innovation dans la tradition
Côté recettes, Apollonia Poilâne n’a qu’un mot en tête, la qualité. « La seule chose qui compte c’est la qualité, c’est la passion du métier », aime t-elle à répéter. Depuis quelques années, la petite fille du fondateur tient à apporter sa touche personnelle même si elle ne « court pas après l’innovation et une croissance à deux chiffres à tout prix ». En vingt ans, elle signe une douzaine de nouvelles recettes dont un pain de maïs qui a mis plus de dix ans à être conçu. « En 2006, je faisais mes études d’économie aux Etats-Unis et je ne comprenais pas pourquoi les Américains appelaient un pain de maïs un pain confectionné avec moins de 50% de farine de maïs (…). Je me suis donc mise à rêver à la confection d’un « vrai » pain de maïs ». Il y a cinq ans, la nouvelle recette voit enfin le jour, confectionnée avec de la farine de maïs, du levain de maïs, de l’eau mélangée à des graines de lin et une boisson d’avoine. « Ma mission, c’est de montrer un autre regard de la boulangerie ». Un regard qui consiste à mettre en valeur le terroir français et la diversité des céréales. Pour preuve, une gamme de sept biscuits fabriqués avec sept céréales (blé, seigle, maïs, riz, avoine, orge et sarrasin) est devenu l’un des produits phares de la maison.





Pour le futur, les projets sont multiples pour l’entreprise avec le développement de l’enseigne en Angleterre, mais aussi le développement de la gamme de glaces confectionnée avec l’artisan glacier Lionel Chauvin, le petit fils de Raymond Berthillon, et baptisée Les Grains Givrés. Sans oublier la collaboration avec l’exposition « Paris, capitale de la gastronomie » qui a pour commissaire François-Régis Gaudry, et qui sera présentée cet été à la Conciergerie. Dans ce cadre, Poilâne reconstituera le buffet et le lustre qui faisait partie de la chambre en pain que Lionel Poilâne avait réalisé pour Dalí dans les années 1970. Tout un programme !