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Alors qu’un boulanger industriel va mettre parfois 45 mn à faire une baguette, Pain et tradition fabrique en sept à huit heures.
Alors qu’un boulanger industriel va mettre parfois 45 mn à faire une baguette, Pain et tradition fabrique en sept à huit heures. © D. PÉRONNE

Jean Kircher : artisan grand format

Jean Kircher a fondé et dirige Pains & Tradition, une PME qui compte deux sites de production, au nord de la Lorraine et au Luxembourg, ainsi qu’un moulin en Alsace. Ses clients sont des restaurants haut de gamme et des moyennes surfaces. Malgré la taille de l’entreprise, les étapes clés y sont réalisées à la main.

« Nous avons cinquante ans de retard ! Les matières premières que nous utilisons, nos procédés de fabrication sont ceux d’une boulangerie artisanale même si nous employons cent trente personnes, insiste Jean Kircher, fondateur et PDG de Pains & Tradition. Toutes les étapes essentielles sont effectuées à la main, en laissant le temps, la température, la levure faire leur travail. Notre seule concession à la modernité est la surgélation, qui nous permet de fournir des clients parfois très éloignés géographiquement. Nous arrêtons la cuisson aux trois quarts, les pains passent dans le tunnel de surgélation pendant trente-cinq à quarante minutes à – 35 °C. Nous expédions et ce sont nos clients qui terminent la cuisson. Un bon produit, même congelé, reste un bon produit. »

Tous les salariés en fabrication ont leur CAP de boulanger. (© D. PÉRONNE)

Dans le vaste labo, les pétrins tournent lentement. Les employés façonnent. Juste à côté, le maître des lieux est fier de montrer les grands bacs dans lesquels a lieu le pointage, qui consiste à rabattre la pâte trois à quatre fois toutes les heures, pour l’oxygéner. « Cela ne se fait quasiment plus dans les fournils classiques, faute de temps », regrette celui qui se considère comme un « gros artisan ».

« Tous nos salariés en fabrication sont boulangers, précise-t-il. Mais, comme nos confrères, nous avons du mal à trouver du personnel qualifié. Même l’Allemagne, qui a beaucoup investi dans l’apprentissage, a vu le nombre de jeunes aller dans cette voie se réduire de moitié. Alors nous assurons nous-mêmes la formation. Puis, nous envoyons nos salariés passer leur CAP à Paris ou à l’Institut national de la boulangerie pâtisserie, à Rouen, pour qu’ils ne soient pas démunis s’ils nous quittent… Mais ils ne nous quittent pas ! Nous les payons davantage que le salaire minimum et les conditions de travail ici sont bonnes, avec de vastes locaux, un esprit d’équipe, du matériel moderne et ergonomique. »

Le site d’Hautcharage, au Luxembourg, emploie 80 personnes tandis que celui de Mont-Saint-Martin, tout au nord de la Meurthe-­et-Moselle, une cinquantaine. Dans le premier, les équipes se relaient pendant vingt-quatre heures en trois-huit, cinq jours par semaine ; dans le second quatre jours par semaine, selon le même rythme.

Une moitié des farines sont biologiques

Jean Kircher représente la neuvième génération d’une famille de meuniers alsaciens, dont le moulin est situé à Ebersheim, dans le Bas-Rhin. « J’ai coutume de dire que c’est de la farine qui coule dans notre sang, s’amuse-t-il, en humant les matières premières qui vont être mélangées dans le pétrin. Mon père était très investi, mais conservateur. Moi, à vingt ans, j’avais envie que les choses évoluent. Alors j’ai pris la route, travaillé en Afrique, dirigé pendant dix ans un moulin au Luxembourg. Il appartenait à une coopé­rative française et a été vendu. Comme je constatais que la qualité du pain se dégradait, j’ai décidé de créer ma propre boulangerie, d’abord en Belgique, en 1998. L’affaire a pris de l’ampleur. Nous avons déménagé l’activité en France en 2008. Puis j’ai ouvert ce gros labo ici, au Luxembourg, en 2012. Quant au moulin familial, ma sœur et mon beau-frère ne souhaitaient plus le diriger. Comme j’en avais fait la promesse à mon père, je l’ai repris en 2014. Je l’ai converti au bio. Nous y écrasons mille cinq cents tonnes par an. Il nous fournit toute la farine bio, soit cinquante pour cent des volumes transformés. »

Jean Kircher a créé son entreprise car il ne trouvait plus de pains dignes de ce nom. Un constat fait au début des années 1990. (© D. PÉRONNE)

La farine conventionnelle provient de deux moulins, un français et un allemand. Les deux sites de fabrication transforment 10 t par jour de travail. « Notre atout majeur, et qui fait la différence avec nos concurrents, est de respecter les méthodes “à l’ancienne”, insiste Jean Kircher. La température ici est constante, environ 23 °C ; la fermentation se fait en continu, sur plusieurs heures. Les doses de levure utilisées sont faibles : 0,3 % contre 4 % chez un industriel. Cela permet au sucre de se décomposer lentement, les sucres rapides se transformant en sucres lents. L’hydratation est élevée, entre 68 et 72 %, contre entre 55 et 60 % ailleurs. Bien sûr, nous n’utilisons pas d’additifs, pas d’améliorants, pas de cocktails enzymatiques dont on ne sait pas comment ils évoluent dans notre système digestif. En revanche, nous incorporons dans la pâte du germe de blé,qui est une vraie mine d’or de bienfaits. Les graines de courge viennent d’Autriche, un pays qui a développé depuis longtemps les pains spéciaux. » Quelque 20 % des fabrications sont au levain. Pour l’ensemble de ces process, l’entreprise a été certifiée Slow Baking en 2022.

Tous les salariés en fabrication ont leur CAP de boulanger. (© D. PÉRONNE)

Présent jusque sur la Côte d’Azur

Pains & Tradition a une gamme très élargie : 200 références de 40 g à 2 kg, de la baguette tradition au carré épeautre courges bio. Ses clients sont des restaurants et hôtels haut de gamme — la PME fournit une centaine d’étoilés — et des moyennes surfaces. « Je ne veux pas avoir affaire à des centrales d’achats qui nous étranglent sur les prix et n’y connaissent rien à la qualité, mais avoir en face de moi un vrai patron », souligne Jean Kircher. En plus de la France — et plus spécialement l’Alsace et la Lorraine —, de la Belgique, de l’Allemagne, de l’Europe du Nord, Pains & Tradition est aussi présent sur la Côte d’Azur depuis dix ans grâce à un dépôt ouvert à Cannes. Il y sert des clients prestigieux, comme les hôtels de luxe Le Negresco, le Carlton, Le Majestic.

Aujourd’hui solidement entouré par son fils Nicolas, son gendre Geoffrey, Nicolas Schroeder, son bras droit, Caroline Francequin, sa responsable qualité, Jean Kircher a un peu lâché la partie production pour se consacrer au commercial. Mais il sait que l’avenir de l’entreprise est assuré.

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