Autrefois appelées “déchets de mouture”, les issues de blé tendre sont aujourd’hui considérées comme de véritables coproduits en meunerie. Le terme désigne à la fois les sons (enveloppes du blé), le germe, les semoules vêtues (fragments d’amandes entourés d’enveloppe), les remoulages (particules d’enveloppes internes) ; et parfois également la boulange de B1, issue du tamisage à la suite du premier broyage des céréales, « intégrant encore pour partie le germe du blé », précise Emmanuel Pivan, artisan meunier de la Minoterie de Champcors, situé près de Rennes (Ille-et-Vilaine). Et de confirmer « une sous-évaluation de ces issues par le passé », malgré leurs nombreuses vertus nutritionnelles ou gustatives.

Le son est en effet riche en fibres et en minéraux. Le germe est source de nutriments, de vitamines et de protéines, d’où son usage sous forme d’additif ou de complément alimentaire (en paillettes, en flocons, en huile, etc.). Plus fin que le son, le remoulage présente des résidus d’amidon, tout comme les semoules vêtues.
Représentant près de 25 % du blé, ces issues ont longtemps été valorisées dans l’alimentation animale. Elles tendent désormais à l’être aussi en panification.
Des farines classées selon leur taux de cendres
Durant la transformation du blé en farine, une partie des issues est conservée ou réintégrée dans la mouture, suivant les techniques utilisées (meule ou cylindre) et les types de farines, classées en fonction de leur “taux de cendres”.
Ces termes désignent le pourcentage de matière minérale présente dans la composition finale. Moins raffinée, et donc plus riche en issues de blé, une farine complète ou intégrale T150 présente un taux de cendres supérieur à 1,40 %, contre un pourcentage compris entre 0,62 et 0,75 % pour une farine T65, plus “blanche” ; et entre 0,75 et 1,20 % pour une farine intermédiaire, dite bise, T80 ou T110.

« Ces issues ont été sous-évaluées par le passé », Emmanuel Pivan, meunier
Implanté dans l’Ain, le Moulin Marion privilégie « les farines complètes ou semi-complètes, plus intéressantes sur le plan nutritionnel », relève son directeur général, Julien-Boris Pelletier, qui transforme exclusivement des céréales labellisées Agriculture Biologique : « Une donnée d’autant plus importante concernant les coproduits, les pesticides étant concentrés sur les enveloppes. »
Le moulin commercialise une partie de ses issues de blé auprès d’artisans, dont l’enseigne Partisan boulanger, à Lyon, qui propose un pain Tougrain, mélange de son, de T150 et de T110.
Faire ses assemblages boulangers
Au-delà des farines brutes ou pures, l’industrie meunière produit des (pre) mix — mélanges de farines et d’ingrédients, dont des fractions de blé, entre autres graines et céréales (voire additifs, dans certains cas) — pour la fabrication de pains spéciaux, appréciés des consommateurs.

Certains artisans préfèrent réaliser leurs propres assemblages, intégrant notamment des issues de blés, comme Thomas Ranval de la Boulangerie de la Cathédrale à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). « J’ajoute du son fin à mon pain complet, à hauteur de 15 % du poids de pâte. Cela apporte une mâche dense et une croûte plus croustillante, avec une meilleure garde et un bonus sur le plan nutritif », explique l’artisan, qui utilise aussi la boulange de B1 de la minoterie de Champcors dans sa baguette tradition et ses pains spéciaux, à un dosage d’environ 10 %.
« La boulange de B1 est un produit à forte valeur ajoutée nutritionnelle, mais qui nécessite une hydratation préalable pour assouplir les fragments d’enveloppes, suivie [éventuellement] d’une préfermentation avec un peu de levain ou de levure, et une incorporation en fin de pétrissage», conseille le meunier Emmanuel Pivan.
De la même manière, le nutritionniste Christian Rémésy préconise une « lactofermentation du son » pour l’inclure à de la farine T65 ou T80, sur une base de bouillie de son (hydraté à 300 %) ensemencée vingt-quatre heures minimum avec 5 % de levain*.
Des “signatures aromatiques uniques”
À Rennes, Marion Juhel, de la pâtisserie 16h30, utilise le son de la Minoterie de Champcors dans ses sablés Ty Gwinizh. « Nous le torréfions assez fortement avant de l’hydrater dans un grand volume d’eau. Le son a cela de particulier qu’il est très “cisaillant”. Si on l’intègre sec, il dessèche cruellement nos biscuits et rend la pâte difficile à travailler, alors qu’une fois égoutté, il s’intègre facilement.» À la clé : des notes céréalières gourmandes et un visuel rustique appétissant.
En plus de leurs vertus nutritionnelles, les issues de blé présentent un intérêt organoleptique en termes de saveurs, de textures et de coloration. Autant de propriétés exploitées par des entreprises comme Grands Moulins de Paris ou Philibert Savours, sous forme de levains dévitalisés et déshydratés de germes de blé.
« Ils apportent des notes aromatiques de beurre noisette, avec des saveurs un peu plus intenses pour les références toastées », souligne Pascal Philibert, fondateur de Philibert Savours. Et de préciser : « À intégrer dans tous types de préparations, ces levains tendent à assouplir un peu les pâtes et à apporter une coloration légèrement ambrée. »
Le son, autant que possible issu de la filière Culture Raisonnée Contrôlée ou biologique, entre lui aussi dans la formulation des levains, sous forme brute ou via l’utilisation de farines complètes ou semi-complètes.
Là encore, « le but est d’obtenir des signatures aromatiques uniques », rappelle Pascal Philibert, qui travaille les semoules vêtues sous forme de topping pour les pains. En bouche, cela accentue le contraste entre le croustillant de la croûte et le fondant de la mie. Une preuve supplémentaire que les issues de blé valent bien mieux que des déchets.
* Dans son ouvrage Sauvons le pain (Thierry Souccar Éditions, 2022), et lire LT n° 331.